A l’occasion de Yom Hashoah, LPH avait recueilli le témoignage exclusif de Madame Rahel Zini, rescapée d’Auschwitz.

Rahel Zini a pris sa revanche sur le nazisme: mariée au Rav Meir Zini, elle est la mère du non moins célèbre Rav Eliahou Zini de Haïfa, ou encore la grand-mère du Colonel David Zini, officier réputé de Tsahal. Mère de six enfants, elle compte désormais une descendance de plus de 120 petits-enfants et arrière-petits-enfants!

A 94 ans, elle fait partie des derniers témoins directs de l’horreur qu’a été la Shoah. Elle nous livre son histoire, la monstruosité dont elle et des millions de nos frères et sœurs ont été victimes pendant cette période noire de l’histoire.

Le P’tit Hebdo: Où avez-vous grandi?

Rahel Zini: Je suis née en Tchécoslovaquie devenue malheureusement hongroise. Mon père était avocat, ma mère était d’une famille aisée. Nous étions des Juifs assimilés. Nous vivions dans un château, dans un village de 350 personnes, entourés d’amis chrétiens. Nous avions même le téléphone, la radio et une voiture!

J’avais 22 ans quand la guerre a éclaté.

Lph: Comment se sont alors comportées vos relations chrétiennes?

R.Z.: Je garde en mémoire un souvenir qui va répondre à votre question. Nous vivions donc dans un château mais il a fallu que nous partions pour le ghetto, comme tous les Juifs. J’avais une très bonne amie qui, la veille de notre entrée dans le ghetto, m’a proposé de garder mes robes. Je lui ai répondu que ce n’était pas la peine: si je revenais vivante, je voulais avoir de quoi m’habiller. Elle est revenue le soir même en insistant. Je les lui ai donc confiées. Une autre amie chrétienne m’a raconté qu’elle l’avait rencontrée avec une de mes robes et lui a demandée pourquoi elle portait mes vêtements. Si elle avait répondu »elle est morte », j’aurais compris, mais elle a répondu »il y a longtemps qu’elle est crevée »….

Lph: Vous avez ensuite été déportée?

R.Z.: J’ai été déportée avec ma mère et ma sœur enceinte de six mois. Mon père avait été réquisitionné déjà avec les autres hommes valides du ghetto.

Quand nous avons été déportées nous étions 85 personnes dans un wagon où il y a avait la place pour trois chevaux. Il n’y avait que des vieillards, des handicapés, des enfants, des femmes qui allaitaient, des femmes enceintes.

Une petite fille de 8 ou 9 ans qui était dans le wagon a demandé: »c’est maintenant que le gaz arrive? ». Sur les 85 personnes présentes, personne n’a répondu, c’était terrible… En effet, nous savions, nous avions entendu à la radio ce qui se passait pour les Juifs déportés.

On a continué jusqu’à Auschwitz. Une fois arrivés, nous avons ouvert le wagon et nous avons malheureusement sortis plusieurs cadavres…On entendait des cris, des coups.

Un vieil ami de notre famille avait dans sa main une paire de chaussures montantes pour hommes, très bonnes: il me les a tendues et m’a dit »là où je vais, je n’en aurais pas besoin ». Il me les a données. C’était très dur.

Lph: Que s’est-il passé sur place?

R.Z.: On nous a demandé de nous déshabiller complètement et de bien ranger nos vêtements et nos chaussures pour les retrouver.

Nous sommes alors arrivées sur une place au milieu de laquelle était assis un homme très gros avec des gants jusqu’aux coudes: c’était Josef Mengele. Nous passions notre première sélection. Les micros hurlaient: »Celle qui va à droite aura un litre de lait et un pain entier par jour! ». Je vois que celles qui vont là-bas sont les jeunes mères et les handicapés. Je dis à ma mère que nous devons aller à gauche. Elle était réticente mais finalement, nous partons à gauche. Nous avons alors bénéficié d’un premier miracle: si nous étions parties à droite nous ne serions probablement plus là.

Je passe, comme toutes, nue, devant Mengele, pour la sélection. Nous sommes conduits dans une grande salle avec des pommeaux de douche au plafond. On était à peu près 800 femmes nues dedans. Les nazis se sont mis aux fenêtres et ont crié: »Le gaz arrive! ». Les femmes se sont précipitées vers la porte: plusieurs sont mortes piétinées. Heureusement c’était de l’eau tiède qui est sortie des douches. Nous ne nous sommes pas lavées, nous avons bu cette eau: on ne nous avait rien donné à boire depuis 48 heures! On nous a ensuite rasé la tête.

En sortant on nous a donné un morceau de savon sur lequel était inscrit RIF. Apres plusieurs heures de réflexion, nous avons compris qu’il s’agissait des initiales allemandes de »pure graisse juive ». Nous avons donc enterré ces savons: ils étaient les corps de nos coreligionnaires…

Nous sommes entrées ensuite dans la bicoque qu’ils nous ont donnée après nous avoir tatoué le numéro sur le bras. Ils nous injectaient du chrome avec des seringues complétement rouillées pour que nous ne puissions pas avoir d’enfant. Dans la nourriture, que l’on recevait dans des boites de conserve rouillées, ils mettaient aussi des produits dont de la levure pour que nos ventres gonflent.

Lph: Vous êtes restées à Auschwitz tout le temps?

R.Z.: Nous avons été amenées dans un camp de travail près de Cracovie. On portait toute la journée des pierres de 20 kg. Un jeune kapo juif d’une vingtaine d’années qui nous surveillait, trouvait que ma mère ne courait pas assez vite. Il lui a donné une gifle qui lui a éclaté une veine. Ma mère a riposté: »tu n’as pas honte! Je pourrais être ta mère! ». Il lui a répondu: »Si tu savais les expériences sexuelles que je dois subir depuis des années par la femme SS avec qui je vis, tu comprendrais que je suis devenu un sauvage pareil ».

Un beau jour, ils nous ramènent à Auschwitz. On était désespérées. On savait que le pire nous attendait. Nous passons une deuxième sélection avec Mengele. On avait sur nous la robe rayée sans sous-vêtements. Cette robe était composée d’un tiers de tissu, d’un tiers d’orties et d’un tiers des cheveux des Juifs. Il fallait passer toute nue, les mains en l’air. J’avais un furoncle sous le bras dû au manque de vitamine. Ma mère avait demandé à une amie anesthésiste de me l’ouvrir. Je n’ai pas levé les bras complétement, ma blessure risquait d’être fatale pour moi. Mengele a crié: »reviens celle qui n’avait pas les deux mains en l’air! ». Comme j’étais dans une foule, je ne suis pas revenue et j’ai pu passer. Encore un miracle…

Puis on nous a emmenées en Allemagne. Nous étions crasseuses avec des robes déchirées. Nous devions être formées pour le travail par trois ingénieurs. J’ai surpris une de leur conversation. L’un disait: »ce sont des cadavres, ce n’est pas de la main-d’œuvre! Il faut les renvoyer à Auschwitz ». Son collègue lui a rétorqué: »tu es prêt à avoir leur mort sur la conscience si on les renvoie? ». Alors ils nous ont gardées. Ce fut un miracle!

Si nous faisions notre tâche, nous recevions le soir une tranche de pain composé de trois quarts de farine et un quart de sciure de bois.

Lph: De quoi avez-vous le plus souffert?

R.Z.: Les coups ne me faisaient rien. La faim était le plus terrible. Une nuit, je ne pouvais pas dormir, tellement j’avais faim. Alors je me suis dit: je ne mange pas ma tranche de pain le matin, je la cache sous le matelas pour la manger le soir avant de dormir. On dormait à trois sur un lit de 80 cm. Je reviens le soir, je ne trouve pas ma tranche de pain. Je m’énerve dans toutes les langues que je connaissais accusant mes camarades de vol! Ma mère devient blanche: c’était elle qui l’avait mangée…

Lph: Comment êtes-vous sorties d’Auschwitz?

R.Z.: Je suis sortie du camp avec ma mère. Dès le départ, nous savions que ma sœur ne survivrait pas… Quand le vent a commencé à tourner pour les nazis, on nous a entassées à 25 dans un wagon ouvert. Il faisait froid. Nous avions pour deux jours un morceau de pain et une bouteille d’eau. Le matin on s’aperçoit que les Anglais ont bombardé le train. La marche de la mort a alors commencé à travers toute la Forêt Noire. Le dernier jour, ils nous ont donné des macaronis crus et pas d’eau comme nourriture…

Puis les soldats américains sont arrivés. Ils nous ont emmenées dans un hôtel luxueux. Les officiers américains juifs nous ont donné tout ce dont on pouvait rêver: des chaussures confisquées aux allemands, de la nourriture! Je me souviens que j’avais envie de gruyère, un officier américain m’a apporté un gruyère entier!

Des Yougoslaves ont arraché les rideaux de l’hôtel pour nous coudre des robes tout de suite.

Lph: Comment avez-vous rencontré votre mari dans ce contexte?

R.Z.: Les Américains nous emmenaient danser tous les soirs. Quand ils sont partis, nous étions un peu désemparées. L’armée française a pris leur place. Les soldats français étaient beaucoup plus affaiblis, eux aussi par la faim et la dureté de la guerre. Le 14 juillet, il était impensable que nous ne sortions pas danser! Nous avons donc invité les Juifs de l’armée française. C’est ainsi que j’ai connu mon mari, aumônier. Nous nous sommes mariés dans notre château d’avant-guerre.

Puis nous sommes partis en Algérie. Pour moi, c’était un monde qui avait 50 ans de retard sur l’Europe. Mon fils ainé Eliahou est nommé d’après mon père.

Je me suis bien adaptée au monde séfarade. Je ne connais que peu d’ashkénazes aujourd’hui! J’ai aimé la chaleur et la convivialité de cette culture.

Lph: Aujourd’hui vous vivez en Israël. Est-ce l’accomplissement de votre vie?

R.Z.: Pendant 40 ans, mon mari a été Rabbin. Nous avons fait notre alya il y a 10 ans. Mon mari aurait voulu venir plus tôt. Je suis heureuse de vivre en Israël. Quand nous sommes arrivés en France d’Algérie, nous vivions dans deux pièces de 45 m2 avec nos six enfants. Aujourd’hui nous devons mesurer la beauté de notre pays et des gens qui l’habitent!

Propos recueillis par Avraham Azoulay écrit par Guitel Benishay LPH