« Il ne retirera pas la colonne de nuée pendant le jour, ni la colonne de feu pendant la nuit, devant le peuple. « (13, 22)

Cela indique, commente Rachi, que la colonne de nuée se chevauchait avec celle de feu, et la colonne de feu se chevauchait avec celle de nuée. L’une n’avait pas encore disparu quand l’autre émergeait.
La formule « cela indique » signifie que cette information peut être déduite du verset lui-même et ne résulte pas seulement de la tradition orale. Le Talmud (Chabbath 23b), quant à lui, introduit cette information par le mot melamèd (« cela apprend »), soulignant ainsi également que ce renseignement est contenu implicitement dans le texte.

Mais où ? s’étonne Rav Yitshaq Zeèv Soloveitchik . Le verset, tel qu’il se lit, conduirait plutôt à penser que les colonnes se succédaient sans aucun chevauchement. En outre, que signifient les mots : « devant le peuple » ?

La Guemara (Chabbath 34b) cite une opinion selon laquelle « le crépuscule (bein hachemachoth) dure le temps d’un clin d’?il, l’une [c’est-à-dire la nuit] entre, l’autre [le jour] sort ; impossible de le définir de manière précise. » Notre acuité visuelle ne nous permet pas de déterminer avec exactitude ce qui nous parvient en un éclair, comme dans un clin d’?il.

En ce qui concerne la « relève de la garde » entre la colonne de nuée et celle de feu, en revanche, la Tora rapporte qu’elle avait lieu « devant le peuple ». En d’autres termes, les gens étaient capables de l’observer. Dans ces conditions, il doit s’être produit un certain chevauchement. S’il en avait été autrement, l’?il humain n’aurait pas été capable de discerner le moment du changement.

On raconta au roi d’Egypte que le peuple s’enfuyait ; le c?ur de Pharaon et de ses serviteurs fut changé envers le peuple, et ils dirent : « Qu’est cela que nous avons fait, d’avoir renvoyé Israël de notre asservissement ? » (14, 5)

Rav Yaaqov Kaminetsky s’interroge sur le changement d’attitude des Egyptiens, opéré non pas tant par méchanceté que par pure stupidité. Qu’avaient-ils pu penser ? Etait-ce de leur plein gré qu’ils avaient laissé partir les enfants d’Israël, ou n’y avaient-ils pas été contraints suite à dix plaies dont la plus terrible avait été la mort de leurs premiers-nés ? Qu’est-ce qui avait changé maintenant ?
Nous constatons ici, une fois de plus, l’extraordinaire puissance de l’intérêt personnel, de la capacité qu’a l’esprit humain de laisser dévoyer son intelligence.

L’homme se laisse parfois entraîner à un tel état d’aveuglement qu’il en oublie ce à quoi il vient tout juste d’assister ! Pharaon a été capable de rendre son esprit insensible aux souffrances causées par les plaies à son royaume, à la mort de son fils premier-né, à l’immense clameur d’angoisse qui avait empli l’air de minuit en Egypte.

Il a fait abstraction de tout cela, d’abord pour se persuader qu’il avait volontairement laissé partir les enfants d’Israël ; ensuite pour changer complètement d’attitude et poursuivre les « esclaves fugitifs » afin de les ramener en Egypte.
Et Pharaon s’approcha, les enfants d’Israël levèrent leurs yeux, et voici l’Egypte partant derrière eux, ils eurent très peur, les enfants d’Israël crièrent vers Hachem. (14, 10)

Les Egyptiens les ont poursuivis « d’un seul c?ur et comme un seul homme », précise Rachi. Il utilisera plus loin (19, 2) la même expression, quand les enfants d’Israël se sont trouvés au pied du mont Sinaï, sauf qu’il dira qu’ils ont campé « comme un seul homme, d’un seul c?ur », dans l’ordre inverse ! Pourquoi cette différence ?

Quand nous disons que la main droite d’une personne veut la même chose que sa main gauche, explique Rav Yits?haq Hutner, c’est parce qu’elles appartiennent l’une et l’autre au même organisme. C’est pourquoi leurs désirs et leurs préoccupations coïncident tout naturellement. Mais lorsque deux personnes s’associent en vue d’un certain objectif, elles s’accordent uniquement dans la mesure où leurs intérêts distincts correspondent. Elles ne deviennent pas soudées l’une à l’autre dans une unité intangible.

Le peuple juif se différencie à cet égard des autres nations. Il forme fondamentalement une unité, un tout monolithique auquel appartiennent la totalité de ses membres, comme autant de fragments d’un ensemble. Ils sont d’abord « comme un seul homme » et, en conséquence, ils abordent leur avenir « d’un seul c?ur ».

Les Egyptiens, en revanche, ne se sont unis les uns aux autres que pour la réalisation d’un but commun. Ils étaient « d’un seul coeur », ce qui les a conduits à devenir « comme un seul homme ». »