En cette année 2009/5769, la fête de Chavou?oth sera précédée par l’accomplissement d’une mitswa supplémentaire : le ?Erouv tavchiline ( עירוב תבשילין ). Etant donné, en effet, que cette fête tombe un vendredi (et en dehors d’ Erets Yisraël un vendredi et un Chabbath ), on lui applique la règle suivante édictée dans la Michna Beitsa (voir Guemara 15b) : « Lorsqu’un jour de fête tombe un vendredi, on ne doit pas faire cuire de la nourriture en ce jour de fête pour le lendemain Chabbath . Mais on en cuit pendant la fête, et s’il en reste on pourra manger pendant Chabbath de ce que l’on aura préparé. » Et d’où tient-on cette règle, demande la Guemara  ? De ce qu’il est écrit, répond Chemouèl  : « Souviens-toi du jour du Chabbath pour le sanctifier. » Souviens-t’en car tu pourrais l’oublier (en ce jour de fête riche en bons plats [ Rachi ]). Ou bien, comme l’enseigne Rava , afin que l’on mette de côté un plat savoureux pour Chabbath comme on l’a fait pour la fête.

Notre intention, dans cet article, n’est pas d’énoncer les lois et les usages applicables à l’institution du ?Erouv tavchiline , mais d’essayer de répondre à quelques-unes des questions que l’on s’est posées à son sujet.

1. Pourquoi ce nom de ?Erouv tavchiline  ?

Le mot hébraïque ?èrouv signifie « mélange », de sorte que le rapport avec l’institution du ?Erouv tavchiline n’est pas évident.

Selon Rambam /Maïmonide, il est appelé ainsi par référence au Erouv ?hatsèroth , par lequel on s’autorise à porter des objets dans les parties communes d’une copropriété. Il s’agit dans les deux cas d’un rappel discret destiné à rappeler les règles selon lesquelles il est tout aussi interdit, pendant un jour de fête, de préparer de la nourriture pour Chabbath , que de transporter, pendant Chabbath , un objet d’une propriété privée vers une propriété publique ( Hilkhoth chevitath Yom tov  6, 2).

Plus simplement, considère rabbi Avraham ben David de Posquières, annotateur de Rambam , on l’appelle ainsi parce qu’il consiste à « mélanger » ( me?arèv ) les besoins du Chabbath avec ceux de la fête.

2. Qu’en est-il pour celui qui, par oubli ou par quelque autre raison, n’a pas procédé lui-même à un ?Erouv tavchiline  ?

La pertinence de cette question tient à ce que la formule du ?Erouv tavchiline  inclut non seulement celui qui la récite et sa famille, mais aussi « tous ceux qui habitent dans cette ville ». La logique voudrait par conséquent que l’on puisse bénéficier de cette formalité même si on ne l’a pas prononcée soi-même.

Les décisionnaires traditionnels comme le Choul?han ?aroukh s’inspirent de l’anecdote suivante rapportée dans la Guemara ( Beitsa  16b) :

Un homme atteint de cécité exerçait auprès de l’ Amora Chemouèl les fonctions de répétiteur. Rappelons à ce sujet que l’enseignement, à l’époque de l’élaboration du Talmud, était exclusivement oral. Il fallait par conséquent que les maîtres tout comme les élèves s’astreignent à connaître par c?ur, avec une extrême précision, les textes qu’ils avaient appris ou enseignés. Aussi faisaient-ils appel à des personnes érudites qui les leur faisaient répéter.

Un jour de fête, ayant constaté que son répétiteur était plongé dans la tristesse, Chemouèl lui en demanda la raison. L’homme lui répondit que c’était parce qu’il n’avait pas procédé à un ?Erouv tavchiline .

Sur quoi Chemouèl le rassura en lui disant : « Tu n’as qu’à t’en rapporter à mon propre ?Erouv , puisque je l’ai fait pour tous les habitants de la ville ! »

Mais voici que, un jour de fête de l’année suivante, notre homme était de nouveau plongé dans la tristesse. De nouveau Chemouèl lui en demanda la raison, et de nouveau il lui répondit que c’était parce qu’il n’avait pas procédé à un ?Erouv tavchiline .

« Tu es en état de péché, lui déclara cette fois Chemouèl  ! Cela n’aurait aucune importance pour tout autre que toi. Mais toi, qui as désobéi aux paroles des Sages, tu ne peux plus t’en remettre au ?Erouv tavchiline des autres. »

Voilà pourquoi le Choul?han ?aroukh ( Ora?h ?hayyim 527, 7) a posé pour règle que chacun est tenu de faire son propre ?Erouv tavchiline , mais que le « grand » de la ville doit associer au sien tous les habitants de la localité, et ce afin qu’il s’applique à ceux qui ont été empêchés, ou qui ont oublié de le faire, ou qui ont perdu celui qu’ils avaient fait, ou qui ne savent pas le faire. En revanche, celui qui aurait pu le faire et ne l’a pas fait est appelé « pécheur », et n’a pas le droit de profiter de celui dont bénéficient ses concitoyens de bonne foi.

3. Pourquoi le texte de la Guemara rapporté ci-dessus parle-t-il d’un « aveugle », et quel rapport la cécité entretient-elle avec notre sujet, le ?Erouv tavchiline  ?

Hasardons-nous à formuler une hypothèse : Peut-être la Guemara s’est-elle référée à un autre passage talmudique ( Nedarim  64b) qui nous apprend que quatre personnes sont, de leur vivant, déjà considérées comme mortes : Le pauvre, le lépreux, l’aveugle et celui qui est sans enfants. Et peut-être a-t-elle voulu nous apprendre que, même « mort », l’aveugle reste tenu à certaines mitswoth , y compris à celle de ?Erouv tavchiline , qui n’est pourtant que d’ordre rabbinique ( Mide-rabanane ? Voir Rachi ad Beitsa  15b).

Jacques KOHN