La vente du Hametz telle qu’elle est présentée aujourd’hui par les autorités rabbiniques est elle réellement valable ? Développement et explications.

Cette vente  se fait  t’elle en bonne et due forme, sur quelle critère juridique se base-t-elle , est-ce un moyen, une ficelle de plus  pour « contourner la Loi » ?

Pour le savoir, nous vous invitons à découvrir  un extrait du sujet traité,  tiré du livre Pessahim des editions Bnei Torah du Rav Roth-Lumbroso

La vente du ’hamets (Mékhirat ’hamets)
Se fondant sur une Beraïta rapportée dans la Tossefta Pessa’him (2, 6-7), les Richonim1 ont étudié les conditions de validité des ventes de ’hamets avant Pessa’h.
La Beraïta énonce : « Lorsqu’un Juif et un non-Juif voyagent en bateau, et [que] le Juif a du ’hamets en sa possession, il peut le vendre au non-Juif ou le lui donner en cadeau, et il [peut] le lui racheter après Pessa’h, pourvu qu’il le lui ait vraiment donné en cadeau2. Un Juif a le droit de dire à un non-Juif : au lieu d’acheter [une quantité de ’hamets] pour un mané3, achètes-en pour deux cents [zouz], car peut-être que j’en aurai besoin et que je viendrai t’en acheter après Pessa’h ».
Il s’agit ici de donner un aperçu des différents problèmes halakhiques posés par ce type de vente.Pour le Ritva (21a), la vente du ’hamets n’est effective que dans un cas semblable à celui de la Tossefta, c’est-à-dire dans un cas où la vente a été réalisée de manière fortuite. Mais la vente d’année en année du ’hamets à un non-Juif n’est qu’une ruse ( הערמה ) destinée à éviter que le ’hamets ne soit interdit après Pessa’h. Elle n’est qu’un simple dépôt, interdisant ainsi ledit ’hamets après Pessa’h.
Néanmoins, le Beit Yossef (448) voit dans le cas évoqué dans la Tossèfta une véritable ruse dans la mesure où le Juif revient chez le non-Juif après Pessa’h pour reprendre son ’hamets. Selon lui, même en présence d’une ruse la vente demeure valide dès lors que le ’hamets se trouve réellement en la possession du non-Juif. Ainsi, Rabbeinou Yérou’ham4 rapporte au nom du BaHaG5 que la vente n’est permise qu’à la condition de ne pas constituer une ruse, et le Beit Yossef conclut à la possibilité d’interpréter ces propos comme visant à interdire la vente du ’hamets sous conditions.
 

La possibilité de signifier au non-Juif l’intention que l’on a de lui racheter le ’hamets après Pessa’h
Le Ba’h (448) rapporte que la Agouda6 a pour version de la Tossefta : « car je te le rachèterai après Pessa’h ». La Agouda dit même que la version de la fin de la Tossefta est celle-ci : « au lieu d’acheter pour deux cents [zouz] achète pour un mané », ce qui signifie qu’il est permis d’inciter le non-Juif à acheter le ’hamets en lui disant qu’on le lui rachètera plus cher, et ainsi tranche le Choul’han Aroukh (448, 4).La possibilité de conserver le ’hamets chez soi
Le Beit Yossef rapporte une tchouva du Téroumat ha-Déchèn (I, 120) qui suggère que l’on ne peut pas garder chez soi le ’hamets vendu à un non-Juif et tranche la halakha ainsi dans le Choul’han Aroukh (448, 3).
Les A’haronim justifient cela par le fait qu’on pourrait considérer que ce dernier garde son propre ’hamets ou par le risque d’en manger.
Le Ba’h relève néanmoins qu’une telle halakha est difficilement applicable dans le cas de commerçants propriétaires de grandes quantités de ’hamets ; celui-ci soutient à l’instar du Maguèn Avraham (448, 4) que la solution consiste à vendre l’endroit dans lequel se trouve le ’hamets.Le Ba’h envisage également comme solution, la location du local au non-Juif mais relève que cela est impossible aux motifs que : שכירות לא קניא , la location n’étant pas une acquisition, l’endroit loué demeure toujours la propriété du propriétaire et le ’hamets se trouve donc toujours dans le domaine du vendeur, ou encore, ainsi que cela est écrit dans le Agour 7 , parce que l’on considère que louer le local constitue également une manière de tirer profit du ’hamets.
1 Rambam (’Hamets ou-Matsa, 4, 6-7), Roch (ch.2, 4) et Ritva (21a).
2 Selon le Rambam, cela signifie que l’on doit vendre ou donner le ’hamets ans conditions.
3 Un mané vaut cent zouz.
4 Elève du Roch puis de Rabbi Avraham ben Isma’el, lui-même disciple du Rachba.
5 BaHaG : acronymes de Ba’al ’Hilkhot Gdolot, écrit par Rav Yéhouday Gaon.
6 Agouda : écrit au quatorzième siècle par Rav Alexander Zuslin ha-Cohen Katz.
7 Agour, recueil halakhique écrit à la fin du quinzième siècle par Rav Yaacov Landau.
Les décisionnaires ont néanmoins tranché qu’il était possible de louer le local dans lequel se trouvait
le ’hamets tout en précisant qu’il n’était pas possible de le louer en vue du seul usage du stockage
du ’hamets.
Le Michna Broura (448, 12) précise enfin, que si le ’hamets est resté dans le domaine du Juif, ce dernier
pourra quand même en tirer profit après Pessa’h.
La remise des clés du local au non-Juif
Le Ba’h, le Maguèn Avraham (448, 4) et le Taz (448, 4) écrivent qu’il faut remettre les clés du local au non- Juif aux motifs que selon Ri (voir daf 4a, Tossefot ד »ה אם ), si les clés se trouvent encore chez le Juif à la tombée de la nuit du 14 Nissan c’est à lui qu’incombe la bdika ou encore, parce que si le non-Juif n’a pas accès au ’hamets, la vente doit être interprétée comme une ruse destinée à éviter que le ’hamets ne soit interdit après Pessa’h.Le Michna Broura (448, 12) rapporte au nom du ’Hémèd Moché qu’il est toutefois possible de garder les clés du local tout en précisant au non-Juif que celles-ci sont à sa disposition s’il désire chercher le ’hamets. Il ajoute également, que bloquer l’accès au ’hamets invalide la vente et interdit le ’hamets au profit après Pessa’h.La nécessité de préciser les différents types de ’hamets vendus ainsi que leurs emplacement
Le Biour Halakha (448, ד »ה בדבר מועט ) écrit que stipuler simplement que la vente portera sur « tout ce qui
pourrait contenir du ’hamets » prive cette dernière de toute validité en raison de l’impossibilité de vendre un
produit non défini. Il est donc nécessaire de détailler chaque type de ’hamets vendu. Toutefois, il n’est pas nécessaire de préciser les quantités vendues dès lors que l’on convient avec le non-Juif d’en différer l’évaluation à après Pessa’h.
Le Mo’adim ou-Zmanim (Rav M. Sternbuch, III, ‘ סי’ רס »ט אות ז ) ajoute qu’il faut préciser les endroits dans lesquels se trouve le ’hamets, sans quoi ni les lieux loués (ou vendus), ni le ’hamets vendu ne sont considérés comme ayant été définis.Le mode d’acquisition du ’hamets
Une discussion oppose Rachi à Rabbeinou Tam quant à la reconnaissance par la Torah du mode d’acquisition d’un bien par un non-Juif . En effet, selon Rachi un non-Juif n’acquiert un objet qu’en donnant de l’argent ( קנין כסף ) tandis que selon Rabbeinou Tam, le non-Juif n’acquiert un bien qu’en l’emportant avec lui ( קנין משיכה ). Les décisionnaires s’accordent néanmoins à dire qu’a priori, le non-Juif doit acquérir le ’hamets par le biais de ces deux modes.Toutefois, si la vente comprend de très grandes quantités de ’hamets et que le non-juif se retrouve dans l’impossibilité de tout emporter , le Michna Broura (448, 19) dit que le non-Juif pourra acquérir le ’hamets par le biais d’un des modes d’acquisition admis chez les commerçants du lieu (par ex. en se passant la main ou en donnant une pièce), ou par la vente ou la location1 d’un bien foncier, car le cas échéant, l’acquisition de ce bien pourra également inclure l’acquisition des biens mobiliers qui s’y trouvent, en l’espèce le ’hamets קנין אגב) ). Notons qu’en cas de location d’un local au non-Juif, il suffit que ce dernier remette une somme d’argent pour que la location soit effective, tandis qu’en cas de vente du bien immobilier celle-ci ne sera effective qu’à compter de la remise du titre de propriété ( .(שטר Le Biour Halakha (448, ד »ה בדבר מועט ) ajoute que puisque certains décisionnaires2 remettent en cause l’efficacité du קנין אגב fait par un non-Juif, il est conseillé que ce dernier procède encore à un autre acte d’acquisition, par exemple un קנין סודר : le vendeur soulève un objet qui appartient au non-Juif et lui transmet de ce fait son ’hamets.
1 Il ne s’agit pas de lui louer pour y entreposer du ’hamets, parce que c’est interdit comme nous l’avons vu plus haut, mais de lui louer
pour qu’il y entrepose ses objets personnels.
2 Le Toumim (123, 12) ; le Ktsot ha-Hochèn (194, 3) et le Ma’hatsit ha-Chékèl (448,4).
Quant au prix du ’hamets, il doit correspondre au prix réel, le non-Juif avance une partie de la somme totale
tout en sachant que s’il veut garder le ’hamets pour lui, il devra payer le reste de la somme après Pessa’h. 


Actionnaires

Le problème de l’actionnariat ne concerne pas seulement les Juifs qui investissent dans des produits contenant du ’hamets. En effet, certaines sociétés de fonds communs de placement investissent l’argent de leurs clients dans ce genre de produits, de même que toute société peut également posséder des entrepôts de ’hamets considérés a priori comme propriété des actionnaires et ces derniers ne peuvent pas vendre ce ’hamets indépendamment de leurs actions. Si pour le ’Héchèv ha-Efod (Rav H. Padva, I, 82), la propriété des actionnaires se limite au capital et ne concerne pas les biens de la société, le Min’hat Yts’hak (Rav Y. Y. Weiss, III, 1) et le Mo’adim ou-Zmanim (III, ‘ סי’ רס »ט אות א ) soutiennent que tous les actionnaires forment
un groupe d’associés auquel appartient l’ensemble des biens de la société. L’habitude de nos jours consiste à inclure dans la vente du ’hamets la vente des actions elles-mêmes.

La vente telle qu’on la réalise de nos jours
Autrefois, les gens réalisaient eux-mêmes la vente de leur ’hamets, ce qui n’allait pas sans poser problème au niveau de la validité de la vente, notamment lorsque la connaissance des lois liées au mode d’acquisition par le non-Juif était lacunaire. De nos jours, on vend par l’intermédiaire d’un Rav ou d’un tribunal rabbinique en donnant procuration au Rav pour procéder à la vente. A son tour, le Rav ou le tribunal rabbinique vend le ’hamets des Juifs de la ville ou de la communauté à un non-Juif.

Le ’Hatam Sofèr (Yoré Déa, 310) s’interroge sur la validité de la vente lorsqu’elle porte sur de très grandes quantités de ’hamets étant donnée la certitude que nous avons par avance que le non-Juif ne payera pas la totalité de la somme et que ce dernier considèrera probablement la vente comme un simple rituel religieux (ce qui prive son consentement de la sincérité requise).
Le ’Hatam Sofèr répond que ce qui détermine la validité de la vente réside dans la volonté du vendeur de se défaire du ’hamets et que les intentions du non-Juif ne remettent pas en cause la validité de l’acte de vente réalisé selon les formes prescrites ( .(דברים שבלב אינם דברים
Notons toutefois que l’auteur du Ma’assé Rav 1 rapporte que le Gaon de Vilna s’abstenait de vendre
du ’hamets pur ( חמץ גמור ). Plus encore, ce dernier ne mangeait pas après Pessa’h d’un ’hamets pur qu’un
Juif avait vendu avant Pessa’h2.
Bien que cette habitude ait été adoptée par certains, il faut rappeler qu’elle n’a que le statut de hidour (belle
habitude), car le Sdé ’Hémèd ( מערכת חמץ ומצה ) démontre que la vente du ’hamets est valable même pour
du ’hamets pur3.

Le rachat du ’hamets après Pessa’h
Sachant que le ’hamets a été véritablement vendu à un non-Juif, on ne peut pas simplement le lui reprendre après Pessa’h. Le Rav devra à son tour réaliser un acte d’acquisition en donnant de l’argent et en reprenant l’acte de vente (Biour Halakha ד »ה מכירה גמורה , au nom du Bigdei Yécha).
1 Ma’assé Rav : récit de la vie et des habitudes du Gaon de Vilna.
2 Cette habitude était aussi celle de Rabbi Akiva Eiger (Iguérèt Sofrim, 48), du ’Hazon Ish et du Steipeler (Or’hot Rabbeinou, Pessa’h,
19-20). Voir également le Kinyan Torah (Rav A.D. Horowitz, VII, 39).
3 Voir les Tchouvot vé-Hanhagot (Rav M. Sternbuch, I, 309).