« L’Eternel dit à Moché : ‘Le coeur de Pharaon s’est endurci, il refuse de laisser partir le peuple. Va trouver Pharaon le matin, alors qu’il se rend vers les eaux du fleuve. Tu te tiendras sur son passage au bord du fleuve’. (…) Ainsi parle l’Eternnel : ‘Tu sauras de cette manière que Je suis l’Eternel : Je vais frapper de ce bâton que je tiens à la main les eaux du fleuve et elles se métamorphoseront en sang’ », (Chémot 7, 14-17).

L’idole du fleuve

La question se pose de savoir pour quelle raison les eaux du Nil furent-elles frappées les premières, au point de constituer les prémices du dévoilement de D.ieu en Egypte ! A ce propos, Rachi écrit : « Les Egyptiens adoraient le Nil, c’est pourquoi [D.ieu] le frappa en premier et ensuite seulement ceux qui l’adoraient », (Chémot 7, 17). En effet, comme cela est enseigné explicitement au nom de rabbi Yo’hanan dans le Zohar (2, page18/b) : « Il y avait en Egypte une multitude d’idolâtries et le Nil les dominait toutes, [puisque c’est de lui que les Egyptiens tiraient leur existence]. Rabbi Aba a ajouté : – L’enseignement de rabbi Yo’hanan est juste et précis, et ce parce que les idoles sont toujours frappées avant ceux qui les servent. Or, le Nil fut frappé le premier [et se changea en sang]. Ensuite seulement, ce fut le cas des bois et des pierres [avec lesquelles les Egyptiens confectionnaient leurs idoles], comme il est dit : ‘Et il y aura du sang sur toute la terre d’Egypte, sur les bois et les pierres’, (Chémot 7, 19) [l’eau qu’ils contiennent se transformèrent aussi en sang]. (…) Rabbi Its’hak explique : c’est leur représentant céleste qui fut d’abord frappé, et ensuite seulemment les idoles matérielles ici-bas » – (les ajouts entre crochets sont la traduction du commentaire du « Matok miDvach » sur le Zohar- Ndlr).

Ainsi, si le Nil inaugure la série des dix plaies d’Egypte, c’est bien parce qu’il constituait l’idole principm pale de ses habitants. A telle enseigne qu’un autre passage du Zohar (1, page109/a) explique que cette importance donnée au Nil était la conséquence de la place centrale que ce fleuve occupe dans le pays d’Egypte. En effet, irriguant une contrée totalement désertique et se substituant ainsi à la pluie, le Nil incarnait pour les Egyptiens cette source intarissable de fécondité à l’origine de leur prospérité.

Or, voilà ce que le saint Zohar écrit au sujet du verset « Loth leva les yeux et considéra toute la plaine du Jourdain, toute entière arrosée (…) semblable au jardin du Nom (KéGan Hachem), comme la terre d’Egypte… », (Béréchit, 13 10) : « Rien ne distingue ici le Gan Hachem [littéralement le jardin du Nom] de la terre d’Egypte, ni le Gan Eden. Car il s’y trouvait autant la même prospérité qu’au Gan Hachem. Et de même que le Gan Hachem n’avait pas besoin de l’homme pour être arrosé, de même l’Egypte n’avait pas besoin d’un autre pour être irriguée. C’était le Nil qui arrrosait et irriguait la terre d’Egypte. Viens regarde. L’écriture dit : ‘Et celle des familles de la terre qui ne se rendrait pas [à la fin des temps- Ndlr] à Jérusalem se prosterner devant l’Eternel Roi, celle-là ne sera pas favorisée par la pluie, (Zacharie 14, 17). Telle est la punition qui les attend : ils ne connaîtront pas la pluie. Et juste ensuite il est dit : ‘Que si la famille d’Egypte n’y monte pas pour faire ce pèlerinage, elle non plus ne sera pas indemnne : elle subira le fléau de tous les peuples que frappa l’Eternel pour n’avoir pas fait le pèlerinage de la fête des Souccot’. Il ne pouvait être question dans ce verset de la pluie puisque la pluie ne tombe pas en Egypte et qu’elle n’en a pas besoin. Quelle sera alors sa punition ? ‘Elle subira le fléau de tous les peuples que frappa l’Eternel’ ! ».

La pluie

Ne pas avoir besoin de la pluie constitue en effet une remise en cause du principe fondamental de la Emouna – la confiance en Dieu- , à savoir le fait que le monde repose sur un rapport de va et vient entre un Machpia (celui qui donne) et un Mékabel (celui qui reçoit) ; ainsi qu’il est dit dès le premier verset de la Torah « Béréchit Bara Elokim et HaChamaïm véEt haAarets [D.ieu créa le ciel et la terre] », un mouvement d’aller retour étant nécessaire à la pérennité de la Création comme signe de son unité harmonieuse. Voilà pourquoi au sujet du verset « D.ieu n’avait pas encore fait pleuvoir sur terre, et il n’y avait pas d’homme pour travailler la terre », (Béréchit 2, 5), Rachi écrit : « Ce n’est que lorsque l’homme fit son apparition – ayant pris conscience que les pluies étaient nécessaires au monde, il pria pour elles – que les pluies tombèrent et que se dévelopèrent les arbres et les végétaux ». Indépendante donc du déterminisme naturel, la pluie est laissée entre les mains de l’homme et de sa prière, à savoir de la pleine acceptation de son statut de créature… puisque fondamentalement avoir besoin de la pluie, c’est reconnaître la présence de D.ieu et affirmer la dimension métaphysique du monde !

Comme l’enseigne rabbi ‘Hama bar ‘Hanina, dans le Traité talmudique Taanit (page 7/b) quand il dit : « Gadol Yom haGechamim kéYom ChéNivréou Chamaïm véArets [Le jour de pluies est aussi important que le jour où furent créés le ciel et la terre] ». Inversement, vivre le monde matériel sous la forme d’un « circuit fermé » sans y chercher l’intervention de la transcendance – de l’En haut -, c’est s’opposer au but même de la Création, c’est-à-dire à la révélation de cette dimension verticale présente au coeur même de l’immanence.

Sauvé des eaux !

Ainsi donc, si le Nil occupe une place de choix dans le processus de la libération d’Egypte, c’est bien parce qu’il se trouvait être l’incarnation de cette pensée idolâtre propre à cette forme de civilisation qui avait fait du « circuit fermé de la matière » – et par voie de conséquence de la nature – l’expression même de sa puissance. A telle enseigne qu’on peut lire sous la plume du prophète : « Ainsi parle l’Eternel : Je m’en prends à toi Pharaon, roi d’Egypte, grand crocodile couché au millieu de tes fleuves, toi qui dis : ‘Le fleuve est à moi, c’est moi qui l’ai fait’ », (Ezéchiel, 29, 3). S’il est dit que Pharaon se représente lui-même comme un dieu dominant majestueusement le Nil – c’est-à-dire l’Avoda Zara d’Egypte ! –, c’est bien parce que son sentiment idolâtre est poussé à son paroxysme : l’homme (Pharaon) affirme dominer la dimension spirituelle inscrite au coeur même de la nature (ici l’idole) parce qu’il se pense lui-même être le seul acteur de la spiritualité.

Rompre ce syllogisme devait donc nécessairement passer par la métamorphose du Nil et de sa valeur métaphysique, comme il est dit plus loin : « Le pays d’Egypte deviendra une solitude et une ruine, et l’on saura que c’est Moi qui Suis l’Eternnel, alors qu’il disait, lui : ‘Le fleuve est à moi, c’est moi qui l’ai fait’ », (Ezéchiel 29, 9).

Et l’on comprendra que si, dans le verset avec lequel se conclut l’épisode du sauvetage de Moché Rabénou des eaux du Nil (Chémot 2, 1-10), le Rédempteur d’Israël porte le nom de Moché, c’est précisément parce que « la fille de Pharraon le nomma Moché en disant : ‘Puisque je l’ai sauvé des eaux’ »… Par Yehuda Rück .Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française