Le verset par lequel débute notre paracha se traduit textuellement ainsi : « Il appela Moché et l’Eternel lui parla de la Tente d’assignation en ces termes » (Vaykra 1,1). Qui appela donc Moché ? Personne ne le dit…

Selon l’Admour de Slonim, auteur du Nétivot Chalom, cette omission a une signification bien particulière : d’après lui, ceci fait allusion au fait que D.ieu interpelle l’homme continuellement, à travers toutes les circonstances de sa vie. Si l’on y prête oreille, on peut ainsi percevoir la « voix de D.ieu » dans chaque événement de notre vie, y découvrir un « appel » s’adressant de manière individuelle à chacun de nous.
De fait, l’appel du Saint béni soit-Il surgit dans chaque situation : que ce soit dans les événements heureux – qui nous comblent de bonheur – ou dans les circonstances affligeantes de la vie – qui affectent notre moral –, nous devons nous efforcer de percevoir le message divin qui ceux-ci nous adressent.
Nous savons par ailleurs que la destinée de chaque être humain est différente : chacun à une mission personnelle à accomplir ici bas, un but que lui seul peut atteindre. Par conséquent, il en résulte que « l’appel » d’un événement donné ne sera pas forcément le même pour une personne ou pour l’autre. Bien plus : il s’avère même souvent que le message adressé à l’un est à l’exact opposé de celui que reçoit le second, bien que les deux connaissent la même expérience.
Voilà donc pourquoi « Il appela Moché » – cet appel n’est pas celui habituel, par lequel D.ieu S’adressait à Son prophète au travers de visions prophétiques. Cet appel est « anonyme », il est présent dans l’environnement et les circonstances de la vie, et c’est à l’homme qu’il incombe de le dévoiler et d’en comprendre le sens. Et si chacun apprend à reconnaître son appel personnel et à l’interpréter convenablement, on aura l’assurance d’accomplir la Volonté divine.
Les « arguments » du ‘hatan et de la kala
C’est une situation bien particulière qui arriva ce jour-là dans la maison de rav ‘Haïm Kaniveski chlita. Mais malgré les circonstances tragiques de la situation, les protagonistes surent déceler « l’appel » contenu dans ces circonstances, et y réagir convenablement.
L’histoire est celle d’un jeune couple, pendant sa période de fiançailles, qui découvrit seulement trois semaines avant que le mariage ne soit célébré, que le ‘hatan souffrait d’une maladie grave. Pour soigner son mal, le jeune homme devait subir plusieurs séries de traitements intensifs, dont l’issue n’était pas garantie, et qui risquait de lui laisser des séquelles pénibles.
Suite à cette annonce, une vive discussion éclata entre les jeunes fiancés. C’est pourquoi ils décidèrent de se rendre chez rav ‘Haïm Kanievski, pour lui présenter leurs doléances respectives. En quoi consistait ce « désaccord » ? Les arguments du ‘hatan étaient les suivants : d’après lui, s’il avait été décrété dans le Ciel qu’il devrait endurer les affres de cette maladie, rien ne justifiait cependant que sa future femme en souffre également, et qu’elle consacre sa vie à un homme malade. Dans la mesure où cette triste nouvelle était survenue peu avant le mariage, il exigeait que les fiançailles soient rompues, tout en précisant qu’il le faisait de plein cœur, pour le bien et l’avenir de la kala.
Cette dernière, quant à elle, y était vigoureusement opposée. Pour elle, rompre les fiançailles n’était pas envisageable, car elle estimait que son ‘hatan aurait à l’avenir plus que jamais besoin d’elle. « S’il a été décrété qu’il doit souffrir, devrais-je lui infliger une nouvelle souffrance en rompant nos fiançailles à présent ? », affirmait-elle avec conviction. Pour elle, cette épreuve envoyée à ce moment précis de sa vie, alors qu’elle s’apprêtait à fonder un foyer, était un examen envoyé par le Ciel pour déterminer si elle méritait d’être une « aide digne de son mari » (ézer kénegdo). Elle se déclara donc prête à accepter de tout cœur les contraintes de la maladie de son futur époux, parce qu’elle considérait que c’était là son devoir.
Dans la maison de rav ‘Haïm Kanievski, l’émotion était à son comble. L’une des personnes présentes affirma que lorsque ce genre de circonstances survenait, on assistait plutôt aux réactions inverses : si le malade daignait à rompre les fiançailles, c’était bien à son corps défendant… Mais ces deux jeune gens avaient décidé d’entendre « l’appel » qui leur était adressé depuis le Ciel, et de relever le défi qu’il leur lançait.
Après avoir entendu les arguments de l’un et de l’autre, le rav donna la décision suivante : les fiançailles ne devaient pas être rompues ! Après quoi il bénit le jeune couple chaleureusement, leur souhaitant beaucoup de mazal et de bonheur pour leur union.
Le bien ne conduit jamais au mal
Après que les protagonistes de cette triste affaire partirent, l’un des proches de rav ‘Haïm le questionna sur sa décision et lui demanda, avec de grands égards, quelles furent les motivations de sa décision. Le maître répondit sur-le-champ : « Il s’agit pourtant d’un Midrach explicite ! »
Il rapporta alors un passage du Midrach (Béréchit Rabba 33, 1) dans lequel il est relaté qu’Alexandre le Grand, après avoir franchi les « Montagnes de l’Obscurité », arriva dans le pays de Katsia, où il fut accueillit par le roi de cette contrée. Pendant son séjour, Alexandre eut l’occasion d’assister à un jugement que le roi de Katsia rendit en personne. Le litige opposait le vendeur d’un champ à son acheteur. Peu après la transaction, ce dernier avait en effet découvert dans le champ un fabuleux trésor. Or, contre toute attente, leurs doléances respectives n’étaient pas des plus courantes : le vendeur affirmait qu’au moment de la vente, il avait cédé son champ et tout son contenu. Il ne voyait donc pas de raison à ce que le trésor lui revienne. Quant à l’acheteur, il estimait qu’il n’avait payé que pour le sol même, et nullement pour les richesses que pouvaient contenir le sous-sol. Ces deux hommes se disputaient donc un trésor dont aucun ne voulait…
Le roi de Katsia se tourna alors vers le premier plaignant et lui demanda s’il avait un fils en âge de se marier. Recevant une réponse affirmative, il se tourna vers le second plaignant et lui demanda s’il avait quant à lui une fille à marier. Comme c’était effectivement le cas, le roi déclara : « Voici donc la solution que je vous propose : unissez vos progénitures et offrez-leur ce trésor en présent ! »
Après l’annonce du verdict, le roi demanda à Alexandre le Grand de quelle manière on aurait jugé pareil cas s’il était survenu en Grèce. Le Macédonien répondit : « Pour ma part, j’aurais exigé qu’on tue le vendeur et l’acheteur, et le trésor serait revenu aux caisses de l’Etat… » Le roi de Katsia déclara alors à Alexandre que si le soleil se lève en Grèce, si la pluie y tombe et si les arbres y donnent des fruits, ce n’est que par le mérite des bêtes qui vivent, car lorsqu’une telle cruauté règne dans un pays, ses habitants n’en ont assurément par le mérite…
Que nous apprend ce Midrach ? demanda rav ‘Haïm Kaniveski. Nous y découvrons que lorsqu’un homme recherche le bien d’autrui, il est impossible qu’il en subisse des préjudices ! En effet, le verdict du roi de Katsia, qui émanait de la justice la plus élémentaire, nous montre que lorsqu’une personne veut céder au second, il y a forcément une solution pour que nul ne souffre de cette générosité. A ce sujet, rav Yaacov Kamineski disait que l’on a souvent l’habitude de qualifier une personne qui cède à autrui dans un litige comme quelqu’un de bon et de pieux. « Mais pour ma part, affirmait-il, je dis que cette personne est tout simplement sage et bien avisée ! Car elle sait que jamais quiconque ne s’est incliné au profit d’autrui, et d’en subir finalement du tort ! ». Par Yonathan Bendennnoune,hamodia.fr – Adapté à partir de Alénou Léchabéa’h.