Si le miracle de ‘Hanouka semble se résumer à cette petite quantité d’huile qui se consuma huit jours au lieu d’un seul, les commentateurs relevèrent néanmoins de nombreuses interrogations à ce sujet. Voici donc l’une d’entre elles…

Un principe connu dans les lois sur l’impureté établit que lorsqu’un état d’impureté – supposé empêcher tout contact avec le Temple et les sacrifices – concerne une assemblée toute ent tière, celui-ci se voit « repoussé » en raison des besoins de la communauté, et de ce fait, il est alors permis de réaliser les différents services à l’intérieur du Temple en dépit de l’impureté en question. Par conséquent, il y a lieu de s’int terroger : pour quelle raison les ‘Hachmonaïm n’appliquèrent-ils pas cette règle afin d’allumer le Candélabre à l’aide de l’huile « impure » laissée par les Grecs dans le Temple, au point où un miracle devint indispensable ? Pour résoudre ce problème, il nous faut revenir au fondement même du « devoir de l’homme » en ce monde.

 Deux degrés de perception humaine

Par l’ampleur et la profondeur de ses dimensions, la Torah place l’homme face à une spiritualité d’une grande intensité, qui souvent même le dépasse totalement. Or il apparaît qu’il a été donné à l’être humain d’aborder ces mondes transcendants par deux approches différentes : il existe un stade où l’homme peut s’imprégner intérieurement des concepts qui lui sont révélés au point de les ressentir comme un aspect de sa propre personnalité. Il peut alors en venir à les percevoir intimement dans son coeur et dans son plus for intérieur. Cette approche devient alors celle de l’immanence. Mais il existe par ailleurs une seconde approche, quant à elle essentiellement intellectuelle, qui se loge au creux de l’esprit et qui prend la forme d’une représentation imaginaire que l’homme est capable de se faire d’un élément qui le domine. On parle alors d’une conception transcendante.

 Dans sa première introduction au « Guévourot Hachem », le Maharal explique que ces deux modes de relations que l’homme peut ent tretenir avec la spiritualité sont à l’origine du silence observé par la Torah quant au Monde futur, le « monde de la récompense » (si ce n’est par allusions). De fait, dans la mesure où la Torah fut transmise par voie prophétique – celle de Moché en l’occurrence -, il était par conséquent impossible de transmmettre par ce biais une description du Monde futur qui lui, ne peut être révélé même par la prophétie ! En effet, le Prophète – qui est aussi appelé « visionnaire » [‘hozé ou roéh] – perçoit les révélations qui lui sont suggérées de manière intime et du plus profond de son être. Or dans ses visions, il ne peut voir que ce qu’il distingue et assimile de la manière la plus authentique et profonde qui soit. Et par conséquent, Moché – tout au moins en tant que prophète – ne put avoir de révélation concernant un Monde qui se détache totalement de son être tel qu’il se percevait lui-même en ce monde.

 Or à ce propos, les dispositions du Sage s’avèrent plus étendues : par ses facultés intellectuelles, l’homme qui pense avec son esprit est à même de discerner des concepts qui le dépassent totalement, bien que d’une manière certes plus superficielle que ne l’est la vision prophétique. En faisant usage de son esprit, le Sage est donc à même de découvrir tout au moins l’aspect superficiel d’un monde qui le surpasse intégralement, et à ce titre, l’adage talmudique s’impose comme une évidence : « Le Sage est supérieur au Prophète ».

 Le rôle de l’homme en ce monde

L’initiateur du mouvement du moussar, le très célèbre rav IsraëlSalanter zatsal (1810-1883), se livre souvent au fil de ses brefs écrits à de profondes analyses de la nature humaine. A plusieurs reprises, il démontre ainsi avec une acuité étonnante que l’homme est doté par essence de dispositions morales de deux qualités distinctes : il les désigne par dispositions « intérieures » et « extérieures ».

 Ainsi, les dispositions morales « intérieures » de l’homme se logent-elles au plus profond de son être : elles définissent sa nature profonde et il n’en a généralement même pas conscience. Voilées du regard que l’homme porte sur lui-même, ces dispositions morales – que l’on qualifiera quelques dizaines d’années plus tard « d’inconscientes » – sont d’une intensité singulière et elles se manifestent généralement dans les actes que l’être humain effectue spontanément. De surcroît, toute décision que l’homme est porté à prendre est, sans qu’il ne s’en rende généralement compte, nettement marqt quée du sceau de ces tensions internes. Rav Israël donnait l’image suivante pour illustrer cet aspect de la personnalité : un grand sage avait un jeune disciple qu’il affectionnait profondément. Il était assidu, sagace et doté de toutes les qualités qu’un maître peut espérer voir chez son élève. Or cet homme avait aussi un fils qui était quant à lui paresseux, méprisant envers lui, et qui glissait déjà sur une pente hasardeuse. Le rav s’était donc détaché de ce fils dont il réprouvait le comportement.

Voyons cependant, poursuivait rav Israël, ce qui arriverait si au beau milieu de la nuit, un incendie devait éclater dans la maison où dormiraient le rav, son fils et son élève… Au saut du lit, lequel d’entre eux le maître se précipiterait-il d’aller sauver ? Sans la moindre hésitation, il se rendrait tout droit jusqu’à la chambre de son fils parce que les sentiments d’amour profonds et innés qu’il éprouve au fond de son coeur pour son enfant ne cesseront jamais de l’habiter !

S’il en est ainsi, comment l’homme peut-il un jour en arriver à surmonter ces dispositions morales si profondément ancrées en lui ? La réponse est donnée par cet enseignement talmudique (Traité Soucca, page 52/b) : « Chaque jour, le mauvais penchant de l’homme tente de vaincre et de le tuer, (…) et si ce n’était le Saint béni soit-Il qui lui venait en aide, jamais l’homme n’arriverait à le surmonter ! ».

Comme l’expliqua rav Israël en personne (dans son Maamar EtsPeri), le message délivré par ce profond enseignement est le suivant : « Comment l’homme peut-il réagir face à ces forces intérieures dont il ignore tout et qu’il ne resssent même pas ? (…) C’est ce que les Sages nous enseignent par ces quelques paroles de consolation : (…) lorsque l’homme réalise quel est son véritable devoir – façonner et parfaire sa personnalité extérieure –, alors D.ieu enverra Son aide lui permettant de surmonter et d’améliorer ses dispositions intérieures jusqu’à la perfection la plus complète qui soit ». Tel est le travail auquel l’homme est soumis : ses dispositions morales intérieures ne lui appartiennent pas et sa vocation doit précisément être de parvenir à faire influer – par la force de sa volonté et par sa détermination pour la Gloire de D.ieu – sa conscience sur son inconscient. Or, il s’avère que ce type de démarche constitue le modèle sur lequel prend forme tout le développement intellectuel de l’être humain : dans le domaine des dispositions mort rales, l’homme ne peut espérer un jour vaincre ce qu’il ne maîtrise pas qu’à l’aide des outils dont il dispose. Ainsi en est-il dans de nombreux autres registres, notamment celui de la connaissance et de la perception intellectuelle. Si l’être humain souhaite un jour pénétrer des dimensions de connaissance qui le dépassent totalement – au point de les assimiler par une approche immanente –, il devra oeuvrer avec les moyens dont il dispose, c’est-à- dire son intellect et ses facultés au demeurant limitées pour voir un jour s’ouvrir à lui des mondes dont il n’aurait jamais pu imaginer jusqu’à l’existence même !

 Le secret de la fiole d’huile

Or tel s’avère être le message caché dans dans le miracle de ‘Hanouka. Le chiffre 8, nous le savons, exprime en de multiples occasions cette dimension spirituelle inaccessible dans notre monde, contrairement au nombre 7 qui clôture par sa spiritualité les six jours de la Création. A cet égard, ‘Hanouka se révèle exactement comme le dépasst sement de l’ordre du monde.

 Sur ce front, le combat est mené par un groupe de soldats « peu nombreux et faibles » face à unearmée « nombreuse et puissante ». C’est ainsi que dans le Sanctuaire, la fiole d’huile offre beaucoup plus que son contenu : dans un cas comme dans l’autre, c’est l’impossible qui domine le possible ! En dépit de l’impossibilité de départ du défi qu’ils lancèrent, les Hasmonéens n’hésitèrent pas à se jeter corps et âme dans une tentative a priori perdue d’avance et à allumer une petite quantité d’huile manifestement insuffisante pour les huit jours à venir… Or c’est précisément cette abnégation et cette confiance presque aveugles qui, au mépris de toutes les lois de la nature, leur ont valu tant de miracles.

 Certes, ces hommes auraient pu s’en remettre aux normes halakhiques des « situations d’impureté » qui leur permettaient de poursuivre l’allumage même avec de l’huile impure, mais c’est eu égard à leur dévouement qui dépassaleurs capacités que surgit un miracle inattendu et pour ainsi dire « superflu » qui surpassa les règles de ce monde !

Adapté à partir d’un enseignement du rav Dessler dans « Mikhtav méEliyahou » par Yonathan Bendennoune
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