« Dis aux enfants d’Israël de te choisir une vache rousse, intacte et sans aucun défaut » (Bamidbar 19, 2). Tel est l’animal désigné pour procéder à la purification des personnes ayant été en contact avec un cadavre.

Pourquoi le choix a-t-il été porté précisément sur une vache, et non sur un taureau ou un agneau ? C’est le Midrach qui pose cette question (Bamidbar Rabba 19, 8) et qui y répond ainsi : « Pour quelle raison tous les sacrifices sont-ils pris à partir d’animaux mâles, et celui-ci provient-t-il d’une femelle ? Rabbi Eivo explique : C’est à l’image du fils d’une servante qui aurait souillé le palais du roi. Le roi décréta : “Que vienne la mère essuyer les immondices de son fils !” Ainsi le Saint béni soit-Il a-t-Il déclaré : “Que vienne la vache expier la faute du Veau d’or !” » (cité par Rachi).

La relation établie ici entre cette parabole et la réalité mérite quelques éclaircissements : toute mère consciente et responsable est tenue à ce titre de veiller aux éventuels dégâts causés par ses enfants. En revanche, pourquoi la vache serait-elle tenue responsable des abjections que les hommes ont commises avec son petit ? Pourquoi revient-il à la vache d’expier la « faute » du veau ? Dans un discours prononcé à Paris en 1916, le rav Yoël Hertzog zatsal proposa les explications suivantes.

Les motivations du veau d'or

Pour mieux comprendre ce thème, il convient de revenir aux origines de la faute du Veau d’or et de tenter de comprendre ce qui l’a motivée. Tout au long de son histoire, le peuple hébreu s’est laissé entraîner par l’idolâtrie à de maintes reprises, et nos Sages se sont systématiquement efforcés de découvrir les circonstances ayant conduit à de tels errements. Ainsi, le Talmud (Sanhédrin 101) affirme que Yéroboam, le mécréant roi d’Israël, n’a réussi à détourner Israël de D.ieu que par des ruses, auxquelles même A’hia le Chilonite s’est laissé prendre.

À cet égard, les circonstances ayant conduit à la faute du Veau d’or semblent obscures : le peuple avait réchappé à la menace égyptienne, il avait assisté à la Révélation du Sinaï et entendu D.ieu S’adresser directement à lui seulement quelques semaines plus tôt, et en dépit de tout, il s’est tourné vers cette idole comme si rien ne s’était passé

La vache et le veau

Selon le rav Hertzog, l’explication tient dans ces deux mots : la vache et le veau. La vache est l’une des femelles produisant les plus grandes quantités de lait, lesquelles lui permettent de nourrir non seulement ses petits mais également de pourvoir aux besoins des hommes. Son lait est si abondant que lorsqu’une vache n’est pas traite à temps, l’afflux de liquide lui cause de grandes souffrances. De ce fait, nous trouvons dans la halakha certaines dérogations relatives à la traite des vaches le Chabbat, dans la mesure où cela relève d’une « souffrance animale ».

Aussi, lorsqu’une bête ressent le besoin d’allaiter, elle s’empresse de trouver son petit afin que celui-ci la soulage. C’est l’un des enseignements que Rabbi Akiva légua à Rabbi Chimon bar Yo’haï : « Plus que ce que le veau veut téter, la vache souhaite allaiter » (Pessa’him 112/a). Compte tenu de la grande richesse du lait de sa mère, le veau est l’un des animaux les plus vigoureux proportionnellement à son âge. Seulement deux jours après sa naissance, il gambade déjà comme tout autre animal ayant déjà plusieurs semaines. Il est dit en ce sens dans les Téhilim (29, 6) : « L’Éternel (…) les fait bondir comme un jeune veau » – celui-ci symbolisant ainsi vitalité et pétulance. Il s’avère donc que l’abondance du lait de la mère – dont elle n’a que faire et qu’elle désire ardemment offrir à son rejeton – vaut au petit une nature débordante d’entrain. Il en va d’ailleurs de même chez certains hommes fortunés : comme ils n’ont que faire de leur richesse, ils ne souhaitent que voir leurs enfants la dépenser à tort et à travers, pour le plus grand plaisir des uns et des autres…

Les besoins vitaux des créatures

Lorsqu’on observe les différents êtres de la Création, on s’aperçoit que chacun se caractérise par des besoins vitaux spécifiques, que la nature ne leur procure pas forcément. Ainsi, les animaux doivent se procurer leur nourriture, mais ils n’ont pas besoin de se couvrir le corps, étant dotés d’une peau qui fait office de vêtements. Les végétaux trouvent quant à eux leur nourriture à l’endroit même où ils se développent, puisqu’ils la tirent essentiellement de la terre. À ce titre, l’être humain est celui dont les besoins sont les plus grands : pour survivre, il doit impérativement se procurer des vivres, des habits, un lieu d’habitation et, avec l’évolution de la société, un gagne-pain digne de ce nom. En créant le monde, D.ieu s’est soucié de fournir à tous les êtres les moyens de se procurer ces besoins élémentaires. Une parfaite adéquation existe ainsi entre les ressources de la nature et les créatures qui en font usage. De plus, il va sans dire que Lui-même, Créateur de toute chose, n’a nul besoin de l’œuvre de Ses mains : c’est elle qui dépend entièrement de Lui et nulle « nécessité » ne l’a poussé à donner le jour à l’univers.

Le Veau d’or

C’est précisément cette mise en perspective qui a conduit la génération du désert à commettre la faute du Veau d’or. Refusant de considérer que les hommes ont un rôle à jouer ici-bas, les fauteurs s’estimaient être en droit d’exiger de D.ieu tous les bienfaits du monde. À l’image de cette vache qui n’aspire qu’à ce que son petit vienne boire de son lait, le Créateur a tout façonné ici-bas pour permettre à l’homme de jouir de Son monde – ce monde dont Il n’a d’ailleurs Lui-même nul besoin. Ils se voyaient donc comme un jeune veau, profitant pleinement du lait abondant de sa mère pour le plus grand plaisir de celle-ci. À leurs yeux, les créatures entretiennent donc avec le Créateur une relation à sens unique : il Lui incombe de pourvoir à tous leurs besoins, sans rien attendre d’elles en échange. Cette vision erronée niait toute responsabilité de la part des hommes, et elle refusait d’admettre que les récompenses et punitions divines soient proportionnelles à leurs actes. Pour eux, servir D.ieu se limite à accepter tous les bienfaits qu’Il nous offre généreusement… C’est la raison pour laquelle la vache rousse symbolise l’expiation de la faute du Veau d’or : comme ces hommes avaient comparé les bienfaits divins au lait de la vache, il leur incombait de sacrifier cette bête pour mettre un terme à leurs thèses fallacieuses.

Par Yonathan Bendennoune 
En partenariat avec Hamodia