Le soir du Sédèr , après avoir consommé la matsa et le maror , on procède à une nouvelle consommation de ceux-ci, sous la forme, cette fois, de ce que l’on appelle parfois le «sandwich de Hillel».On enveloppe un morceau de la taille requise de maror dans deux morceaux de la matsa du dessous, et l’on consomme le tout en s’accoudant après avoir dit:

«En souvenir du Beith hamiqdach , selon l’usage de Hillel: Ainsi faisait Hillel lorsque le Beith hamiqdach existait: Il assemblait (l’agneau pascal) la matsa et le maror et les consommait ensemble, pour accomplir ce qui est écrit: Sur des matsoth et des herbes amères, ils le consommeront ( Bamidbar 9,11)».

Le Michna beroura ( Ora’h ‘hayim 475,N°16) explique comme suit les raisons du korekh : Il a été institué pour tenir compte de l’opinion de Hillel qui considérait que la matsa et le maror doivent être consommés simultanément ( Pessa’h im 115a). Cependant, comme la mitswa du maror , depuis la destruction du Temple, n’est plus que mide-rabbanane («d’ordre rabbinique»), alors que celle de la matsa est restée mide-orayytha («d’ordre de la Tora »), on a conservé les deux façons d’exécuter ces deux mitswoth : une première fois séparément pour tenir compte de la différence entre leurs statuts respectifs, et une second fois simultanément.

C’est pourquoi on ne récite pas de nouvelle berakha et c’est aussi pourquoi il est interdit de parler (sauf nécessité impérieuse et immédiate) entre les deux mitswoth ( Choul’han aroukh Ora’h ‘hayim 475,1).

‘Had gadya

La soirée du Sédèr s’achève, dans beaucoup de tables familiales, sur la chanson du cabri, ‘Had gadya , cet agneau «unique» que le «père» avait acheté pour deux zouz , et qui va être à l’origine d’une succession de malheurs: Le chat qui l’a mangé a été lui même mordu par le chien, et ainsi de suite jusqu’à l’intervention du Saint béni soit-Il qui met fin au récit.

Les commentateurs considèrent généralement que le cabri représente le peuple juif, le père qui l’a acheté étant Hachem , et les deux zouz symbolisant les deux tables de la Loi données au Sinaï. Les «personnages» qui interviennent dans ce chant représentent les différentes étapes de l’histoire des enfants d’Israël, depuis la Création jusqu’à la fin des temps.

Si l’on considère cependant l’enchaînement des agents qui se succèdent dans le récit entre l’agneau et le Saint béni soit-Il, on s’aperçoit qu’il fixe les responsabilités d’une manière déconcertante:

L’agneau incarne bien évidemment l’innocence.

Le chat qui le dévore représente par conséquent la méchanceté.

Cette méchanceté sera punie par le chien.

Le chien, qui a pourtant accompli une bonne action, en est puni, et ce par le bâton.

Le bâton, ce «méchant», est puni comme il se doit, par le feu.

Mais le feu, qui n’a fait qu’exercer la justice, est éteint par l’eau.

L’eau sera donc, à juste titre, bue par le boeuf.

Mais pourquoi le boeuf, qui n’a rien fait de mal, est-il égorgé par le boucher?

L’Ange de la mort ne fait alors que son devoir en punissant le boucher pour le mal qu’il a fait.

Et nous en arrivons au Saint béni soit-Il: Pourquoi tue-t-Il l’Ange de la mort, dont le comportement a été irréprochable?

En résumé, nous avons successivement:

– Le «gentil» cabri.

– Le « méchant » chat.

– Le « gentil » chien.

– Le « méchant » bâton.

– Le « gentil » feu.

– La «méchant »e» eau.

– Le « gentil » boeuf.

– Le « méchant » boucher.

– Le « gentil » ange de la mort.

? Le « méchant » Saint béni soit-Il!

Il semble donc bien, à lire attentivement cette chanson de ‘Had gadya , qu’elle constitue une sorte de contestation de la justice divine, puisqu’elle range Hachem parmi les «méchants».

Rav Shraga Simmons, de Aish HaTorah , propose une explication au nom de rav Nathan Adler (1742 – 1800), le maître du ‘Hatham sofèr :

Il paraît évident que le chat a eu tort de manger l’agneau, que le chien avait de bonnes raisons de mordre le chat, etc.

Le chien, cependant, a commis une erreur: celle d’intervenir dans un règlement de comptes qui ne le concernait pas personnellement, et d’aggraver ainsi une situation déjà suffisamment compliquée. Il a donc mérité d’être frappé, mais le bâton, à son tour, s’est mêlé de ce qui ne le regardait pas, et ainsi de suite?

De la même manière, Hachem sera justifié, à la fin des temps, de châtier l’Ange de la mort, lequel n’avait rien à voir non plus dans l’affaire.

La leçon à retirer de ce chant. Il nous arrive souvent, en prenant parti dans une querelle, de ne réussir qu’à l’envenimer. Lorsque nous assistons à ce que nous croyons être une injustice, ne nous transformons pas en justiciers, mais essayons de jouer les bons offices. C’est de l’eau, et non de l’huile, qu’il faut apprendre à savoir jeter sur le feu!

Jacques KOHN zal