De ce chant, composé de neuf strophes, on sait seulement qu’il a été composé par un auteur nommé Yonathan, dont le nom figure en acrostiches, mais sur lequel on ne dispose d’aucun détail.

Strophe N° 1 :
« Le jour de Chabbath est saint,
Heureux est l’homme qui l’observe,
Et qui s’en souvient sur du vin,
Qu’il ne se préoccupe pas,
Que sa poche soit vide et ne contienne rien ;
Qu’il se réjouisse et se rassasie ; et s’il emprunte,
Le « Rocher » remboursera sa dette. »

Commentaire :Le chant reprend ici un enseignement talmudique (Beitsa 15b) : Le Saint béni soit-Il a dit aux enfants d’Israël : « Mes enfants ! Empruntez sur Moi, sanctifiez la sainteté de ce jour [Chabbath], et croyez-en Moi ; c’est Moi qui rembourserai votre dette. »

Strophe N° 2 :
[Qu’il y ait] de la viande, du vin et des poissons,
Et qu’il ne manque pas de plaisir.
Et si ces trois [mets-là] sont présentés devant lui,
Cela sera sa récompense.
Car [Hachem] a voulu l’honorer,
[Comme] Yossef qui a découpé un poisson,
Et a trouvé des perles dans sa chair.

Commentaire :L’argument de cette strophe correspond à une anecdote rapportée par la Guemara (Chabbath 119a) au sujet de l’expérience qu’a connue un certain Yossef, surnommé Moqir chabei (« Qui honore les Chabbathoth »).
Près de cet homme habitait un très riche païen à qui les astrologues avaient prédit un jour qu’il allait perdre toute sa fortune, et que celle-ci serait recueillie par Yossef.
L’homme vendit tous ses biens et, avec l’argent de leur vente, il acheta une perle qu’il dissimula dans son chapeau.
Un jour qu’il traversait à gué une rivière, le vent fit s’envoler son chapeau et celui-ci, avec la précieuse perle qu’il contenait, fut avalé par un poisson.
Ce poisson fut attrapé par un pêcheur, et celui-ci l’offrit à la vente sur le marché un vendredi en fin d’après-midi.
Il fut alors acquis précisément par Yossef qui tenait à faire honneur au Chabbath en achetant, le plus tard qui soit le vendredi, un poisson présentant le maximum de fraicheur.
Lorsqu’il le découpa, il y découvrit la perle, et celle-ci lui procura une grande richesse.
Strophe N° 3 :
Et si la table est dressée comme il convient,
Et que l’ange de Dieu dise : « Béni ! »
Ce sera pendant longtemps
Que ses ennemis seront comme du fumier ;
Et l’ange du mal dira : « Amen ! »
A son corps défendant il dira son éloge,
Sa renommée s’imposera comme la bonne huile [qui flotte au-dessus des autres liquides].
Commentaire :On trouve ici la même image que celle sur laquelle s’appuie le chant de Chalom ‘alèkhem : La Guemara (Chabbath 119b) nous apprend que le maître de maison, lorsqu’il revient de la synagogue le vendredi soir, est accompagné de deux anges, l’un bienveillant et l’autre hostile. Ces deux anges entrent dans sa maison, et s’ils constatent qu’elle a été apprêtée comme il se doit pour accueillir Chabbath, le bon ange bénit la famille qui y demeure et lui souhaite de passer beaucoup d’autres Chabbathoth aussi dignes de ses éloges. Et il ne reste plus à l’ange qui veut du mal qu’à répondre à contrecœur : Amen.

Strophe N° 4 :
Les femmes allument les lumières,
Et s’attachent fortement à la loi sur la nidda [pureté familiale] ;
Et elles brûlent [la pâte prélevée au titre de] la ‘halla.
[A cause de l’observance des ces trois mitswoth] leur mérite les protégera :
Quand viendra le moment d’enfanter,
Et si elles n’ont pas transgressé et les ont observées,
Alors leur accouchement sera rapide.
Commentaire :Cette strophe paraphrase la Michna Chabbath 2, 6 : « Trois péchés peuvent provoquer la mort des femmes lorsqu’elles accouchent : de ne pas avoir été attentives à la loi sur la nidda, à celle sur la ‘halla, et à celle de l’allumage des lumières [de Chabbath] ».

Strophe N° 5 :
Adressez louange et chant
Au Dieu qui a créé le Chabbath,
Et qui nous a donné la Tora
Dont Il a dit à Moïse qu’elle était un cadeau.
« Elle est cachée dans la maison de Mes trésors,
Elle est à toi, prends-là !
Donne-là à l’assemblée que l’on ne peut dénombrer ! »
Commentaire :Cette strophe contient une allusion à ce que nous apprend la Guemara Chabbath (10b).
« Le Saint béni soit-Il a dit à Moïse : “Je possède dans la maison de Mes trésors un cadeau extraordinaire dont le nom est « Chabbath », et Je veux le donner à Israël. Va et fais-le leur savoir !” »

Strophe N° 6 :
Celui qui est dans la peine,
Vient Chabbath, viennent le repos, l’allégresse, l’exultation et la joie.
[Hachem] a béni et sanctifié [le Chabbath] par la manne,
Pour qu’elle soit dévolue au peuple qui n’est pas orphelin,
Et le Chabbath redonne de la sérénité à l’âme,
Par l’abondance de nourriture qu’elle a dissimulée.
Commentaire :Du verset qui nous indique que « Dieu bénit le septième jour, et le sanctifia… » (Berèchith 2, 3) nous apprenons, explique le Midrach (Berèchith rabba 10, 2), qu’Il l’a béni par la manne, et qu’Il l’a sanctifié par la manne. Il l’a béni par la manne car tous les vendredis il en tombait une portion double, et Il l’a sanctifié par la manne puisqu’il n’en tombait pas le jour de Chabbath.

Strophe N° 7 :
Les lois [de Chabbath] à Mara
Ont été prescrites [aux enfants d’Israël] avec mise en garde.
[Les lois de Chabbath sont] comme montagnes à un cheveu
Suspendues ses lois.
Ceux qui observent ses mitswoth
Hériteront le jour qui, tout entier,
Sera Chabbath dans ses légions.
Commentaire :On trouve ici un thème correspondant à ce que l’on a déjà lu dans le chant Kol meqadech :Les lois de Chabbath sont « comme des montagnes suspendues à un cheveu : peu de textes et beaucoup de halakhoth » (‘Haguiga 10a), Cela signifie qu’elles sont nombreuses, mais que le texte de la Tora ne contient pas beaucoup d’indications à leur sujet. Elles ressemblent ainsi à de grandes montagnes accrochées à un fil ténu.
Mais ceux qui observent ces lois mériteront une récompense le jour qui « sera entièrement Chabbath », c’est-à-dire le jour de la délivrance finale. (Michna Tamid 7, 4).
Strophe N° 8 :
Voici le signe qu’a placé Dieu
Entre Lui et les enfants d’Israël.
Et le septième [jour] qu’Il a favorisé,
Sambatyon, la rivière,
Qui tous les jours court et se presse,
Lorsqu’il se repose [le Chabbath] il certifie,
Il répond à l’incroyant qui demande [une preuve de son existence].
Commentaire :Le Sambatyon, dans la littérature rabbinique, est le nom porté par une rivière mythique au-delà de laquelle auraient été déportées les Dix tribus « perdues ».
Cette rivière présente la particularité de couler comme un torrent pendant les six premiers jours de la semaine, puis de s’assécher entièrement le septième, d’où son nom Sambatyon : la « rivière du Chabbath ».
L’existence de cette rivière a été attestée par de nombreux auteurs comme Flavius Josèphe (Guerre des Juifs 7, 5) ou Pline l’Ancien (Histoire naturelle 31, 2).
Turnus Rufus demanda un jour à rabbi ‘Aqiba ce que le jour de Chabbath a de plus que les autres jours de la semaine. Celui-ci lui répondit : « C’est la rivière Sambatyon qui le prouve » (Sanhédrin 65b).
Le Midrach (Berèchith rabba 11, 5) explique : C’est parce que, en semaine, ce cours d’eau coule à grand fracas en charriant des quartiers de roche, et qu’elle est à sec pendant Chabbath.
En d’autres termes elle est infranchissable en semaine à cause des dangers qu’elle fait courir à ceux qui voudraient la traverser ; et elle l’est également le Chabbath parce qu’elle formait l’extrême limite de la distance qu’il est permis de parcourir ce jour-là (Te‘houm Chabbath).

Strophe N° 9 :
Toutes les voix se tairont
Au moment où mes chants grandiront.
Car ils coulent comme de la rosée,
Et qu’on ne cherche pas à franchir mes limites
Et prétendre : « Cela a été mon destin [d’être l’auteur de ce chant]. »
Ornez-vous [de vos propres chants], et ne vous attribuez pas la renommée
Le diadème du chant qui est beau pour moi [et non pour les autres].
Commentaire :Dans cette dernière strophe, l’auteur demande à tous d’observer le silence et d’écouter son chant, et aussi de ne pas empiéter sur ses droits en le chantant comme lui.
Autre explication : Tous les bruits comme ceux de la rivière Sambatyonse taisent le Chabbath lorsque je chante, et alors mon chant coule comme de la rosée (D’après le Siddour Beith Ya‘aqov).

Jacques KOHN Zal