Dans la section de Behar, la Torah s’étend longuement sur les modalités de la chemita, dont le principe est d’imposer une jachère sur les terres d’Eretz Israël. En échange, la Torah assure à l’homme une juste récompense : « Observez et pratiquez Mes lois, et vous vivrez dans le pays en sécurité » (Vayikra, 25, 18).

Dans la section Bé’houkotaï, là où la Torah énonce les malheurs qu’encourent ceux qui négligeraient ses lois, on retrouve à nouveau le thème de la chemita. On apprend là que par faute de la violation de « l’année chabbatique », le peuple d’Israël peut être condamné à l’exil. Ainsi, la désolation qui règnera sur cette terre pendant toutes les années d’exil compensera-t-elle toutes les chemitot que notre peuple n’a pas respectées lorsqu’il y vivait ! La Torah le déclare explicitement : « Alors la terre acquittera la dette de ses chômages, tandis qu’elle restera désolée et que vous vivrez dans le pays de vos ennemis (….) Dans toute cette période de désolation, elle chômera pour ce qu’elle n’aura pas chômé dans vos années chabbatiques ! » (27, 34-35)

L’amour de la chemita
Dans ce contexte, nous allons voir la manière originale dont le Sfat Emet conçoit la notion d’exil. Ce maître s’interroge ainsi (Pessa’h 5636) : nous savons que les punitions envoyées depuis le Ciel permettent toujours « d’amender », d’une manière ou d’une autre, la faute commise. En ce sens, aux yeux de la Torah, la punition a plutôt une connotation de « réparation » que de sanction. S’il en est ainsi, on est donc en droit de se demander : en quoi l’exil représente-t-il une forme de réparation pour l’inobservance de l’année de la chemita ?
La réponse est que par cette violation, la faute de notre peuple fut d’avoir manqué d’attachement et d’amour envers cette importante mitsva. Contraint à l’exil et à l’éloignement, les sentiments et l’engouement d’Israël envers la terre de ses pères décuplèrent, si bien qu’il peut ainsi réparer les torts causés par ses manquements.
Il en résulte que notre devoir aujourd’hui consiste précisément à aspirer ardemment à accomplir cette mitsva de chemita. Ainsi, on ne peut se contenter d’organiser les aspects techniques de cette année particulière, en prévoyant par exemple de nouvelles sources de productions agricoles pour pallier le manque, mais nous devons également chérir l’idée que nous avons désormais la possibilité de respecter cette injonction de la Torah.

Les vertus de la chemita
Il existe un parallèle certain entre la mitsva de se reposer le septième jour de la semaine, et celle d’offrir un repos à la terre la septième année du cycle agricole.
Concernant le Chabbat, nos Sages disent en effet (Mé’hilta citée par Rachi Chémot 20, 8) : « ‘Souviens-toi’ et ‘Observe’ [Za’hor et Chamor] furent énoncés en une même parole ». Par ces mots, nos Sages soulignent que le Chabbat ne se résume pas à une série d’interdits prohibant toute forme de travail. Car s’il nous faut d’une part « observer » le Chabbat – c’est-à-dire se garder de réaliser des travaux -, nous devons également nous « souvenir » de ce jour saint en le sanctifiant et en réalisant des actes concrets visant à le consacrer parmi les autres jours de la semaine.

Or, comme l’indiquent nos Sages, ces deux ordres furent prononcés simultanément lors des Dix commandements pour rappeler que ces deux dimensions sont obligatoirement complémentaires l’une de l’autre.
Ainsi, un homme peut-il éviter pendant tout le Chabbat de commettre la moindre transgression, et il peut aussi passer sa journée à dormir, à se promener et à lire le journal, etc. Or, bien que cet homme ne soit en cela passible d’aucune punition, il n’en reste pas moins qu’il a totalement manqué à son devoir à l’égard du Chabbat dans la mesure où il n’a pas su l’enrichir avec un capital concret de sainteté.
Il en va de même pour l’année de la chemita : on ne peut se contenter de « passer » cette année en s’abstenant simplement de réaliser des travaux agricoles. Car en fait, toutes ces interdictions ont pour but d’élever l’âme juive et de la « fertiliser » spirituellement, comme l’indique le Sforno concernant l’expression « un repos pour l’Éternel » : « Afin que même les agriculteurs, lorsqu’ils chômeront pendant cette année, soient stimulés à se mettre en quête de D.ieu d’une manière ou d’une autre ».


Tout comme le repos matériel du Chabbat doit entraîner une recrudescence de l’activité spirituelle, ainsi la jachère de la terre apportera aux agriculteurs l’occasion d’accroître leur potentiel spirituel et de renforcer leur pleine confiance dans le Créateur.
« J’enverrai Ma bénédiction ! »
Dans le même ordre d’idée, le Panim Yafot (sur Behar) cite un enseignement rapporté au nom du Zohar dans lequel on apprend que le verset « L’Éternel bénit le septième jour » (Béréchit, 2, 3) signifie que la bénédiction de la semaine entière émane du Chabbat. En effet, bien qu’en ce jour la Manne ne tombât pas, cela ne signifiait pas du tout une « absence de bénédiction ». Au contraire, c’est la sainteté particulière de ce jour qui lui permet d’influencer sur tous les jours de la semaine et de les faire bénéficier de sa propre et double bénédiction.


Le Panim Yafot écrit que l’année de la chemita est identique sur ce point : « De la même manière que la semaine entière bénéficie de l’influence du Chabbat (…), ainsi la chemita, qui est elle-même appelée un ‘Chabbat’, c’est bien d’elle que se répand la bénédiction des six années qu’elle précède (…) ».
Le Or ha’Haïm écrit que le verbe « observer » utilisé dans le verset « Les enfants d’Israël observeront [véchamérou] le Chabbat » – (Chemot 31, 16) – peut s’interpréter également par « espoir » ou « observation », comme nous le voyons du verset « Mais son père attendit [chamar] l’évènement » (Béréchit 37, 11).


Autrement dit, toute la semaine durant, nous devons espérer avec impatience qu’arrive le jour du Chabbat. Et ce sont les mêmes sentiments que nous devons éprouver à l’égard de la chemita afin d’avoir le mérite d’accomplir cette mitsva dans toute sa splendeur en Eretz Israël. 

 

 

 

Par Yonathan Bendennnoune