Faire le Bien n’est pas une chose aussi simple qu’il n’y paraît. Il s’agit d’un art, qui comprend ses propres règles. La conception du Bien dans la Thora est très opposée de celle des philosophes et des humanistes?

Parmi les innombrables actes de bonté ( Hessed ) d’Avraham, décrits par nos maîtres dans les Midrachim, la Thora a choisi de nous raconter seulement l’histoire des trois anges.

Ces trois anges se sont présentés au patriarche sous la forme d’êtres humains, alors qu’une chaleur insupportable avait fait se réfugier dans leurs maisons tous les habitants alentour.

Avraham, âgé de quatre-vingt dix-neuf ans, et alors qu’il était au troisième jour de sa circoncision, va déployer des efforts surhumains pour leur offrir l’hospitalité.
Fait intéressant, ces invités inhabituels ne tirent aucune profit de leur halte : n’étant pas humains, ils n’ont aucun besoin de manger et miment la dégustation des mets délicats préparés par Avraham et Sara.

Pourquoi la Thora a-t-elle choisi de mettre en valeur cet épisode, alors que notre patriarche a accompli d’innombrables actes de ‘Hessed beaucoup plus impressionnants et beaucoup plus utiles !

Nos maîtres nous éclairent sur le sens profond de ce choix.

Conditions extrêmes

Si la Thora a mis en avant cet épisode, c’est qu’il atteint le paroxysme de cette notion de bonté, le niveau le plus élevé jamais atteint du ‘Hessed , l’élément de base du service divin de notre patriarche.
Offrir son hospitalité à tous ceux qui la sollicitent représente sans doute l’un des aspects les plus élevés de l’homme.
Mais ce qui caractérise notre épisode des anges, c’est qu’il illustre surtout la Ahavath ‘Hessed , aimer faire le bien.
A tous points de vue, Avraham n’était pas en situation de s’occuper de quiconque : très âgé, convalescent, dans des conditions climatiques extrêmes.

Tout l’empêchait d’agir.
En outre, personne ne venait solliciter son aide, il pouvait donc prendre du repos, en toute bonne conscience.
Mais pour lui, la bonté ( ‘Hessed ) est un élément spirituel vital, dont il ne peut se passer. C’est la raison pour laquelle D.ieu, voyant sa détresse, lui envoie trois anges sous forme humaine pour combler ce besoin.
Et c’est alors qu’Avraham, apercevant au loin trois bédouins arabes, s’élance comme un jeune homme à leur rencontre, pour leur offrir hospitalité et honneurs, comme s’il s’agissait d’illustres invités.
C’est le même sentiment que nous exprimons dans les mots de la prière de la Amida, lors de la dernière bénédiction.
« Car par la lumière de Ta face, Tu nous as accordé une Thora de vie, et l’amour du Bien ( Ahavath ‘Hessed ) »

Les âmes de ses descendants

Cet amour inconditionnel trouve son origine dans les actes de notre premier patriarche, qui vont imprégner les âmes de tous ses descendants, à tout jamais.
Le ‘Hessed d’Avraham, dans des conditions normales, témoignait déjà d’un niveau très élevé mais ne signifiait pas encore que notre patriarche avait atteint Ahavath ‘Hessed . Il a fallu que D.ieu crée cette situation extrême pour dévoiler l’attachement extraordinaire d’Avraham pour le Bien.
Nos maîtres vont encore plus loin dans l’analyse de cet attribut de bonté.
Le but véritable du ‘Hessed n’est pas seulement de combler les besoins de son prochain mais c’est d’accomplir à travers lui la mitsva, énoncée trois fois dans la Thora, qui est l’un des fondements de la mission de l’homme sur terre :
« Tu marcheras dans les voies de l’Eternel » (Deutéronome 8-6 ; 10-12 ; 11 ; 12).
Nos maîtres (cf. Rachi 11-12 et Sifri ad hoc) expliquent que ce verset se rapporte à l’attribut de la Miséricorde divine.
« D.ieu est clément ; sois ainsi. D.ieu est plein de bienveillance ; sois ainsi. »
La création toute entière n’est que l’émanation de l’attribut divin de ‘Hessed , ( olam ‘Hessed yibané : le monde a été créé par le ‘Hessed divin) et ce fut la découverte d’Avraham à travers sa recherche philosophique.
D.ieu n’a pas besoin de l’homme. Ce dernier n’a été créé que pour être le récepteur de la bonté infinie de D.ieu, une opportunité pour le Créateur de manifester son ‘Hessed .
Avraham, ayant perçu cette réalité, s’est efforcé tout au long de sa vie à « imiter » son Créateur, accomplissant ainsi la mitsva de véhala’hta bidra’hav, « Tu marcheras dans les voies de l’Eternel ».
L’objectif principal dans l’accomplissement du Bien ( ?Hessed ) n’est donc pas exclusivement de combler les besoins de l’autre mais surtout de suivre les voies de D.ieu pour être à son image.
L’approche de la Thora par rapport au Bien, et à faire du Bien, se différencie totalement de la conception des grands humanistes sur ce sujet.
On ne fait pas du ‘Hessed seulement parce que l’autre en a besoin. Car D.ieu a une infinité de moyens pour le faire Lui-même, et Il peut, le cas échéant, faire disparaître le besoin lui-même.
En aucun cas, nous ne venons aider D.ieu.
D.ieu, pour des raisons que nous ne pouvons appréhender, a choisi de créer certains manques chez certaines personnes (manque d’argent, solitude, souffrances…)
Ces manques sont l’opportunité pour nous de Lui ressembler en s’attachant à Ses attributs de bonté.
C’est dans le même esprit que rabbi Akiba répondit à Turnus Rufus (Talmud Baba Batra 10a) qui lui demanda :
«Si D.ieu aime les pauvres, pourquoi ne pourvoit-Il pas Lui-même à leurs besoins ; c’est pour que nous ayons le mérite de le faire et nous épargner les souffrances de l’enfer », répondit le maître.
C’est à travers le début apparemment anecdotique de notre paracha, que la Thora nous livre cet enseignement fondamental.
Bien sûr, et toujours dans le but de se conduire comme notre Créateur, nous avons le devoir d’être à l’écoute des besoins de chacun, et de ressentir leur détresse.

Comprendre la grandeur

Le Talmud (Baba Metsia 86b), rapporte une réaction d’Avraham tout à fait surprenante.

Alors qu’il se trouvait dans sa tente, Avraham envoya Eliezer, son serviteur, chercher des invités. Ce dernier revint bredouille. Le patriarche lui dit : « Je ne te crois pas. Tu me rappelles le principe qu’on ne peut avoir confiance en un esclave. »
Mais comment comprendre que par la suite, Avraham confie à ce même Eliezer la mission capitale de trouver une femme pour Isaac, son fils . Et que ce dernier remplira sa mission parfaitement ;
En outre, la Thora décrit Eliezer comme l’élève de prédilection d’Avraham, qui diffusait et propageait l’enseignement de son maître.
Comment expliquer cette contradiction ?
En réalité, Eliezer n’est pas accusé de mentir.
Ce qu’Avraham vient exprimer par ces mots, c’est qu’Eliezer, n’a pas compris le sens du ‘Hessed , au niveau où Avraham le pratique.
S’il avait atteint ce niveau, il aurait trouvé des invités, car il aurait compris qu’il ne s’agit pas là d’un devoir, mais d’un besoin absolu, ressenti par Avraham, de manifester son attachement aux attributs divins.
Le mot confiance employé par Avraham est Méhémnouta , qui signifie aussi Foi. Eliezer ne possédait pas la Foi au même niveau que son maître, pour véritablement comprendre les intentions de ce dernier.

Supplications insolentes

Dans son ouvrage Emeth léyaakov, Rabbi Yaacov Kamenetski ajoute un nouvel élément.
Dans la Thora, le passage où des anges à forme humaine viennent visiter Avraham est suivi par celui des supplications presque insolentes d’Avraham vers D.ieu dans le but d’épargner Sodome.
En fait, c’est le deuxième texte qui exprime le niveau de bonté d’Avraham, prêt à s’impliquer directement en s’adressant à D.ieu pour sauver des hommes dont la conduite se trouvait pourtant profondément à l’opposé de ce qu’il était lui-même.

A Sodome, l’hospitalité était interdite et passible de châtiment !
Cet épisode vient lui aussi nous éclairer sur le niveau extraordinaire de notre patriarche.
En général, celui qui excelle dans certaines vertus, et particulièrement celui qui fait le bien et développe une attitude de grande générosité, nourrit des sentiments de rejet à l’égard de ceux ont une conception et une conduite inverses.
Dans tous les cas, celui qui fait le Bien n’aura pas envie d’aider de telles personnes.
Mais chez Avraham, comme nous l’avons vu, le ‘Hessed trouvait son origine dans la volonté la plus pure de se rapprocher des voies de D.ieu.
De ce fait, à l’image de D.ieu qui supporte les fautes des pires mécréants, Avraham est prêt à sacrifier ses propres sentiments et conceptions de la vie, s’effaçant totalement, pour plaider en faveur de Sodome.

La Thora, en rapprochant ces deux événements, nous livre la réelle conception du Bien, telle que la souhaite notre Créateur, enseignement capital et parfaitement actuel.

Car en comprenant aujourd’hui le véritable sens du ‘Hessed, nous avons la possibilité d’accomplir la mitsva de véhala’hta bidra’hav, « Tu marcheras dans les voies de l’Eternel.»

Par le Rav Rav Eliahou Elkaïm de la yéchiva