Hachem dit à Moché : « Viens vers Pharaon ! Car Moi J’ai endurci son c?ur et le c?ur de ses serviteurs, afin que Je mette Mes signes-là en son milieu. Et afin que tu publies aux oreilles de ton fils et de ton petit-fils ce que J’ai accompli en Egypte, et Mes signes que J’ai placés en eux ; vous saurez que Je suis Hachem. » (10, 1-2)

Pourquoi Hachem a-t-Il ordonné à Moché de « venir vers Pharaon » et non, comme il eût été normal, d’« aller » chez celui-ci ? s’interrogent les commentateurs.

Cette expression est employée quand on s’adresse à un homme indécis, qui ne sait que faire ni où aller, explique Rav Yehochou?a Leib Diskin. Dans un tel cas, on l’exhorte avec douceur en lui disant : « Viens ! »

Ici aussi, Moché hésitait. A quoi cela servirait-il d’aller chez Pharaon ? S’il avait été sincère en disant (9, 27-28) : « Hachem est le Juste? et je vous renverrai », à quoi bon retourner chez lui ? La libération des enfants d’Israël était imminente.

Si, au contraire, il n’avait aucune intention de tenir parole, pourquoi lui procurer une nouvelle occasion de mentir ? Pourquoi ne pas le laisser « cuire dans son jus » et subir toutes les punitions qui s’abattraient sur lui ?
Hachem a tenu compte des deux préoccupations de Moché. Il lui a d’abord enjoint : « Viens vers Pharaon ! », indiquant par là qu’il n’avait pas à se préoccuper de savoir si le souverain égyptien s’était vraiment repenti : Ce n’était pas le cas !

En outre, il ne risquait aucunement de lui épargner ainsi les châtiments qui lui étaient promis, puisque : « J’ai endurci son c?ur et le c?ur de ses serviteurs, afin de mettre Mes signes-là en son milieu ».

Vu que Hachem « avait endurci le c?ur de Pharaon », la mission de Moché auprès de celui-ci n’était-elle pas d’emblée inutile ? s’interroge le Maguid de Doubno. Pourquoi alors l’envoyer chez lui ?

Cela nous montre, répond-il, que les plaies étaient destinées non seulement à punir Pharaon pour ses crimes, mais aussi à amender les enfants d’Israël, à renforcer leur foi et leur crainte du Ciel pour les rendre dignes de recevoir la Tora sur le mont Sinaï.

Comme elle l’atteste elle-même (Devarim 6, 22) : « Hachem a donné des signes et des prodiges, grands et mauvais, dans l’Egypte, dans Pharaon, et dans sa maison, devant nos yeux. » Il fallait surtout que cela se produise « devant nos yeux ».

C’est pourquoi, même si Pharaon allait sûrement faire la sourde oreille, il valait la peine que Moché se présente devant lui. Cela aboutirait à l’étalage spectaculaire des plaies, pour le plus grand avantage de nos ancêtres.

Rav Yossef Dov Soloveitchik, le Roch yechiva de Brisk, s’attache à l’explication de Rachi sur les mots « viens vers Pharaon » : « et mets-le en garde ! ». Pourquoi, se demande-t-il, fallait-il l’avertir de ce qui lui arriverait au cas où il persisterait dans son refus de libérer les enfants d’Israël ? Hachem n’avait-Il pas « endurci son c?ur », de sorte que rien de ce que lui dirait Moché ne pourrait l’en dissuader ?

Nous connaissons cette question soulevée par de nombreux commentateurs (voir supra sous 2, 1) :

Pourquoi la Tora mentionne-t-elle le miracle de Sara donnant naissance à Yits?haq à l’âge de quatre-vingt-dix ans, et ne dit-elle mot de Yokhévèd qui a accouché de Moché à cent trente ans ?

Il n’existe pas de différence essentielle entre les miracles retentissants et ceux auxquels nous assistons chaque jour et que nous désignons sous l’appellation : « ordre naturel », explique Rav Yerou?ham Leivovitz, le Machguia?h de Mir.

La Tora, cependant, rend compte uniquement de ceux que l’on peut considérer comme « manifestes ». Qu’est-ce qui différencie exactement ces prodiges-là de tous les autres ? La nuance réside, non pas dans leur essence, mais dans leur prédiction prophétique.

Tout miracle qui a été prévu et annoncé est considéré comme « manifeste » et comme digne d’être évoqué dans la Tora. La naissance de Yits?haq avait été prédite par les anges ; c’est pourquoi il en est question dans le Texte. Celle de Moché, n’ayant pas été annoncée, n’est pas mentionnée.

Voilà pourquoi, poursuit Rav Soloveitchik, Hachem a dépêché Moché pour avertir le souverain égyptien, bien que le résultat de cette démarche ait été connu d’emblée.

C’est seulement si Pharaon en avait été averti à l’avance que la plaie pourrait être considérée comme l’accomplissement d’une prophétie, comme un miracle « manifeste », pour ainsi dire, et donc devenir digne d’être rapportée dans la Tora.

Le Na?hal Qedoummim, quant à lui, déduit de l’avertissement divin à Pharaon que celui-ci n’était pas vraiment privé de son libre arbitre. Quoique Hachem ait endurci son c?ur, il lui restait la possibilité de se repentir, en dépit des efforts démesurés que cela lui aurait coûté.

Le Talmud (?Haguiga 15a) rapporte qu’une bath qol (« voix céleste ») a proclamé qu’Elicha’ ben Avouya ne serait pas admis à faire techouva.

Or, le Maharimat écrit (Ora?h ?Hayim 8) qu’il aurait pu l’accomplir s’il en avait ainsi décidé. C’est dire que la possibilité de retour à Hachem n’est jamais complètement refusée, même au pécheur le plus endurci?

On trouve une allusion à ce concept dans le dicton bien connu de nos Sages (Pessa?him 86b) : « Fais tout ce que te dit le maître de maison, sauf t’en aller ! » Il t’incombe d’obéir au Créateur et Maître de l’Univers, mais pas quand Il te déclare exclu de tout repentir, pas quand Il te dit : « Va-t-en ! » Même alors, tu dois te munir de nouvelles forces afin de surmonter ta condition et te repentir de tes péchés. Le décret céleste n’est jamais irréversible !

Le Avnei Nézèr aborde quelque peu différemment ces questions fondamentales concernant la punition de Pharaon malgré son apparente privation du libre arbitre, et la décision de le mettre en garde. Chaque fois que l’on accomplit une mitswa, on imprime une marque indélébile dans les plus hautes sphères célestes.

Comment un simple mortel détient-il un tel pouvoir ?

En recevant l’ordre d’observer le commandement, il devient le mandataire de Hachem, agissant à la place, pour ainsi dire, de Celui qui l’a délégué, et avec Son autorisation.

C’est pourquoi, quand il réalise la mitswa, il en est comme si Hachem l’exécutait Lui-même ? conformément à l’adage bien connu : « le mandataire d’une personne est comme la personne elle-même » ? Lui dont la toute-puissance ne peut être limitée.

Cette idée résulte implicitement des termes employés dans les bénédictions qui précèdent les mitswoth : « ? Qui nous a sanctifiés par Ses commandements et nous a ordonné? » Cette formule contient deux concepts distincts : D’abord, Hachem nous sanctifie par Ses commandements, faisant de nous, si l’on peut s’exprimer ainsi, Ses mandataires, puis il y a le commandement lui-même, qu’Il nous a enjoint d’accomplir.

Le Chem Michmouèl (fils du Avnei Nézèr) développe cette notion :

Le Talmud (?Erouvin 55a) rapporte que lorsque Moché a déclaré aux enfants d’Israël que la Tora n’était pas « dans le ciel » (Devarim 30, 12), il entendait leur signifier qu’ils n’auraient pas à y monter pour la recevoir.

Si cependant elle avait été dans les cieux, ils auraient dû le faire. Mais comment auraient-ils pu accomplir un acte impraticable ? Hachem ne tyrannise pas les hommes !

En réalité, s’Il leur avait ordonné de monter au ciel pour y recueillir la Tora, cela n’aurait pas été impossible. Cette injonction même, par laquelle Il les aurait désignés comme Ses mandataires, leur aurait permis de réaliser tout ce qui était nécessaire à son accomplissement, y compris monter jusqu’au ciel !
Il existe cependant une restriction importante à cette règle. On ne peut devenir mandataire de Hachem que si l’on accepte la mission à l’instant même où elle a été confiée. Sinon, elle devient inopérante, et si l’on décide plus tard de la prendre sur soi, cela ne sert plus à rien.

Dans ces conditions, celui qui méconnaît un des commandements divins continuera de devoir l’exécuter, bien évidemment, mais plus en tant que Son mandataire.En refusant la mission, il aura perdu cette occasion et ce privilège. C’est là que va entrer en jeu la mitswa du repentir.Mais le repentir constitue lui-même un comportement paradoxal ! Comment un homme qui a baigné dans le péché peut-il effectuer une métamorphose totale, jusqu’à servir Hachem de tout son c?ur ? D’où lui vient cette aptitude ?

La réponse se trouve dans le commandement du repentir lui-même. En enjoignant au pécheur de se repentir, Dieu l’a désigné de nouveau pour agir comme Son mandataire et lui a conféré le pouvoir de réaliser tout ce qui est nécessaire à l’exécution de sa mission ? y compris une complète transformation spirituelle.

A la lumière des explications qui précèdent, nous comprenons mieux les avertissements répétés donnés par Hachem à Pharaon. Certes, les portes du repentir s’étaient fermées devant lui, mais chaque mise en garde lui en offrait une nouvelle occasion. « Laisse partir Mon peuple ! » lui avait-Il ordonné.

Or, un ordre équivaut à la désignation d’un mandataire. Si donc Pharaon avait été perspicace, il aurait consenti à devenir le délégué de Hachem grâce à ce nouvel avertissement, ce qui lui aurait donné l’aptitude de faire tout le nécessaire pour sa réalisation, y compris le passage à travers les portes verrouillées du repentir.

C’est pourquoi Hachem a dit à Moché : « Viens vers Pharaon, car J’ai endurci son c?ur. » Où se trouve la cause et où se situe l’effet ? Le durcissement du c?ur du souverain égyptien était-il une raison pour Moché de le prévenir de la plaie imminente ? Oui, il l’était ! Du fait que son c?ur avait été durci, Pharaon avait été privé de la capacité de se corriger.

Hachem a donc enjoint à Moché de transmettre Sa mise en garde, offrant ainsi au monarque un nouveau moyen de trouver les forces de se repentir, et ce grâce à l’avertissement lui-même. »