La Seoudat Yitro est une séouda célébrée pendant le 5e jour (jeudi) de la semaine de la paracha du même nom. En général, elle est célébrée par les juifs tunisiens et constantinois.

Cette séouda est aujourd’hui connue du fait qu’a la fin du 19e siècle en Tunisie, une terrible épidémie de diphtérie qui causa la mort de jeunes garçons s’est arrêtée lors du jeudi cette semaine. Du fait qu’on donnait de la chair de pigeon aux malades, il était coutume de manger des pigeons. Depuis, pour plusieurs raisons, on a remplace les pigeons par des coquelets (le pigeon étant difficile a trouver a l’achat aujourd’hui, et ne contenant que très peu de viande, causes de maladies aussi). On a aussi l’habitude de servir les plats dans de la petite vaisselle (‘halota) voire de tout servir en petit (petites ‘hallot, etc), en rapport avec les jeunes garçons.
On peut aussi rajouter le fait que les enfants commençaient a étudier au talmud torah des l’age de 5 ans, et que cette semaine ils apprenaient pour la première fois le passage des 10 commandements.

Mais il s’avère que la source de ce minhag est bien plus ancienne et est un minhag purement algérien. Peut-être qu’avec l’influence renouvelée en Tunisie, les constantinois, proches géographiquement de la Tunisie, sont ceux qui ont le plus garde le minhag avec le temps.
Le Rav Moche Kalfon dans son livre Brit Kehouna rapporte que ce minhag était nouveau en Tunisie.

*Yitro*
Yitro est connu pour être le beau-père de Moise, Moche Rabbenou, et le père de Tzipora. Il vient de Midiane. Midiane était l’un des enfants d’Abraham et Ketoura. Ce sont donc a un certain degré des cousins du peuple d’Israël. Dans la Paracha, nous pouvons lire que Yitro a entendu les bienfaits que Dieu a fait a Israël (sortie d’Egypte, ouverture de la Mer, guerre avec Amalek) et est venu rendre visite a Moise et au Am Israël au Sinaï, plus ou moins lors de la période du don de la Torah via les 10 Commandements (Chabouoth). Les commentateurs nous apprennent qu’il s’était converti, lui et toute sa famille, au Judaïsme (ce qui inclut brit mila et mikveh). Apres avoir offert des sacrifices a Dieu, Yitro, Moise et ses deux fils, Aharon et les anciens ont réalise une seouda dans la tente de Moise. On apprend aussi que Yitro avait 7 noms, l’un de ses noms etant Keni. Depuis lors, bien que convertis et part intégrante du Am Israël, la famille de Yitro, les Kenim (Kenites), ont toujours été distingues par leur noble ascendance. On trouve cette distinction dans tous les ages dans le Tanakh (bible hébraïque) :
– Apres l’époque de Moise et de Yehoshoua (Josué), durant l’époque des Juges, Barak et Déborah livrent guerre aux Cananéens, et le général de l’armée ennemi, Sissera, s’enfuit et va se réfugier dans la tente de Yael, une femme juive. La question qui se pose c’est pourquoi est-il allé se réfugier chez l’ennemi ? On apprend que Yael était la femme de « ‘Heber le Keni », et que les Kenim étaient en paix avec les peuplades alentour…
– Dans le livre de Chmouel (Samuel), le roi Chaoul (Saul) prévient les Kenim de sortir d’entre les Amalecites car il va exterminer ces derniers sur l’ordre de Dieu.
– David Hamalekh, après une guerre, annonce qu’il va partager le butin avec la tribu de Yehouda et les Kenim.
– A l’époque du schisme, des Kenim étaient proches de la royauté et étaient encore distingues (Re’hab et son fils Yehonadav). Depuis lors on peut se référer a eux comme les « Re’habim ».
– Le prophète Yirmeya (Jérémie) loue les Kenim du fait qu’ils ont garde les préceptes de Dieu.
– On peut aussi noter que même dans le 2e siècle, Rabbi Yossef ben Halaphta, auteur du Seder Olam Rabbah, est distingue comme un descendant de Re’hab.

Il semblerait que les descendants de Yitro soient arrives en Algérie. Une responsa manuscrite de Rabbi Haim Bliah (Tlemcen, Algérie) rapporte au nom des Gueonim que c’est notamment pour continuer de préciser leur ascendance qu’ils faisaient cette Seouda le jeudi, dans la journée (Yom ‘Hamishi, le 5e jour, et non pas le jeudi soir).

Cette coutume est donc un rappel du don de la Torah via les 10 commandements dont la paracha se lit cette semaine, mais aussi du repas de Yitro, Moise et ses fils, Aharon et les anciens dans la tente de Moise après la conversion de la famille de Yitro, et plus tard la fin de l’épidémie de diphtérie en Tunisie.

*Coutumes*
– On a l’habitude de ne pas dire de Ta’hanoun en ce jour.
– On fait une seouda durant la journée de jeudi. Si c’est difficile, on pourra effectivement le faire le jeudi soir, et non pas le mercredi soir, car c’est plus proche de Chabbath.
– On mange des coquelets
– On fait une pièce montée, rappel du Mont Sinaï
– On sert dans de la petite vaisselle (‘halota) et on prépare des petites portions de nourriture (rappel des enfants de Moise et des enfants tunisiens sauves)

Merci au Rav Yossef Nakache, auteur de Yechouot Yossef pour son apport, et behatslaha a lui pour son ouvrage sur les minhagim d’Algérie (où la seoudat Yitro sera développée plus en profondeur).

Par Binyamin Meir Khalifa