L’une des obligations particulières au roi d’Israël consistait dans l’écriture d’un livre de la Torah : « Quand il occupera le siège royal, il écrira pour son usage, dans un livre, une copie de cette Torah, en s’inspirant des Cohanim, descendants de Lévi. Elle restera par devers lui car il doit y lire toute sa vie, afin qu’il s’habitue à révérer l’Eternel son D.ieu, qu’il respecte et exécute tout le contenu de cette Doctrine et les présents statuts » (Dévarim 17, 18-19).


Dans cet ordre, il convient de noter deux singularités. Tout d’abord, pour quelle raison la Torah insiste-t-elle pour que ces rouleaux soit « inspirés des Cohanim, descendants de Lévi » ?
Par ailleurs, nos Sages interprètent le devoir de lire dans ces rouleaux tous les jours de sa vie de manière particulière : « Ces rouleaux doivent entrer et sortir avec le roi » (Sanhédrin 21/b). Ce qui signifie que dans tous ses déplacements, le roi devait être accompagné de ces parchemins. Or, l’expression particulière employée ici par nos Sages retient l’attention : pourquoi ne disent-ils pas simplement que ces rouleaux ne devaient jamais quitter le roi ? Que sous-entend cette formulation particulière : « Entrer et sortir avec le roi » ?
Selon le Ktav Sofer, ces questions trouvent leur réponse dans un tout autre enseignement de nos Sages.
Travailler et étudier
Dans le traité Bérakhot (35/b), le Talmud cite ces mots enseignés par Rabbi Ichmaël : « Il est écrit : ‘Que le livre de cette Torah ne quitte pas tes lèvres de jour comme de nuit’ [et l’on ne peut par conséquent interrompre son étude à aucun moment]. Se pourrait-il que l’on doive appliquer ce verset à la lettre ? Il est pourtant écrit ailleurs : ‘Tu récolteras ton blé, ton vin et ton huile’ [sous-entendant que l’on est tenu de travailler pour sa subsistance]. Ceci signifie que l’on doit accompagner l’étude de la Torah avec les usages de ce monde ». D’après ce sage, il faut apprendre à concilier ces deux mondes, pour qu’aucun ne prospère aux dépens du second.
Cependant, remarque le Ktav Sofer, en aucun cas la réponse à une contradiction ne justifie que l’on sorte totalement un verset de son sens littéral. Par conséquent, s’il est dit que la Torah ne doit pas quitter nos lèvres « de jour comme de nuit », c’est que l’on doit appliquer cette sentence à la lettre. Et en aucun cas la réponse du Talmud ne peut totalement extrapoler un verset de son contextes… Comment peut-on donc étudier de jour comme de nuit, tout en accompagnant la Torah des usages de ce monde ?
Le Rambam résout cette énigme de la manière suivante : « Celui qui suit un mode de vie allant selon les principes de la médecine, s’il n’aspire qu’à être en bonne santé simplement, s’il souhaite uniquement que ses fils travaillent convenablement pour lui et s’adonnent aux travaux qu’il leur demande, il n’agit pas comme il se doit. Il devra au contraire aspirer à ce que son corps soit en bonne santé pour rendre son âme propice à découvrir D.ieu, étant donné qu’il est impossible de comprendre et de s’élever dans la sagesse si l’on est affamé, malade ou si l’un de ses organes nous fait souffrir. Il devra également souhaiter avoir un fils dans l’espoir qu’il devienne peut-être un grand sage au sein d’Israël.
Celui qui suit cette voie tous les jours de sa vie se consacre au service de D.ieu à chaque instant, même au moment où il réalise son commerce, parce que toutes ses pensées sont vouées à combler les besoins de son corps pour qu’il puisse servir D.ieu. Même au moment où il dort, s’il dort pour que son corps et son esprit se reposent et pour éviter de tomber malade, son sommeil est alors considéré comme un culte rendu au Créateur béni soit-Il (…) C’est à ce sujet que le roi Chlomo disait : ‘Dans toutes tes voies, pense à Lui’ (Michlé 3, 6) ».
Voilà comment, selon le Ktav Sofer, il est possible de ne quitter la Torah à aucun moment du jour ou de la nuit : c’est en consacrant les démarches les plus prosaïques de notre existence au service de D.ieu qu’on peut Lui rester attaché à tout moment.
C’est dans cet ordre d’idées que, dans ce même passage talmudique, nos Sages enseignent : « Vois combien les nouvelles générations sont différentes des premières générations. Les premières générations considéraient la Torah comme leur occupation principale, et leur travail comme secondaire. C’est pourquoi elles réussissaient dans l’une comme dans l’autre. Au contraire, les nouvelles générations considèrent leur travail comme une occupation principale et la Torah comme secondaire, et c’est pourquoi elles ne trouvent la réussite ni dans l’un, ni dans l’autre… ».
En effet, les premiers parvenaient à s’imprégner de l’idée que leur travail ne devait que leur permettre de se consacrer davantage à l’étude de la Torah. Par conséquent, leur journée entière était vouée à cette étude et chacune de leurs occupations florissait. Par contre, les « nouvelles générations » – déjà à l’époque du Talmud… – agissaient suivant l’exact inverse : elles étudiaient la Torah dans le but d’acquérir des mérites pour réussir dans leur commerce. Dans la mesure où même leur étude n’était pas vouée à un objectif pur, ni l’une ni l’autre de leurs occupations n’avaient de chance de prospérer.
Revenons à présent à la question du roi : comme nous le savons, le roi représentait l’ensemble de la nation juive et se s’élevait au-dessus du peuple dans sa vocation spirituelle. C’est la raison pour laquelle il devait se faire écrire un Séfer Torah qui l’accompagnait dans tous ses déplacements, pour qu’il se souvienne que chaque démarche qu’il accomplissait – aussi bien dans le domaine public que privé –, devait être vouée à l’étude et au respect de la Torah. Nos Sages disent à cet égard que ces parchemins devaient « entrer et sortir » avec le roi, parce que leur rôle était précisément de l’aider à accomplir le moindre de ses actes pour rendre honneur à son Créateur.
De ce fait, la Torah exige que le monarque écrive ces rouleaux « en s’inspirant des Cohanim, descendants de Lévi ». Nous savons en effet que la tribu des Cohanim avait pour mission de se consacrer à D.ieu et à Son service sacerdotal. A cet égard, les Léviim ne possédaient aucune part dans la Terre de leurs ancêtres, car le service du Créateur devait rester pour eux une occupation essentielle et afin qu’aucun travail profane ne vienne se substituer à elle. Si le roi devait s’inspirer de cette tribu, c’est parce que sa mission au sein du peuple juif devait être similaire : toutes ses démarches politiques devaient être réalisées dans le but d’accroître la gloire du Créateur et le respect de la Torah au sein du peuple juif. Par Yonathan Bendennnoune en partenariat avec Hamodia.fr