Lors de la vision de l’échelle dont le sommet atteignait le ciel, D.ieu annonça à Yaacov : « Je serai avec toi, je veillerai sur chacun de tes pas et je te ramènerai dans cette contrée… » (Béréchit 28, 15).


Au sujet de ce verset, nous pouvons lire dans le Midrach : « Les Sages disent : A toutes les demandes que Yaacov formula, le Saint béni soit-Il lui répondit favorablement. Yaacov demanda : ‘Si l’Eternel est avec moi…’ et D.ieu répondit : ‘Je serai avec toi.’ Yaacov demanda : ‘S’Il me protège dans la voie où je marche…’, et D.ieu répondit : ‘Je veillerai sur chacun de tes pas.’ Yaacov demanda : ‘Si je retourne en paix à la maison paternelle…’, et D.ieu répondit : ‘Je te ramènerai dans cette contrée.’ Mais lorsque Yaacov demanda : ‘S’il me donne du pain à manger et des vêtements pour me couvrir’, D.ieu ne lui garantit pas une parnassa. Le Saint béni soit-Il dit : ‘Si Je lui garantis son pain, que Me demandera-t-il à l’avenir ?’ » (Midrach Tan’houma Vayétsé 3).
Dans ce contexte, le Torah LaDaat rapporte une question halakhique intéressante, qui fut posée aux décisionnaires du siècle dernier : sachant que nous devons placer toute notre confiance en D.ieu – surtout en matière de parnassa –, y aurait-il une quelconque objection à contracter une assurance-vie ? En effet, cette manière d’agir ressemble à un investissement totalement spéculatif, puisque nul ne connaît sa dernière heure. En théorie, une personne ayant totalement confiance en D.ieu devrait s’en remettre uniquement à Lui, et ne pas spéculer sur de telles incertitudes.
Cependant, comme l’indique le Midrach cité en exergue, la confiance en D.ieu ne nous impose pas de nous détacher totalement des réalités matérielles. La notion de Bita’hon est nettement plus nuancée : elle signifie que nous devons être conscients du fait que tous les moyens par lesquels transite notre subsistance, sont voulus par le Créateur Lui seul. Mais en aucun cas le Bita’hon n’exige que nous nous passions de ces moyens : ils sont une part intégrante de la réalité matérielle dans laquelle D.ieu nous a placés, et nous devons à cet égard « œuvrer » [d’où la notion de hichtadlout] pour permettre aux moyens – voulus par le Créateur – de se concrétiser.
On raconte à ce sujet qu’un jour, rav Its’hak Zéev Soloveitchik de Brisk et son fils étaient en quête d’un dixième homme pour compléter leur minyan. Le fils du rav décida à un moment d’avancer dans la rue, dans l’espoir de trouver quelqu’un un peu plus loin. Il partit dans une direction, et entre-temps, quelqu’un arriva de l’autre côté. Lorsque quelques minutes plus tard, le fils revint de ses recherches bredouille, son père lui annonça qu’un dixième homme était arrivé entre-temps. Le maître ajouta ensuite : « Ainsi va la vie : on part chercher une chose à droite, et elle nous arrive finalement de la gauche. Mais pour autant, nous devons tout de même aller à droite, car tel est notre devoir ! »
Selon bon nombre de décisionnaires, c’est donc ainsi que l’on doit envisager les assurances-vie. Comme l’écrit rav Moché Feinstein (Iguerot Moché Ora’h ‘Haïm tome II, 111) : « Une assurance-vie n’est pas différente de toute opération financière que nous réalisons en vue d’assurer notre subsistance et celle de notre famille. (…) De plus, une telle démarche peut être une source de soulagement pour l’homme, car elle lui évitera d’avoir à travailler abondamment pour s’assurer de laisser un héritage à ses enfants. (…) Par conséquent, ces assurances conviennent même aux hommes qui craignent le Ciel et qui placent leur confiance uniquement en D.ieu, car c’est Lui Qui inspire aux hommes les conseils pour bien investir leur argent ; contracter une assurance-vie peut donc être également considéré comme un ‘conseil divin’… »
Le rav Wozner (Chévet HaLévi Ora’h ‘Haïm 1), également interrogé à ce sujet, apporte au passage un éclairage remarquable sur le thème du Bita’hon : « A mon sens, ces assurances ne constituent nullement un manque de confiance en D.ieu, car il est évident que pour tous les phénomènes naturels – comme la vieillesse ou le mariage des enfants –, c’est une mitsva d’être prévoyant, afin de ne pas avoir à solliciter l’aide d’autrui. Car au moment venu, on n’a généralement pas la possibilité de trouver tous les moyens nécessaires en un court laps de temps. Et bien que dans l’absolu, une personne ayant acquis une confiance en D.ieu parfaite et sans fausseté puisse s’en remettre entièrement à Lui, assurée que le Saint béni soit-Il subviendra à ses besoins de manière prodigieuse et miraculeuse… Comme l’écrit le Haflaa : ‘Car il est certain qu’un Juste authentique, véritablement confiant en son âme et conscience, ne doit nullement œuvrer pour sa subsistance : D.ieu lui viendra en aide de manière miraculeuse. Mais la plupart des hommes, qui n’ont pas atteint un tel degré, ont le devoir d’œuvrer conformément aux exigences de la vie, car beaucoup ont tenté d’appliquer le mode de vie de Rabbi Chimon bar Yo’haï et n’y sont pas parvenus. Ceci est à mes yeux un grand principe dans beaucoup de domaines, comme je l’ai expérimenté moi-même au cours de ma vie, et il permet de résoudre de nombreuses contradictions apparentes dans le Talmud. »
Toutefois, comme le rapporte le Chévet HaLévi lui-même, un texte semble contredire cette approche : « Rabbi Eliézer le grand dit : Celui qui a un pain dans son panier et qui se demande : ‘Que mangerai-je demain ?’ est animé d’une émouna déficiente » (Sota 48/b). Cela ne revient-il pas à dire que lorsqu’on se soucie du lendemain alors qu’on dispose des besoins du jour-même, on n’a pas véritablement confiance en D.ieu ?
Selon le Chévet HaLévi, il convient de comprendre ce texte de la manière suivante : il est question ici d’un homme qui n’a non seulement rien pour le lendemain, mais qui n’a de surcroît pas même de source de revenus susceptible de combler ses besoins. Cet homme, incapable de remédier à sa situation, a donc le devoir de s’en remettre à D.ieu, et de ne pas tomber dans l’abattement. Et s’il cède au désespoir, il est alors considéré comme « animé d’une émouna déficiente », car il doit avoir l’assurance que le Saint béni soit-Il ne l’abandonnera pas. En revanche, à aucun moment Rabbi Eliézer n’affirme qu’une personne prévoyante, qui anticipe et prend ses dispositions en vue de l’avenir parce qu’elle a les moyens de le faire, soit considérée comme peu confiante en D.ieu.
Notons pour conclure la position particulière que l’on rapporte au nom du ‘Hafets ‘Haïm sur ce sujet. Selon le maître de Radin, la question des assurances-vie mérite d’être envisagée du point du vue du Jugement céleste. Nous savons en effet que la manière dont chaque homme est jugé dans le Ciel dépend de très nombreux critères. Ainsi, si une personne doit subir un mauvais sort, mais que des paramètres extérieurs justifient que cela n’arrive pas, son châtiment pourra être ajourné – voire annulé.
Prenons un exemple concret : un homme doit être condamné, à l’aune de ses actes, à perdre son gagne-pain. Cependant, si son salaire lui permet de subvenir également aux besoins d’autrui – sa famille par exemple –, il est impératif, pour que le Jugement céleste soit applicable, que sa famille mérite elle aussi d’être privée de subsistance. Et si ce n’est pas le cas – parce que le mérite de sa femme ou de ses enfants seraient supérieurs –, cet homme gardera son emploi, uniquement en vertu du mérite de sa famille.
Calquons cette idée au cas de l’assurance-vie : supposons qu’un homme, en raison de ses actes, mérite de décéder dans l’année. Cependant, pour que cette sentence soit applicable, il faut encore que ses enfants méritent eux aussi de perdre leur père, qui subvient à leurs besoins. Si ce n’est pas le cas, cet homme pourrait rester en vie pendant encore de nombreuses années, uniquement pour continuer à soutenir sa famille financièrement. A présent, si cet homme décide de contracter une assurance-vie, il s’avère qu’en cas de décès, ses enfants ne seront pas forcément dans le besoin, étant donné qu’ils hériteront d’une somme substantielle. Il se pourrait donc tout à fait que par cette démarche, cet homme se condamne lui-même à mourir dans un avenir proche… A cet égard, le ‘Hafets ‘Haïm considérait qu’il convient de ne pas contracter de telle assurance, pour ne pas se priver du mérite de subvenir aux besoins de sa famille.
Mais en tout état de cause, ce dont nous devons rester bien conscients est que toute source de revenus n’est qu’un moyen – et nullement la cause – de notre subsistance. Car la cause première ne sera jamais autre que la volonté du Créateur, qui subvient aux besoins de tous les êtres du monde.
Par Yonathan Bendennnoune, en partenariat avec Berachit