A l'occasion de la sortie de son roman « A cœur ouvert », paru en 2011 aux éditions Flammarion, Elie Wiesel, décédé samedi 2 juillet, avait accordé une interview à Actualité juive.

Actualité Juive : Vient de paraître « A cœur ouvert », un livre qui évoque votre récente opération subie à cœur ouvert, comment allez-vous depuis ?

Élie Wiesel : La page n’est pas encore tournée, mais les choses s’améliorent. Les médecins m’avaient prédit que pendant quelques semaines, et même quelques mois, je serai très fatigué. Eh bien, ça va plutôt bien. Ils m’avaient également dit que je sombrerais dans une terrible dépression, mais ça n’a pas été le cas car j’ai réussi à me convaincre que je ne voulais pas tomber dans cet état.

A.J. : D’où vient votre volonté : de la religion, de votre passé difficile dans les camps qui vous permet de vous dépasser ? Est-ce un miracle ?

E.W. : Je crois en effet au miracle, aux prières mais en même temps, je pense simplement que je l’avais décidé… C’était ma décision. Avec mon travail, ma vie, mes occupations, je ne pouvais pas me le permettre et donc ça va mieux.

A.J. : Et nous en sommes ravis… Sur quels projets travaillez-vous actuellement dont vous pouvez nous parler ?

E.W. : Vous savez que ma femme, Marion, est à la tête de ma Fondation [ndlr, The Elie Wiesel Foundation for Humanity fondée en 1986 à New-York] et qu’elle travaille sur de nombreux projets. Nous possédons notamment deux centres pour enfants éthiopiens en Israël à Kyriat Malakhi et à Ashkélon, The Beit Tzipora Centers. Nous nous occupons d’à peu près mille enfants originaires d’Ethiopie ce qui demande beaucoup de travail. Personnellement, j’enseigne encore [ndlr, Elie Wiesel est professeur à l'université de Boston] et je me suis trouvé une nouvelle passion : la poésie après m’être passionné pour la pensée talmudique et le hassidisme. Par ailleurs, je travaille sur un livre qui s’appelle « Memet. Les amis ». Et je pourrais vous parler encore et encore de mes nombreux sujets d’occupation…

A.J. : Vous êtes donc bien occupé… N’est-ce pas trop ?

E.W. : Les médecins disent que oui mais moi je ne le pense pas. Je suis le seul à savoir si c’est trop ou pas. Ce n’est pas assez, en tout cas, à mon goût.

A.J. : Au regard de la situation géopolitique mondiale, que pensez-vous de la révolte des populations de plusieurs pays arabes ? Cela est-il une bonne chose pour Israël en particulier et les Juifs de diaspora en général ?

E.W. : Généralement, il n’y a pas lieu de rapprocher ces soulèvements en monde arabe et l’Etat d’Israël. En revanche, il faut faire attention à ce que ces mouvements ne tombent pas aux mains de fanatiques, comme les Frères musulmans ou d’autres. Il faut rester vigilant.

"L’accent doit être mis sur l’éducation"

A.J. : Que pensez-vous des menaces de l’Iran qui pèsent sur Israël ?

E.W. : Je suis convaincue qu’Israël est visé. De tous les pays du monde qui devrait être concerné, c’est bien évidemment Israël en premier lieu. Ahmadinejad [nldr : le président de la République islamique d'Iran] est un fou allié, un fanatique, qui persévère dans sa volonté d’obtenir la bombe nucléaire pour anéantir Israël. Et c’est à Israël de savoir quand agir pour que cet ennemi de l’humanité, et pas seulement du peuple juif, soit désarmé.

A.J. : Se préparent en France des élections présidentielles. L’heure est à l’inquiétude, notamment pour les familles de la communauté juive, face à une situation économique difficile…

E.W. : Je ne vis pas en France et je ne suis pas Français. Je ne me mêle pas de politique intérieure ni aux Etats-Unis, ni en Israël, ni en France. Mais je lis les journaux qui donnent une image inquiétante de l’économie, non seulement pour les Juifs en particulier mais aussi pour les Français en général. Qui sera un bon président ? C’est aux Français de le dire.

A.J. : Nicolas Sarkozy est votre ami, vous le connaissez ?

E.W. : Je le connais personnellement et j’ai eu l’occasion de le rencontrer à plusieurs reprises depuis son accession au poste de ministre du Budget en 1993. J’ai rencontré aussi François Hollande. Je ne peux pas dire qui je soutiendrais si j’étais français car je ne le suis pas.

A.J. : Les dernières positions de la France, par exemple, comme le soutien de la candidature de l’Autorité palestinienne à l’Unesco et bientôt à l’ONU, qu’est-ce que vous en pensez ?

E.W. : Je n’étais pas très content de cette histoire-là. J’aurais préféré que l’Unesco soit digne de sa mission en écartant ceux qui sont encore fanatisés à outrance. Certes le peuple palestinien doit être respecté, mais en même temps, je veux dire que dans le gouvernement de Mahmoud Abbas, il y a des membres du Hamas, un mouvement terroriste qui ne se cache pas. À partir de là, un gouvernement qui comprend des membres du Hamas, un mouvement terroriste dont la seule vertu originelle était de tuer, ne peut pas être représenté à l’Unesco.

A.J. : La communauté juive de France vous apprécie beaucoup et notamment nos lecteurs, auriez-vous un message particulier à leur adresser ?

E.W. : Dans les communautés juives et notamment en diaspora, l’accent doit être mis sur l’éducation. L’histoire juive est remplie de questions existentielles dont les réponses sont fournies par l’éducation, une composante majeure aux problèmes actuels qui se posent dans tous les domaines.

Sandrine Szwarc pour Acualité Juive