Les zemiroth de Chabbath (Introduction)

Signalons d’abord, pour éviter toute confusion, que le mot zemiroth n’a pas la même signification dans le judaïsme sefarade, italien ou oriental que chez les achkenazes.
Les premiers l’appliquent aux versets, psaumes et louanges que l’on récite dans les prières de Cha‘harith. Les mots zemiroth et pessouqei de-zimra sont employés indistinctement par le Choul‘han ‘aroukh (voir par exemple Ora‘h ‘hayyim 51, 1 et 8), et ils portent parfois le nom de baqachoth.


Dans les communautés achkenazes, le mot désigne les chants que l’on entonne le Chabbath à la table familiale.
C’est de cette acception qu’il sera question ici.
Nous disposons de nombreux moyens de manifester la joie que nous procure leChabbath : Une demeure accueillante et bien éclairée  – les bougies du vendredi soir sont les vestiges des époques où l’on ne disposait ni du gaz d’éclairage ni de l’électricité – des repas savoureux, et aussi des chants (en hébreu : zemiroth).
L’une des occupations pendant Chabbath la plus répandue et la plus populaire consiste en effet, tant à la synagogue qu’à la table familiale, à entonner ces chants de circonstance.
Nos Sages ont attribué à cette activité une importance telle qu’ils en ont écarté la règle selon laquelle, depuis l’abolition du Sanhédrin, on ne doit plus chanter pendant les banquets (Michna Sota 9, 11).
Les zemiroth possèdent en effet une vocation pédagogique irremplaçable. L’enfant qui les a entendus Chabbath après Chabbath à la table de ses parents les conservera en mémoire de façon indélébile. Et même s’il n’en saisit que rarement les mots et le sens, il se souviendra toujours des airs sur lesquels ils ont été chantés.
Peut-être est-ce pour cette raison que les rabbins allemands comme rav S. R. Hirsch ourav Ezriel Hildesheimer, fondateur du Rabbiner-Seminar für das orthodoxe Judentum, ont autorisé les femmes à participer, même en présence d’hommes dont elles n’étaient pas les proches parentes, au chant des Zemiroth de Chabbath (voir Techouvoth Seridei Eich [2, 8] de Rav Ye‘hiel Jacob Weinberg).
Ces zemiroth sont parfois d’inspiration kabbalistique, comme Lekha dodi. Il en est qui expriment de l’admiration envers la table familiale et envers les mets délicieux dont elle est ornée, d’autres qui vantent les efforts de ceux et celles qui ont consenti des sacrifices en l’honneur du Chabbath. C’est le cas, par exemple, de Chimrou chabthothaï. Il en est d’autres enfin, comme Yah ribbon ‘olam, où il n’est pas du tout question deChabbath, mais qui célèbrent l’alliance de Hachem avec le peuple d’Israël.
C’est au seizième siècle qu’ont commencé d’être publiés, notamment à Amsterdam et à Constantinople, des recueils de zemiroth. Au fil des ans, celles-ci se sont réparties en trois groupes : celles du vendredi soir au nombre de huit, celles du Chabbath à midi également au nombre de huit, et celles de la fin de l’après-midi du Chabbath, au nombre de neuf, destinées à prolonger le Chabbath aux dépens du « profane » (Chabbath 118b ;Choul‘han ‘aroukh Ora‘h ‘hayyim 293, 1). Certains y ont ajouté celles qui accompagnent le Melawé malka, cette collation prise après la tombée de la nuit et destinée à « raccompagner » la reine Chabbath et à prendre congé d’elle jusqu’au vendredi soir suivant.
Nous ajouterons à ce décompte Lekha dodi, qui fait partie de l’office synagogal du vendredi soir, ainsi que Chalom ‘aleikhem et Echeth ‘hayil, que l’on peut considérer comme des hors-d’œuvre du premier repas de Chabbath.
Les airs sur lesquels sont chantés les zemiroth sont empruntés soit à la musique synagogale, comme celle de Lewandowski, soit le plus souvent aux musiques populaires en honneur dans les pays dont ils sont issus. Les familles séfarades originaires d’Afrique du nord affectionnent tout particulièrement les airs empruntés à la musique andalouse. Dans les milieux achkenazes, on reste fidèle aux musiques des pays dont ils sont originaires, en particulier de Russie, de Pologne, d’Allemagne ou d’Alsace.
Signalons à ce sujet une réflexion attribuée au compositeur Frédéric Chopin par Frédérick Niecks, son biographe : « Pauvre musique polonaise ! Tu ne te rends pas compte le moins du monde à quel point tu seras entrelardée avec Ma youfis(prononciation judéo-polonaise de Ma yafith, l’une des zemiroth du vendredi soir) ! » Cette réflexion, venue de quelqu’un dont on sait qu’il ne portait pas les Juifs dans son cœur, atteste des liens avec les musiques vernaculaires.
Il convient encore de noter que les ‘hassidim, dont on sait le goût prononcé pour le chant, entonnent le Chabbath, tout autant que des zemiroth, des mélopées sans paroles, dont chacune est souvent caractéristique de leur obédience.
(à suivre)
Jacques KOHN zal’