Lorsque les tribus de Gad et de Réouven demandèrent de recevoir le territoire situé à l’est du Jourdain, Moché leur opposa une réaction rude et sévère.

De grands personnages
Avant que nous n’entamions l’étude de cet épisode, il convient de préciser que, comme il apparaît dans les textes du Midrach et des commentateurs, ces tribus s’étaient distinguées pas des vertus morales exceptionnelles.
Dans cet esprit, rav Bounam de Pchis’ha interprétait le verset : « Les enfants de Gad et de Réouven possédait un large troupeau [mikné rav] » de manière originale : ces hommes avaient en fait une attache [kinyan] si particulière avec leur maître [rav], Moché rabbénou, qu’ils choisirent d’élire résidence en terre de Guilad pour vivre à proximité de son tombeau !
En réalité, un verset explicite semble confirmer cette approche. Dans sa bénédiction adressée à la tribu de Gad, Moché déclare en effet : « Il s’est attribué le début de la conquête, car là est la part réservée au Législateur » (Dévarim 33, 21) – bénédiction que Rachi explique ainsi : « Il jugea opportun de prendre sa part dans les terres de Si’hon et Og, qui furent les premières maîtrisées lors de la conquête, car ‘là se trouve la part du Législateur’ – il sut que dans ce territoire se trouverait le tombeau du Législateur, c'est-à-dire Moché ».
Par ailleurs, lorsque Moché leur annonça qu’ils ne recevraient cette terre qu’à la condition qu’ils traversent le Jourdain pour combattre auprès de leurs frères, ils annoncèrent de leur propre chef qu’ils ne rentreraient chez eux, pas avant que le dernier des Hébreux reçoivent sa part dans la Terre d’Israël. Ce qu’ils accomplirent à la lettre : ces hommes quittèrent femmes et enfants et prirent part aux combats sept années durant, et ne revinrent chez eux qu’après sept années supplémentaires, après que la terre fut partagée entre les différentes tribus. En ce sens, ces hommes furent un exemple de dévouement pour la cause de leurs frères juifs.
Le cœur du Sage est à sa droite
Malgré tout ceci – ou peut-être précisément à cause de leur grande valeur –, nos Sages décelèrent dans la requête de ces tribus un écart de langage et ne manquèrent pas de le leur reprocher.
Evoquant le verset de Kohélet (10, 2) : « Le cœur du sage est à sa droite, et celui du sot à sa gauche », ils écrivent à ce propos : « ‘Le cœur du sage est à sa droite’ – il s’agit de Moché. ‘Celui du sot est à sa gauche’ – il s’agit des enfants de Gad et Réouven, qui firent de l’essentiel l’accessoire, et de l’accessoire l’essentiel, lorsqu’ils accordèrent davantage d’importance à l’argent qu’aux vies. En effet, lorsqu’ils dirent à Moché : ‘Nous construirons ici des enclos pour notre bétail, et des villes pour nos familles’, celui-ci leur répondit : ‘Votre attitude est vaine. Au contraire, ‘construisez des villes pour vos familles’ et seulement ensuite ‘des enclos pour votre bétail’ (…) Le Saint béni soit-Il leur dit : ‘Parce que vous avez chéri votre argent plus que vos familles, Je jure que vous n’y trouverez pas la bénédiction. C’est à ce sujet qu’il est dit : ‘Un héritage acquis dans la précipitation, ne saurait être béni par la suite’ (Proverbes 20, 21) ».
Les hommes de ces tribus étaient assurément bien intentionnés. Ils voulaient protéger les biens qui leur avaient été octroyés par le Ciel, et il était donc légitime qu’ils le préservent. Mais le fait qu’ils les aient fait précéder à la protection de leur famille refléta une part de futilité, parce qu’ils accordaient trop d’importance à l’accessoire.
C’est en ce sens que nos Sages disent de la demande de ces deux tribus qu’elle consistait en une « appropriation égoïste ». Or, ceci semble surprenant : peut-on songer un instant qu’un homme puisse « s’approprier » davantage que ce qui lui a été fixé dans le Ciel ?
Le Rabbi de Kotsk expliqua à ce sujet que la richesse et les biens sont accordés à l’homme par le Ciel, afin qu’il les exploite pour atteindre plus facilement son but ici-bas, à savoir faire resplendir la Gloire divine sur terre. Mais si l’homme considère ces biens comme des fins en soi, qu’il ne les destine pas à sanctifier le Nom divin mais à satisfaire ses propres désirs, nos Sages considèrent ceci comme une « appropriation égoïste ».
A ce sujet, les propos de Bilaam résonne encore dans notre esprit : « Ce peuple se lève comme un léopard, il se dresse comme un lion » (Bamidbar 23, 24). Ce que Rachi interprète ainsi : « Lorsqu’ils se réveillent le matin, ils sont vigoureux comme le léopard et comme le lion pour saisir des mitsvot : se vêtir du talith, lire le chéma et mettre les téfilines ». Nous voyons là que la seule chose qu’il convient de « saisir » et de s’approprier par la force, ce sont les mitsvot. Toute autre « appropriation » est donc par essence égoïste.
Chaque chose en son temps
Un autre reproche formulé aux tribus de Gad et de Réouven apparaît dans le commentaire du Sfat Emet, toujours concernant leur précipitation pour s’emparer de cette terre.
Le Sfat Emet explique que depuis toujours, il était prévu que la terre de Guilad revienne à ces tribus. Leur faute fut justement de ne pas avoir attendu l’heure de la recevoir en lot, et d’avoir voulu précipiter les choses. En effet, « il est certain que leur erreur ne fut pas d’avoir voulu une terre qui se trouve à l’extérieur d’Israël, puisque le tirage au sort [déterminé par la Providence divine] le confirma en leur attribuant cette terre (…) Par conséquent, il est certain que cette terre aurait fini par leur échoir. Néanmoins, ils fautèrent en cela qu’ils la réclamèrent avant l’heure, et c’est pourquoi ils furent punis (…) car même si nul ne peut s’approprier ce qui ne lui a pas été réservé par le Ciel, il n’en reste pas moins qu’ils auraient dû attendre l’heure où cette terre leur aurait été donnée par le Ciel, et ne pas se précipiter pour se l’approprier plus vite ».
Ces principes doivent nous habiter tout particulièrement pendant cette période de deuil, afin que ces leçons du passé nous permettent de « précipiter » la rédemption très prochaine. Amen.Par Yonathan Bendennnoune,en partenariat avec Hamodia.fr