À l'approche de l'échéance du 28 mars, les quatres candidats au poste du Grand Rabbin de Paris ont été interrogés. Les candidats ont exposés leur « Ani maamin » leur profession de foi et la conception qu'ils ont du rôle à la fois prestigieux et délicat de grand rabbin de Paris. Voici leurs réponses.

Reportage et interview des quatres candidats :
 

lls ne sont plus que quatre à postuler au poste de grand rabbin de Paris. À deux semaines du scrutin, deux candidats ont en effet annoncé qu’ils se désistaient : le grand rabbin 'Haïm Korsia et le rabbin Marc Krief. L’élection est donc entrée dans le vif du sujet, chacun tentant de convaincre les 44 Grands Électeurs, composés des 25 administrateurs de l’ACIP, de dix représentants des présidents de communautés, de six représentants du corps rabbinique et de trois membres du Beth-Din. Mais avant de se départager au cours des quatre tours de scrutin (si nécessaire), les quatre postulants ont tenu à lancer un appel commun au Chalom. « Nous (…) entendons rappeler que cette élection ne saurait se dérouler autrement que dans un climat serein et digne et que nous condamnons dès lors tout propos ou toute communication médiatique qui viserait à porter atteinte à l’un des candidats ou à l’institution consistoriale que nous souhaitons représenter », ont ainsi rappelé dans un communiqué les rabbanim Raphaël Banon, Michel Gugenheim, Chalom Lellouche et Alain-Chlomo Sénior (par ordre alphabétique).
À l'approche de l'échéance du 28 mars, Hamodia a interrogé les quatre candidats et leur a demandé d'exposer leur « Ani maamin » leur profession de foi et la conception qu'ils ont du rôle à la fois prestigieux et délicat de grand rabbin de Paris. Voici leurs réponses.


  Grand rabbin Michel Gugenheim.

Directeur du Séminaire Israélite de France. Directeur du service des divorces au Beth-Din de Paris, responsable de la certification des produits agroalimentaires et de la liste de produits autorisés. Rabbin de la communauté Michkenot Israël. 62 ans.

– Hamodia : pourquoi vous présentez-vous ?
– Par sens du devoir. Il faut un homme d’une grande expérience pour parvenir à préserver tous les acquis et développer cette communauté parisienne qui a pris une très grande importance. L’expérience, c’est très important. Un simple rabbin de communauté ne peut pas devenir grand rabbin d’une ville de cette envergure sans connaître au moins un certain nombre de principes et de réalités. Par ailleurs, dans cette dernière étape de ma vie professionnelle, je suis très attiré par l’aspect « pastoral » de la fonction : je veux aller à la rencontre des fidèles pour partager mon enthousiasme sur la beauté de la Torah.
– Comment se porte aujourd’hui le Consistoire de Paris ?
– J’ai 33 ans d’expérience dans cette grande et belle maison et j’ai eu tout le temps d’observer ce qui s’y passe. Le grand rabbin Messas zatsal y avait entrepris un travail extraordinaire qui a été brutalement interrompu. Prenons l’exemple de la cacherout : celle du Beth-Din de Paris a aujourd’hui une crédibilité internationale. Mais cela peut-être hypothéqué très rapidement si l’on ne sait pas y faire. Outre que le nom du Beth-Din serait entaché, les conséquences financières seraient très graves pour l’institution
– Quelles sont les grandes lignes de votre programme ?
– En premier lieu, je m’attellerai à l’encadrement des rabbins. Et puis je suis arrivé à un âge où l’on prévoit de ne se présenter qu’une seule fois. Il me paraît donc sain de faire profiter mes successeurs potentiels de mon expérience et de ma connaissance des dossiers. J’insisterai également sur leur bonne coopération avec les présidents de communautés et leur attachement à l’institution consistoriale.
Mon action sera également dirigée en direction du Beth-Din, qu’il faut renforcer et rajeunir, de la lutte contre les divorces, ou la pérennisation du Beth Hamidrach des rabbins de Paris, dont je souhaite encore étendre le rayonnement.
Concernant la jeunesse, je compte beaucoup m’investir dans les trois fleurons du Consistoire que sont le Talmud Torah, Tikvaténou et le Centre Fleg.
Enfin, comme je l’ai fait au conseil du Consistoire central, je continuerai à entretenir des relations de confiance avec les administrateurs du Consistoire de Paris, quel que soit leur niveau de pratique, à partir du moment où ils sont attachés au bien de la communauté.
– Que répondez-vous à ceux qui disent que vous êtes avant tout un homme de limoud et que cela ne vous prépare en rien pour représenter le judaïsme parisien ?
– Il y a trois types de rabbins : les rabbins de communauté, les dayanim et les enseignants. Il s’avère – et c’est assez rare – que je réunis les trois casquettes et depuis fort longtemps. Alors oui, je revendique l’étiquette d’homme de limoud, mais j’ai également prouvé être un très bon organisateur, d’une très grande rigueur dans le suivi des dossiers. Si j’osais, je dirais que je suis un athlète complet ! Ceux qui disent le contraire ne connaissent tout simplement pas l’étendue de mes activités.

Rav Alain-Chlomo Sénior

Rabbin de Créteil, 54 ans

– Hamodia : Pourquoi vous présentez-vous ?
– Dans sa fonction communautaire, un rabbin participe à la responsabilité de préservation et de pérennité du peuple juif. Depuis 30 ans, j’ai choisi cette mission d’accompagnement au service du plus grand nombre. Rabbin à Montpellier, j’ai établi et renforcé des liens avec les étudiants. Directeur d’une école juive, j’ai œuvré dans l’éducation et la pédagogie. Collaborateur du grand rabbin de France Joseph Sitruk pendant 20 ans, j’ai acquis une expérience de dimension nationale et développé des relations avec les pouvoirs publics dans différents ministères. Enfin, rabbin depuis 17 ans dans la plus grande communauté juive d’Ile-de-France, j’arpente le terrain communautaire en prise directe avec les réalités de la vie quotidienne. Ces expériences différentes et complémentaires m’incitent à penser qu’elles pourraient être mises au service d’une des communautés les plus emblématiques de la Diaspora, de manière utile et efficace.
– Comment se porte le Consistoire aujourd’hui ?
– Il est sans conteste l’institution centrale de la vie juive francilienne. La réputation et la renommée du Beth-Din ne sont plus à faire. Le Consistoire de Paris est bien implanté dans le tissu humain et urbain de la région parisienne, portant haut les couleurs du judaïsme francilien. Il remplit sa vocation en accueillant tous les Juifs. Mais il lui faudra relever les défis à venir et donc définir une politique prospective en tenant compte des problématiques nouvelles.
– Quelles sont les grandes lignes de votre programme ?
– Le Consistoire et le Beth-Din de Paris ont, dans le temps, par leurs présidents et leurs grands rabbins, défini une ligne de conduite dans laquelle le prochain grand rabbin de Paris s’inscrira harmonieusement, en l’enrichissant de sa propre expérience.
La jeunesse juive est une priorité : du Talmud Torah jusqu’aux étudiants, il faut renforcer l’encadrement, mettre en place des lieux d’étude et penser des activités qui lui sont destinées.
La vie des communautés est centrale : cela passe par une synergie entre les différents synagogues et oratoires en les mobilisant sur de grandes manifestations.
En matière de cacherout, je veux élargir la gamme de produits casher tout en réfléchissant à la diminution des prix et à la conquête de nouveaux marchés.
Concernant les divorces, je prévoirai un accompagnement pour ce douloureux problème et une réflexion sur le problème des agounot.
Pour les conversions, enfin, il faut proposer un accueil adéquat pour aider les candidats motivés dans cette démarche sensible.
– Que répondez-vous à ceux qui vous disent « trop froum » pour représenter le judaïsme parisien ?
– Si l’on entend par là quelqu’un de scrupuleux et d’observant de la tradition, alors tout rabbin de communauté est naturellement froum. Avant tout, un rabbin est un maître, un guide dont le rôle premier est d’enseigner la Torah et la tradition dont il est garant.
Pour transmettre, un rabbin doit être chaleureux, accueillant, ouvert et fédérateur. Il est aussi attentif et à l’écoute de ses fidèles ; cela requiert une totale disponibilité. Sans ces qualités essentielles, un rabbin risque d’éloigner ses fidèles et de créer une distance extrêmement préjudiciable dans son rôle pastoral. D’ailleurs, le rôle pastoral du rabbin ne s’arrête pas aux limites de la communauté. C’est aussi une parole ouverte sur la cité. Si je galvaudais nos principes fondamentaux, les moins pratiquants d’entre nous auraient raison de me le reprocher.


Rav Raphaël Banon.

Diplômé du Séminaire rabbinique en 1990. Vice-président de l’Association du Rabbinat Français. 51 ans

– Hamodia : pourquoi vous présentez-vous ?
– Ma candidature au grand rabbinat de Paris est une candidature idéaliste. Je pense disposer d’une combinaison de compétences particulière, qui répond aux besoins les plus urgents suscités par les énormes défis qui guettent le Consistoire et le Beth-Din de Paris à très court terme. Pour moi, et à l’exemple de notre vénéré maître, rabbi Ra’hamim Naouri zatsal, qui fût notre Av Beth-Din, l’élection au grand rabbinat de Paris signifierait l’abandon d’intérêts commerciaux importants. C'est-à-dire, de grands sacrifices personnels et familiaux.
– Comment se porte le Consistoire aujourd'hui ?
– En apparence pas mauvaise, sa situation est pourtant paradoxale. Des comptes équilibrés, un nombre de communautés et d’adhérents stables, une légitimité toujours d’actualité auprès des pouvoirs publics, on dirait que tout va bien. Mais lorsqu’on y regarde de plus près, on observe que le Consistoire est gravement exposé, voire franchement menacé. Face à la montée des communautés non consistoriales de tous bords qui paraît inexorable, la reconnaissance du BDP doit être renforcée pour assurer sa pérennité. Souvenons-nous des effets de la vache folle sur les finances du Consistoire. À l’époque, le Consistoire disposait encore de réserves exceptionnelles. Demain, si l’obligation de l’étiquetage de la viande casher entre en vigueur, une réorganisation rapide et efficace de la che’hita s’imposera si l’on veut que la viande casher reste abordable et éviter l’effondrement des revenus du Consistoire. Dans une telle situation, on ne peut pas tergiverser sur les compétences requises aujourd’hui au grand rabbinat de Paris, sur le plan rabbinique, certes, mais aussi sur celui de l’organisation et du management.
– Quelles sont les grandes lignes de votre programme ?
– D’abord, sauver notre che’hita, quoi qu’il arrive et quelles que soient les conditions politiques et juridiques, françaises ou européennes. Il s’agit également de renforcer la reconnaissance du Beth-Din de Paris, en lui apportant des compétences plus étendues et toujours reconnues sur le plan international. Il faut structurer au sein du rabbinat parisien, une capacité d’écoute et d’accueil de tous les fidèles pour tous les domaines religieux. Je veux également lancer une grande opération éducative au profit des Talmudei Torah de Paris et d’Ile-de-France afin que les nombreux jeunes qui ne les fréquentent pas encore les rejoignent. Enfin, j’associerai l’intégralité du corps rabbinique francilien aux travaux du BDP et du Grand Rabbinat de Paris, par une formation continue professionnalisée et des prises de responsabilités ciblées et adéquates.
– Que répondez-vous à ceux qui disent que vous n'avez pas assez d'expérience rabbinique pour diriger le judaïsme parisien ?
– Ancien grand rabbin de l’une des quatre plus grandes communautés de France (Toulouse et Pays de la Garonne), et à ce titre, membre du Conseil rabbinique supérieur durant la mandature du grand rabbin Sitruk et aujourd’hui, vice-président de l’Association du Rabbinat français, acteur important dans la cacherout et la résorption des problèmes quotidiens de très nombreuses communautés… Je ne sais pas très bien de quoi vous voulez parler… J’ai de plus, été formé aux questions les plus pointues de la vie communautaire depuis mon plus jeune âge, par mon père – alors responsable de la cacherout BDP auprès de rabbi Ra’hamim Naouri zatsal – puis par le regretté rabbi Nissim Rebibo zatsal.


Rav Chalom Lellouche

Rabbin de la communauté de Levallois, 41 ans

– Pourquoi vous présentez-vous ?
– Fort de l’expérience acquise à travers les différentes communautés par lesquelles je suis passé, j’ai la conviction de pouvoir apporter une nouvelle vitalité basée sur des idées originales et utiles à notre communauté. À chaque fois, j’ai marqué mon passage par des réalisations qui correspondaient à une vraie demande des fidèles. Mon projet a toujours été de donner plus de Torah et plus de judaïsme. Un judaïsme ouvert, fort et fidèle à ses racines.
– Comment se porte selon vous le Consistoire de Paris ?
– C’est une belle et prestigieuse institution, la maison commune pour tous les Juifs. Sous l’impulsion de son président Joël Mergui, et après l’œuvre accomplie par rav David Messas zatsal, elle est aujourd’hui irremplaçable et doit continuer d’être renforcée. Ce travail passe par la création de nouvelles synagogues, ou le développement du Talmud Torah. Le Consistoire a besoin d’une approche qui corresponde à notre temps.
– Quelles sont les grandes lignes de votre programme ?
– Je tiens avant tout à un Consistoire de Paris fort et à un Beth-Din fort, au service de tous les Juifs. Il faut que le judaïsme consistorial continue à acquérir ses lettres de noblesse et reste au cœur de nos communautés. Mon objectif, c’est l’unité de la communauté dans la pluralité. Cela passe par un travail important sur le terrain, entouré d’une équipe dynamique et compétente. Face aux attentes et aux défis immenses auxquels nos communautés doivent faire face, des idées originales pour rénover et améliorer le service rendu à nos fidèles devront être mises en place. L’objectif est de faire revenir le plus de Juifs possible qui se sont momentanément éloignés. Dans le même temps, dès lors que des gens décident d’aller de l’avant et d’intensifier leur pratique des mitsvot, il faut éviter qu’ils nous quittent. Mon ambition, dans les deux cas, c’est de faire en sorte que le plus grand nombre de Juifs se sentent chez eux au sein des structures consistoriales. Cela passera par une réflexion et un travail sur les principales missions du Consistoire : cacherout, jeunesse, formation continue des rabbins, création de passerelles avec les autres baté dinim…
Il faut insuffler une énergie nouvelle au corps rabbinique, lui donner de l’espoir. Je demanderai donc à ce que la mission du grand rabbin de Paris soit limitée à deux mandats. Pour permettre le renouvellement, c’est essentiel.
– Que répondez-vous à ceux qui disent que vous êtes trop jeune pour diriger le judaïsme parisien ?
– La discrimination par l’âge n’a pas de sens. Ce qui compte, ce sont les réalisations, les faits ! Regardons le bilan personnel des candidats.
En quinze ans d’exercice rabbinique, j’ai acquis une longue expérience. J’avais 29 ans, lorsque je suis devenu ‘haver Beth-Din au service des conversions, à la demande de rav Sitruk. À la même époque, je suis arrivé à Levallois. Douze ans plus tard, c’est l’une des plus importantes communautés de l’Ouest parisien ! L’école que j’y ai créée scolarise une centaine d’enfants et notre Talmud Torah compte 150 inscrits. Dans ma synagogue, il est possible d’étudier du matin jusqu’au soir. Mon souhait ardent consiste à réunir toute la communauté. Et l’âge n’a rien à voir là-dedans.
[source Hamodia]