Alors que les Enfants d’Israël ont entamé un chant lors de la disparition des Egyptiens dans la mer Rouge, le septième jour de Pessa’h, nous ne récitons pourtant pas le Hallel complet. Une anomalie qui mérite d’être expliquée…

« Lorsque ton ennemi tombe, ne te réjouis pas ;s’il succombe, ne jubile pasen ton coeur ! »,(Proverbes 24, 17)

Cette semaine, notre Chabbat porte le nom de « Chabbat Chira » conformément au Cantique de la mer que nous lisons à l’occasionde la paracha Béchala’h. Or, cette lecture de la Torah est remarquable dans la mesure où cet épisode fondateur de l’Histoire juive se distingue par le fait qu’après avoir été libéré du joug égyptien, le peupled’Israël offrit littéralement sa voix à l’Eternel !

Expression de sa reconnaissanceet des éloges qu’il adressa alors àson Créateur, la « Chirat haYam » -littéralement le Chant de la mer -exprime non seulement l’admirationd’Israël devant les miracles opérés lors de la Sortie d’Egypte,mais, de manière plus fondamentale encore, le leitmotiv de la « Emouna », ainsi qu’il est dit : « Ils crurent en l’Eternel et en Son serviteurMoïse », (Chémot, 14, 31).Car, bien qu’elles aient été chantéespour remercier l’Eternel desmiracles de la traversée de la mer Rouge, la plupart des louanges dela « Chira » font référence au futur: à la grande délivrance finale que nous vivrons lors du dévoilementdu Machia’h, aujourd’hui et rapidement !

Le Sfat Emet (Pessa’h, 5642) ajouteà ce propos que ce chant fut certes entonné en réponse à la délivrance d’Egypte, mais aussi en réponse aux affres de l’exil lui-même. Puisqu’à ce moment là, le peuple d’Israëlprit conscience que l’exil avait été voulu et mené par D.ieu en personne,comme l’explique le Traité talmudique Guittin (page 56/b) quand il interprète le verset « MiKamokha BaElim Hachem [Qui estcomme Toi parmi les dieux] ! »,(Chémot, 15, 11) ainsi : « Mi Kamokha BéElemim [Qui est commeToi parmi les silencieux] ! »…Le propre de la « Chira » consiste donc à reconnaître la Présence divine même quand elle semble masquée !

A telle enseigne que bien qu’y soient mentionnées les malédictions attendant plus tard notrepeuple s’il n’observait pas les injonctions divines, la paracha Aazinou porte aussi le nom de « Chira ».Puisque effectivement, loin d’être seulement l’expression d’un sentiment de victoire, la Torah nous enseigne qu’à travers la « Chira »nous est donné à reconnaître quela Toute-puissance divine nous accompagne, certes dans nos victoires, mais aussi dans nos malheurs(Sfat Emet, paracha Vayélekh 5639).

Toutefois, bien que le peuple d’Israël ait précisément déclamé un chant au moment de la traverséede la mer Rouge au septième jourde la Sortie d’Egypte, et que nous lisions effectivement nous-mêmes ce passage de la paracha Béchala’hà l’issue de la fête de Pessa’h, nous ne récitons pourtant le Hallel enentier que le premier jour de la fêtecommémorant notre sortie d’exil, mais seulement un Hallel raccourciles six autres jours de ‘Hol haMoèd.

Le ‘Hafetz ‘Haïm explique ainsi dansson traité intitulé « Michna Broura »(Siman 490, Seif katan 7) : « Dansla mesure où les Egyptiens ont été noyés le septième jour de Pessa’h,D.ieu s’est exprimé de la sorte : ‘Serait-il possible que des oeuvres faitesde Mes mains soient noyées et que vous, vous chantiez ?!’ »…

La « Chira » : un remerciement ; et « le Hallel » : l’acceptationde la Royauté divine !

C’est pour répondre à cette appparente contradiction que le rav Pinkous explique dans son livre « Pessa’h, Sefirat haOmer, Chavouot » (p.155 sq.) qu’il convient de distinguer deux ordres : la Chiraet le Hallel. En effet, comme cela est rapporté par le Targoum benOuziel sur le premier verset de« Chir haChirim » (le Cantique desCantiques), il est fait mention dans notre tradition de dix chants :le « Mizmor Chir léYom haChabbat » qu’entonna Adam haRichonne; « Chirat haYam » ; « ChirathaBeer » ; « Chirat Haazinou » ; « Chirat Yéhochoua [Az YachirYéhochoua] » ; « Chirat Dvora » ;« Chirat ‘Hana » ; « Chirat David » ;« Chirat Chlomo » ; et enfin le chant que nous chanterons à la fin des temps après la guerre de Gog ouMagog.

Or, écrit le rav Pinkous, si tous leschants sont saints tandis que « ChirhaChirim » est appelé « le Saintdes saints », c’est dans la mesureoù tous les autres chants ont été prononcés à l’occasion de la chute de nos ennemis ! Ainsi dans « Mizmor Chir léYom haChabbat », il est dit par exemple : « Voici que Tes ennemis sont perdus », (Psaumes,92, 10) ; dans la « Chirat haYam », il est écrit que « le cheval et soncavalier furent engloutis dans la mer » ; la « Chirat haBeer » futcomposée à l’occasion de la chute des Amoréens quand deux montagnes s’effondrèrent l’une sur l’autre et les ensevelirent ; la « Chirat Yéhnhochoua » fut dite lors de la prise de Jéricho ; dans la « Chirat ‘Hana », il est mentionné que : « (…) tandisque la mère stérile enfante sept fois, la mère féconde est humiliée », (Samuel I, 2, 5) ; la « Chirat Dvora » fut composée après la chute de Sisra ; et quant au dernier chant, il sera contemporain de la Gog ouMagog. Seul « ChirhaChirim » n’évoque donc pas un quelconque échec de nos ennemis, et c’est la raison pour laquelle il est qualifié de « Saint des saints » ! C’est pourquoi, explique encore le rav Pinkous, la différence entre la« Chira » et le « Hallel » n’est autre que celle qui distingue « Chir haChirim» des autres chants. Le chant, en effet, est tourné vers le remerciement : par exemple, quand un homme est l’objet d’un miracle, il exprime son sentiment par le biais d’un chant à travers lequel il loue D.ieu pour les bienfaits dont il a été comblé. Une telle personne chante et raconte tout cequi lui est arrivé afin de remercier D.ieu du miracle qu’il a eu le mérite de vivre. Ainsi en est-il de tous les chants ! Moché Rabbénouchanta donc la « Chirat haYam » en décrivant le déroulement du miracle: « Le cheval et son cavalier furent engloutis dans la mer (…) » ; c’est le cas aussi de la « Chirat Yehochoua » et de tous les chants que nous avons mentionnés. A l’inverse, le « Hallel » relève
d’un ordre tout à fait différent.
Davantage tourné vers la mise
en avant de la grandeur de D.ieu,
l’objet du « Hallel » concerne plus
particulièrement la crainte de
D.ieu et l’acceptation de la Royauts
té divine sans qu’il soit besoin d’y
faire mention de la chute de nos
ennemis. Et en ce sens, à l’instar
de « Chir haChirim » qui chante
la grandeur de D.ieu, le « Hallel »
est un chant beaucoup plus élevé
que tous les autres chants.
Telle serait donc la raison pour
laquelle nos maîtres ont estimé
que nous ne devons pas réciter
le « Hallel » complet le septième
jour de Pessa’h, bien que ce jour
commémore la date anniversaire
de la « Chirat haYam ».

En vertu de l’exclamation « Serait-il possible que des oeuvres
faites de Mes mains soient noyées
et que vous, vous chantiez ?! »,
l’Eternel a donc refusé aux anges
de chanter alors qu’Il réalisait
des miracles sur la mer, et ce afin
qu’ils ne clament pas la Gloire divine alors que Ses créatures sont
détruites.

S’il nous est donc donné de chants
ter la « Chira » – que nous lisons
ce Chabbat et que nous lirons à
nouveau le septième jour de Pessa’h –, c’est dans la mesure où, à
l’image de tout autre chant, elle
exprime notre reconnaissance
envers les miracles dont nous
avons été les témoins dans ce
monde, c’est-à-dire conformément à notre rapport intime avec
la matière et aux sentiments que
nous avons alors éprouvés…
En revanche, dans la mesure où
il concerne le dévoilement de la
grandeur de D.ieu et qu’il décrit
Son rayonnement dans le monde
en relevant d’une dimension où la
spiritualité humaine elle-même
semble n’être que matière comparée à la lumière éblouissante de
la gloire divine, le « Hallel » ne
saurait être lu en son entier, alors
que cette lumière semble quelque
peu obscurcie…

Yehuda Rück


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