Dans notre paracha, Moché et Aharon affrontent
à plusieurs reprises les magiciens de Pharaon
pour prouver l’authenticité de leur mission
divine. Or ces sorciers parviennent eux aussi
par leur procédés occultes à produire les mêmes
effets spectaculaires que ceux générés par la voie
miraculeuse de D.ieu – tout au moins jusqu’au
moment de la plaie de vermine…

Il convient d’approfondir davantage
le thème de la magie et
de la sorcellerie en tentant de
comprendre comment l’esprit de la
Torah conçoit l’existence de telles
forces occultes.

De fait, si nous nous représentons
la magie comme « un art ou une
science usant de moyens occultes
pour obtenir des effets surnaturels », comme on la définit peu ou
proue dans la plupart des dictionnaires de la langue française, cette
approche s’avère rigoureusement
erronée et même répréhensible selon certains grands auteurs traditionnels.


La magie dans les sources
traditionnelles

C’est dans le Traité Sanhédrin que
le Talmud s’étend longuement sur
les différentes formes de magies
et de divinations proscrites par la
Torah. En réalité, il apparaît que
la question de la magie revient en
deux occurrences distinctes dans
les sources talmudiques : à un premier endroit (page 65/b), le Talmud
rapporte que les deux derniers
mots du verset de la Torah « Ne
vous livrez pas à la divination (‘al
téonénou’ ) », (Vayikra 19, 26) suportent plusieurs interprétations et
se réfèrent, selon une opinion, aux
pratiques qui consistent à créer des
illusions en « captivant les yeux ».
Comme l’explique Rachi sur place, ceux qui se livrent à ces pratiques « captivent et ferment les
yeux de leur public : ils lui donnent
l’illusion qu’ils réalisent des actions extraordinaires alors qu’ils ne
font en fait absolument rien ! ». Un
peu plus loin dans ce même Traité
Sanhédrin (page 67/a), le Talmud
évoque cette pratique concernant
une autre interdiction de la Torah :
« Ne laisse pas vivre la sorcière »,
(Chémot 22, 18), dont les pratiques
semblent davantage s’apparenter
à la conception généralement admise de la « magie » dans son sens
usuel… « Le sorcier qui pratiquerait
sa magie en acte est coupable [de
lapidation-Ndlr] mais non celui qui
ne ferait que ‘captiver les yeux’ »,
déclare à cet endroit la Michna.
En conclusion, il semblerait que
deux formes de magies soient
proscrites par la Torah : celle qui
consiste à créer des phénomènes
illusoires en mystifiant la vue de
l’assistance, et une seconde qui
relève quant à elle de véritables
phénomènes surnaturels. Conclusion qui s’avère en réalité sujette à
caution puisqu’elle ne fit pas l’unanimité, loin s’en faut…

Maïmonide : mesure et
rationalité

Dans son « Livre des Mitsvot » où il
dresse une liste exhaustive des 613
commandements de la Torah, Maïmonide écrit l’interdiction des pratp
tiques magiques d’une manière qui
ne souffre aucune équivoque (« Lo
Taassé » No 32) : « Cet interdit englobe également les pratiques des
sorciers. (…) Celles-ci relèvent de
l’une des grandes formes d’astuces
élaborées à l’aide de mouvements
rapides, au point où les hommes
s’imaginent que ce sorcier réalise
des phénomènes qui n’existent en
réalité pas. Ces pratiques sont celles
que l’on retrouve toujours chez ces
hommes qui prennent une corde et
la dissimulent dans l’ourlet de leur
vêtement et qui font ensuite sortir
un serpent aux yeux du public ; ou
encore chez ceux qui lancent une
pièce en l’air et la font ressortir de
la bouche de l’un des assistants ».
En un mot : les magiciens sont
d’authentiques prestidigitateurs, et
la magie se résume à des traditionnels tours de passe-passe qui, aux
yeux de Maïmonide , restent néanmoins rigoureusement interdits !
C’est sans nul doute dans ce domaine que Maïmonide fit preuve
de la plus grande détermination
quant à ses positions rigoureusement rationnelles : pour l’auteur
du « Guide des Égarés », il est en
effet inconcevable d’accorder la
moindre foi à des manifestations
surnaturelles qui ne soient pas des
miracles exécutés par un envoyé
de D.ieu. Lorsque les signes de
miracles divins sont absents, c’est
qu’inévitablement nous nous trouvons en présence d’artifices et de
mystifications n’ayant d’autre but
que « d’abuser la conscience des
hommes », (Rambam ibid.).

C’est dans son livre consacré aux
Lois sur l’idolâtrie (Hilkhot Avoda
Zara, chapitre 11, 16) que Maïmonide exprime avec une rare
détermination son inflexible négation de toute réalité surnaturelle :
« Toutes ces pratiques ne sont que
mensonges et illusions, et ce sont
elles qui ont induit en erreur les
premiers serviteurs idolâtres ; (…)
il ne convient pas aux membres
du peuple d’Israël, qui sont sages
et érudits, d’être influencés par
ces inanités ni de croire qu’elles
comportent une part d’efficacité ;
(…) tout celui qui croit en ces pratiques ou à d’autres semblables et
qui pense en son coeur qu’elles sont
vraies, qu’elles sont le fruit d’une
sagesse mais que la Torah les a tout
de même interdites, n’est qu’un sot
et qu’un être dénué d’intelligence ».
C’est donc certainement dans ce
contexte que Maïmonide exprima
le plus fermement sa pensée notoirement si rigoureuse et rationnelle… et qu’il s’attira au passage les
foudres de ses antagonistes !

« La maudite philosophie
l’a entraîné… »

C’est certainement sous la plume
du Gaon de Vilna que l’on trouve
la réaction la plus vive à cette prise
de position. La vision de Maïmonide sur le monde du surnaturel
l’amena en effet à affirmer que
lorsque le Talmud parle d’incantations supposées guérir les morsurp
res des serpents et des scorpions, il
s’agit de remèdes qui n’ont en réalité « aucun effet »… si ce n’est celui
d’apaiser l’esprit de la victime et de
lui éviter « de perdre la raison ». Or
dans ses annotations sur cette décision (voir Choul’han Aroukh Yoré
Déa 179, qui cite intégralement les
propos du Rambam), le Gaon de
Vilna sort de sa légendaire concision et fustige vertement cette approche : « Tous les auteurs postérieurs [à Maïmonide] s’opposèrent
à lui sur ce point dans la mesure
où le Talmud lui-même fait cas de
nombreuses formules d’incantations. Mais lui s’est laissé entraîné par la maudite philosophie, et c’est
pourquoi il soutient que la magie,
les invocations et les incantations,
les démons et les amulettes ne sont
que mensonges. Mais [ses antagonistes]
l’ont déjà frappé sur le crâne
pour ses propos dans la mesure où
nous trouvons beaucoup d’anecdotes
citées dans le Talmud mettant en jeu
des invocations et de la magie comme
nous le voyons concernant (…) [A cet
endroit, le Gaon de Vilna rapporte
une dizaine de citations extraites des
textes talmudiques-Ndlr]. Mais c’est
la philosophie qui, par la plupart de
ses enseignements, l’a ainsi induit en
erreur et l’a amené à interpréter tous
ces passages de la Guémara comme
des ‘métaphores’ et à les détourner de
leur sens littéral… ».

Il est intéressant de noter que l’une
des preuves citées par le Gaon de Vilna
fait référence précisément au tout
premier affrontement entre Moché et
Aharon et les mages égyptiens décrit
dans notre paracha. Tout le monde
connaît ce fameux épisode où Aharon
lance devant Pharaon son bâton
qui se transforme en serpent. Pharaon
fait alors appeler ses magiciens
qui réussissent eux aussi à réaliser
le même prodige, après quoi le bâton
d’Aharon engloutit ceux des sorciers
égyptiens.

Or, c’est à propos de ce « tour de magie
» que l’on peut lire dans le Zohar
(paracha Vaéra, page 28/a) les éclaircissements
suivants : « Rabbi Yossi
enseigna : Si tu étais porté à croire
que tout ce que produisent les magiciens
n’est pas réel et n’est que le fruit
d’une illusion, c’est pourquoi il est
dit : ‘Et ils devinrent [des serpents]’,
véritablement ». Révélation du Zohar
on ne peut plus explicite, la magie
des sorciers égyptiens était donc une
science exacte et il n’est aucunement
« sot » de vouloir croire en l’existence
de ces forces occultes, dont le pouvoir
s’avère bien réel !

De fait, on retrouve la même approche
chez de nombreux décisionnaires
dont l’un des plus renommés, le
Radvaz (maître spirituel en Égypte
au début du XVIe siècle) reprend
notamment le même argument sans
toutefois citer ce passage du Zohar :
« Serait-il concevable de dire que toutes
les actions des magiciens réalisés
devant Pharaon ne relevaient que
d’astuces et de dextérité ? La raison
ne saurait le supporter ! En réalité,
ils pratiquaient la magie à l’aide
des démons [Chédim], ces pratiques
magiciennes et ces sorcelleries étant
notoires dans les écrits des Sages et
communément admises », (Responsa,
Tome V, 1695).

Notons cependant que dans le commentaire
de Rabbénou Bé’hayé sur
ces mêmes versets, on décèle une très
grande réserve à ce sujet, manifestement
en vertu de la position particulière
de Maïmonide sur la question.
Présentant les deux différentes perspectives,
cet auteur juge en effet possible
de maintenir que les serpents
des magiciens de Pharaon ne furent
en fait que des illusions « dans la
mesure où toutes leurs pratiques ne
sont que des mystifications dénuées
de toute réalité ».


Magie et sorcellerie :
un paradoxe !

Comment admettre l’existence de
telles forces qui semblent pourtant
contredire les principes élémentaires
de la foi juive ?

Il s’avère que ce paradoxe est en
réalité lui-même la réponse à cette
question : « Pourquoi les appelle-ton
‘Kechafim’ [ces pratiques magiques]
? Parce qu’elles contredisent
[Mak’hichim] la cour céleste », déclare
ainsi le Talmud, (ibid. page
67/b).

Il semblerait donc que suivant cette
optique – qui prête foi à la réalité
surnaturelle de ces pratiques –, le
domaine de prédilection de la magie
soit précisément la contradiction
qui constitue l’essence même
de leur existence.


Une allusion aux OGM ?

Dans son commentaire sur la Torah
(Dévarim, 18, 9), le Ramban nous
livre à ce sujet quelques éclaircissements
hautement révélateurs : dans
la structure que donna le Créateur
au monde façonné par Lui, toute matérialité
est dominée par une force
spirituelle. Ces entités spirituelles
– dont l’influence interagit directement
avec le monde matériel qu’elles
régissent – sont désignées ici par
l’expression la « cour céleste ». Or, la
vocation de ces pratiques occultes
est précisément de dévier ces forces
et ces courants spirituels pour les
employer à leurs propres intérêts. Il
s’agit en quelque sorte de détourner
les forces de la nature pour les utiliser
à des fins personnelles et déloyales.
C’est donc en cela qu’ils contredisent
la cour céleste en « allant à l’encontre
des fonctions constitutives de ces
forces ». C’est précisément dans cet
ordre d’idées, conclut le Ramban,
que la Torah proscrit rigoureusement
les greffes et les mélanges de
différentes espèces de plantes – et à
plus forte raison, les manipulations
génétiques que l’on connaît de nos
jours ! – puisque là aussi, à l’instar
de la magie, l’intention de ces pratiques
est de déformer le fonctionnement
originel de la nature et d’en
détourner les forces de leur objectif.

YONATHAN BENDENNOUNE

Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française

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