Le livre des « Juges » (IV)

 

Continuant la série d’articles que nous consacrons au livre du Tanakh appelé Séfèr Choftim (« Livre des Juges »), nous aborderons cette semaine les deux sujets suivants :

– Les femmes, et le rôle qu’elles jouent dans ce livre.

– L’apport du livre en ce qui concerne les haftaroth.

 

Les femmes

D’après son titre, on pourrait penser que le livre relate essentiellement l’histoire des « Juges » d’Israël. Mais en le lisant attentivement, on s’aperçoit qu’il contient presque autant de personnages féminins, qui, toutes, jouent des rôles importants et très divers : Il y a des femmes qui tuent des hommes, comme Yaël (4, 21) ou celle qui supprime Avimélèkh avec une pierre de meule (9, 53). D’autres se font tuer par des hommes, comme la concubine de Guiv‘a. On y trouve aussi des prostituées, une prophétesse ? : Devora, qui est aussi juge et chef de guerre. C’est également dans ce livre qu’apparaît la célèbre « traîtresse » Dalila. Rappelons de surcroît : ‘Akhsa, la fille de Caleb devenue l’épouse de ‘Othniel (1, 12), la fille de Jephté (11, 34), la mère et les deux premières épouses (femme de Timna et « prostituée » de Gaza) de Samson (13, 2 ; 14, 1 ; 16, 1), la mère de Mikha (17, 2) et les jeunes filles de Yavèch-en-Guil‘ad (21, 12).

Les Haftaroth

Le séfèr Choftim a fourni trois haftaroth au canon synagogal :

Parachath Bechala‘h : Le point culminant de cette paracha est constitué par le « Cantique de la mer » (Chirath ha-yam) entonné par Moïse après la traversée de la mer Rouge par les enfants d’Israël (Chemoth 15, 1 à 19). A ce cantique fait pendant dans le séfèr Choftim le cantique de Devora (5, 1 à 31).

Deux différences importantes, au moins, séparent toutefois les deux cantiques : Tandis que Moïse entonne seul le « Cantique de la mer », sa sœur Miryam ne participe pas à son chœur, mais elle exprime sa gratitude à Hachem en prononçant un hymne distinct (Chemoth 15, 20 et 21). Devora, en revanche – bien que femme – émet son cantique (5, 1) à l’unisson avec Baraq.

D’autre part, alors que le « Cantique de la mer » a été entièrement prononcé sous inspiration divine, celui de Devora, selon certaines sources, ne l’a été que partiellement (voir plus loin dans le chapitre consacré à Devora).

Cette nuance mise à part, il subsiste de grandes ressemblances entre les deux cantiques. C’est ainsi qu’ils expriment l’un comme l’autre la reconnaissance des enfants d’Israël envers Hachem, et qu’ils reflètent tous les deux l’épouvante qu’ont ressentie les peuples de la région.

 

-Parachath Nasso : L’un des principaux sujets traités dans la parachath Nasso concerne le nazir, c’est-à-dire celui qui a fait vœu d’abstinence (Bamidbar 6, 1 à 21). Son pendant dans le séfèr Choftim est constitué par les circonstances de la naissance et de la vie de Samson, et sa haftara est empruntée au chapitre 13 qui retrace les événements ayant précédé la naissance de ce « juge ».

De multiples nuances différencient toutefois l’état de nazir tel qu’il est réglementé par la Tora et le destin de Samson :

– En premier lieu, selon la Tora, les principales interdictions qui s’imposent au nazir sont les suivantes :

1°. Interdiction de consommer du vin ou des boissons à base de raisins.

2°. Interdiction de se couper les cheveux.

3°. Interdiction de se rendre impur par contact avec un mort.

Dans le cas de Samson, cependant, seules étaient applicables les deux premières interdictions, et celui-ci, en de multiples circonstances, a tué des Philistins – et s’est donc rendu impur – sans encourir aucun reproche (voir Radaq ad 14, 19).

– En deuxième lieu, l’état de nazir, selon la Tora, est provisoire – normalement trente jours (Michna Nazir 1, 3) – et celui qui a fait vœu d’abstinence est tenu, à la fin du temps imparti, d’apporter un sacrifice expiatoire, et ce pour avoir « péché contre son âme » (Bamidbar 6, 11). En effet, expliquent les rabbins, il a eu le tort de rejeter les biens terrestres que Hachem lui a accordés et dont il aurait profité s’il n’avait pas prononcé son vœu. Se mortifier inutilement est aller à l’encontre de Sa volonté (voir notamment Ta‘anith 11a).

Samson, au contraire, a été un « nazir perpétuel » (« dès le ventre [de sa mère] » – 13, 5).

– Enfin, alors que l’état de nazir ne s’impose normalement qu’à celui qui a fait vœu de le devenir, sans aucune incidence sur sa famille, la mère de Samson elle-même a été invitée à s’abstenir, avant même la conception de son fils, de tout vin et boisson forte, et de tout aliment impur (13, 4 – 7 – 13 – 14).

 

-Parachath ‘Houqath : La haftara de cette paracha est empruntée au séfèr Choftim (11, 1 à 33), et la similitude entre les deux apparaît au premier coup d’œil.

Toute la fin de cette paracha est consacrée à la guerre victorieuse que les enfants d’Israël ont engagée et menée contre Si‘hon, roi des Amorréens, et contre ‘Og, roi du Bachane (Bamidbar 21, 21 à 35). Suite à ces combats et à leur heureuse issue, ils ont conquis de vastes territoires situés au-delà du Jourdain. Cette conquête s’est toutefois arrêtée (verset 24) sur les bords du Yaboq, au sud, à la frontière des Ammonites, lesquels ont été épargnés et ont préservé leur intégrité territoriale.

Ceux-ci ont cependant, à l’époque des « Juges », engagé des hostilités contre les enfants d’Israël, en prétendant avoir des droits sur ce qui avait été conquis sur Si‘hon et sur ‘Og, et en affirmant vouloir le récupérer :

« Le roi des Ammonites dit aux messagers de Jephté : “C’est parce qu’Israël a pris mon pays, quand il monta d’Egypte, depuis l’Arnon jusqu’au Yaboq et jusqu’au Jourdain ; et maintenant, rends-moi ces contrées en paix !” » (11, 13).

Pour appuyer sa démonstration et prouver que les territoires transjordaniens avaient été légitimement conquis, Jephté va s’appuyer, presque mot pour mot, sur le récit de la Tora. Ce sont les Amorréens et les habitants du Bachane qui ont été défaits ! Les Ammonites ne peuvent donc faire valoir aucune prétention sur ces territoires, qui ne leur ont jamais appartenu !

Malgré les efforts diplomatiques déployés par Jephté, les Ammonites ont engagé les hostilités et ont fini par essuyer une cuisante défaite.

(à suivre)

Jacques KOHN Zal