Le premier verset de la Méguila présente le roi Assuérus en ces termes : « Ce fut au temps d’Assuérus, ce même Assuérus qui régnait de l’Inde à l’Éthiopie, sur cent vingt-sept provinces. »

Nos Sages évoquent à ce sujet la remarque suivante : « Trois rois régnèrent sur la ‘voûte’ : A’hav, Assuérus et Nabuchodonosor » (Méguila 11/a). C’est-à-dire, explique Rachi, que leur royaume s’étendit sous toute la voûte céleste, dominant la majorité des terres habitées d’alors.
Le Ben Yéhoyada s’interroge : pourquoi nos Sages jugèrent-ils important de nous communiquer cette information ? Quel message devons-nous retenir du fait qu’Assuérus régna « sous toute la voûte céleste » ?
Il explique que par ces mots, nos Sages nous enseignent combien la proximité d’un Juste peut être bénéfique pour tout son entourage. Le Midrach dit en effet : « Assuérus n’eut droit à tant d’honneurs, que parce qu’il viendrait un jour à s’unir à Esther ! » Ce n’est donc pas Esther qui jouit d’un si formidable pouvoir par le mérite de son mariage avec le roi, mais c’est tout le contraire : le roi bénéficia de ce prestige précisément parce qu’il prendrait un jour Esther pour épouse !
Le verset précise en ce sens qu’Assuérus régna sur « cent vingt-sept provinces ». Ce nombre de provinces, remarque le Midrach, correspond au nombre d’années de la vie de Sara : « Le Saint béni soit-Il déclara : Que la descendante de Sara, qui vécut ce nombre d’années, vienne régner sur cent vingt-sept provinces. » Tout le mérite d’un règne si puissant revient donc en tout premier lieu à Sara, qui en fit bénéficier Esther son héritière.
Voilà le regard que la Torah nous invite à porter sur les événements : le mérite d’un privilège quelconque n’appartient pas forcément à son détenteur, mais aux personnes de valeur qui l’entourent. Maïmonide écrit en ce sens qu’un immense palais peut avoir été construit, uniquement pour qu’un Juste puisse des années plus tard s’abriter à l’ombre de son mur d’enceinte.
Le message résultant de ce point est donc de la plus haute importance : même Assuérus, qui ne s’unit à Esther qu’à des fins extrêmement prosaïques, mérita pourtant un règne phénoménal en raison de son union avec une femme tsadéket. Peut-on donc s’imaginer quelle récompense mériteront tous ceux qui se lient à des Justes pour s’inspirer de leur conduite et de leurs enseignements ?
Une leçon de morale du K.G.B.
Le Otsarot HaTorah rapporte à ce sujet l’histoire suivante : un jeune rav, qui donnait un cours quotidien de Torah dans une synagogue, raconta que l’un des participants était un homme russe, ayant déjà un certain âge. Ne maîtrisant ni la langue ni les thèmes étudiés, l’homme ne comprenait pas un traître mot de ce qui se disait dans le cours. Malgré cela, il ne manqua pas une seule fois de se joindre au groupe d’étude. Après quelque temps, on lui demanda ce qui le motivait à participer à ce cours. Sa réponse fut la suivante :
« Il y a de nombreuses années, je vivais en U.R.S.S. Un jour, je me suis assis dans un restaurant, pour prendre innocemment mon repas de midi. Soudain, des hommes du K.G.B. firent irruption dans la salle, ils sortirent des armes et intimèrent à toutes les personnes présentes de s’asseoir par terre. Quelques minutes plus tard, je me retrouvais menotté, embarqué dans un fourgon et conduit dans les bureaux de la police politique. Je n’y comprenais rien.
Plusieurs heures plus tard, il s’avéra qu’au même moment que moi, dans le restaurant, se trouvait un groupe d’hommes recherchés par la police et soupçonnés de faits délictueux. Les agents du K.G.B. me pressèrent de questions pour découvrir quel était mon lien avec ses hommes. Naïvement, je leur expliquai que je n’avais rien à voir avec ces derniers, et que je m’étais retrouvé là par hasard. Mais ils restèrent sourds à mes réponses. Les inspecteurs m’annoncèrent : ‘Si tu étais assis dans la même pièce que ces hommes, c’est la preuve que tu es des leurs !’
Je me mis à les implorer de me croire, j’ai même pleuré et supplié, leur assurant que j’ignorais jusque à l’existence de ces hommes. Mais pour toute réponse, on me répéta obstinément : ‘Si tu étais assis avec eux, c’est la preuve que tu es des leurs !’ Finalement, ils me rouèrent de coups qui me laissèrent des marques pour le restant de ma vie, et je fus condamné à une peine correctionnelle… »
Après une courte pause, l’homme reprit : « Lorsqu’à cent vingt ans, je me tiendrai devant le Tribunal céleste, on se rendra tout de suite compte que je suis incapable de répéter la plus petite ligne de Guémara. Mais à ce moment-là, je montrerai mon corps marqué de traces et je répondrai : “Maître du monde ! Ces hommes m’ont appris que ‘si j’étais assis avec eux, c’est la preuve que j’étais des leurs’. Et si j’ai passé des années assis à côté de ces hommes qui étudiaient chaque jour la Torah, c’est que je suis des leurs, et que je mérite une place à leur côté dans le Gan Eden ! »
Par Yonathan Bendennnoune,en partenariat avec Hmodia.fr