Peu avant son décès, Moché prend à cœur la question de sa succession, soucieux de l’avenir du peuple hébreu. Nos Sages (cités par Rachi) voient dans cette attitude une nouvelle preuve de dévouement envers son peuple : « Ceci nous montre les qualités d’un dirigeant : lorsque leur dernière heure approche, il délaisse leurs propres affaires pour ne se consacrer qu’à celles du peuple. »

Telles sont bien les dispositions dont doit faire preuve un dirigeant digne de ce nom : ne pas considérer son pouvoir comme un privilège personnel, mais comme un joug qu’il lui faut porter avec patience et ténacité. Il n’est donc pas étonnant que Moché, qui avait renoncé quelques décennies auparavant aux trésors d’Egypte pour se consacrer à la dépouille de Yossef, ne fasse pas non plus cas de ses propres besoins avant son décès, pour se vouer à ceux du peuple.

L’amour d’Israël
Selon le Bet Israël, cet éloge que font nos Sages de Moché signifie qu’en sa qualité de « fidèle berger », il ne se préoccupa même pas de ses propres besoins spirituels. On retrouve cette qualité particulière lors du Don de la Torah, au terme duquel il est dit : « Moché descendit de la montagne vers le peuple » (Chémot 19, 14). Les Sages voient dans cette annonce une allusion au fait que « Moché ne prit pas le temps de s’occuper de ses propres besoins : il descendit directement de la montagne vers le peuple ». A ce sujet, les commentateurs s’interrogent : quelles « occupations » si particulières étaient susceptibles de détourner Moché de sa mission ? Rabbi Yé’hezkel de Kouzmir expliqua que Moché ne prit même pas le temps de se soucier de sa propre situation morale, ou des soins qu’elle requérait. Entièrement voué à sa mission, Moché renonça à sa propre évolution spirituelle au profit de celle du peuple.
En outre, ajoute le Bet Israël, nous savons que les grands Justes, avant leur décès, atteignent des niveaux spirituels incommensurables. Or, Moché renonça à toutes ces formidables dimensions et choisit d’évoluer parmi le commun des mortels, pour rester fidèle à sa mission jusqu’au bout. C’est à cet égard que maintenant, peu avant son décès, il s’inquiète de trouver un successeur capable de le remplacer dignement, en faisant preuve de la même abnégation pour son devoir.

Un homme sur le peuple
Lorsqu’il formula cette demande à D.ieu, Moché s’exprima en ces termes : « Que l’Eternel, D.ieu des esprits de toute chair, institue un homme sur ce peuple » (Bamidbar 27, 16). Et reprenant la même formulation, le Créateur lui répondit : « Fais approcher Yéhochoua fils de Noun, un homme animé d’esprit… » (verset 18). Que signifie, dans ce contexte particulier, l’insistance sur « l’homme » qu’il fallait nommer à la tête du peuple ?
Le Rabbi de Kotsk expliquait qu’effectivement, la toute première disposition qu’il faut trouver chez un chef consiste à être « un homme ». Selon le Bet Israël, cela signifie que le dirigeant doit être capable de se rabaisser au rang du peuple. A l’instar de Moché qui « descendit de la montagne vers le peuple », le chef doit faire preuve d’une infinie patience envers les hommes et s’ils se détournent du droit chemin, il lui incombe de leur indiquer la voie du retour.
Certains renchérissent sur cette idée en notant que la nomination de Yéhochoua survint juste après l’épisode où Pin’has percuta de sa lance Zimri ben Salou, par esprit de vengeance pour l’Eternel. Certes, par son geste, Pin’has réalisa un formidable Kiddouch Hachem [sanctification du Nom divin], et par son mérite, le fléau qui sévissait dans le peuple cessa. Néanmoins, Moché compris que Pin’has n’était pas apte à prendre sa succession. Le peuple juif avait besoin d’un « homme » qui le dirige, et non d’un « ange » que nul n’aurait osé approcher.
Néanmoins, en s’adressant à D.ieu, le prophète exigea également que cet homme soit « sur ce peuple ». C’est-à-dire que parallèlement à cela, il devrait être capable de s’élever au-dessus de la masse populaire, afin que son autorité soit admise et incontestée.

Un troupeau guidé par un berger
Dans les paroles de Moché, on trouve une autre disposition à laquelle doit répondre le dirigeant. Il justifia en effet son souci de trouver un digne successeur en déclarant : « Afin que la communauté de l’Eternel ne soit pas comme un troupeau sans berger. » Autrement dit, pour éviter que le peuple se divise en factions divisées les unes des autres, il faut qu’un chef le rassemble sous un même étendard.
Selon le Sfat Emet, cette qualité permet également au chef de montrer au peuple qu’il est continuellement sous l’empire d’un Dirigeant suprême et absolu : « Car en vérité, le berger du peuple juif n’est autre que D.ieu. Mais le Juste qui s’érige en chef et suit le peuple dans toute son évolution ouvre une porte permettant à D.ieu de dévoiler Sa propre Intervention aux yeux des hommes (…) C’est pourquoi il est dit ici : ‘La communauté de l’Eternel’, car c’est en fait D.ieu Qui en est le chef… »
Le Pné Ména’hem reprend également l’idée de son aïeul et la développe ainsi : « Tel est bien le rôle essentiel du dirigeant : faire régner la Chékhina sur les gens de sa génération, car comme l’expliquait le Sfat Emet, seul D.ieu est le berger du peuple d’Israël comme il est dit : ‘L’Eternel est mon berger, je ne manquerai de rien’ (Psaumes 23). S’il en est ainsi, pourquoi Moché demanda-t-il qu’un successeur soit nommé ? Car par son biais, l’Intervention divine dans la vie de chaque particulier se dévoile et grâce au chef du peuple, on réalisera pleinement que tout vient de D.ieu. »

Par Yonathan Bendennnoune