Le destin de Joseph

Une grande partie de la parachath Wayèchev énumère les retournements en dents de scie du destin de Joseph, qui passe successivement de l’état d’enfant gâté, fils préféré de son père, à celui d’une simple marchandise, vendue par ses frères à des caravaniers en route pour l’Egypte, puis à celui d’homme de confiance d’un haut dignitaire de la cour de Pharaon. Après quoi, victime d’une tentative de séduction de la part de la femme de celui-ci, il est jeté en prison où il ne tarde pas à jouir de la sympathie, et de ses geôliers et de ses co-détenus. Mais l’ingratitude de l’un d’eux, le maître échanson, lui fera passer deux ans de plus en détention, et ce n’est que dans la paracha suivante, celle de Miqets , qu’il sera appelé par Pharaon à la fonction de vice-roi d’Egypte.

Joseph apparaît dans le récit comme naïf et comme confiant à l’excès : Il n’éprouve aucune haine envers ses frères, il n’a aucune méfiance envers ceux qui pourraient, comme la femme de Potifar, mentir et l’accuser faussement, et il ne croit pas à l’ingratitude de ceux qui l’entourent.

Cette naïveté, on la constate surtout par rapport à la femme de Potifar. Alors qu’elle déploie tous ses charmes pour le séduire, il ne trouve rien d’autre à lui opposer que des arguments moralisateurs (« Mon maître a mis entre mes mains tout ce qui lui appartient » [ Berèchith 39, 8]), ou religieux (« Et comment ferais-je ce grand mal, et pécherais-je contre Dieu ? » [ Berèchith 39, 9]), dont elle n’a manifestement que faire.

En plus de cela, sans se douter le moins du monde qu’il pourrait tomber dans un piège, c’est précisément à un moment où il n’y avait personne dans la maison ( Berèchith 39, 8) qu’il se trouve face à face avec sa séductrice.

On peut donc dire de Joseph qu’il n’a pas été simplement la victime de circonstances sur lesquelles il n’avait pas de prise. C’est son inconscience du mal et son inaptitude à le déceler qui ont été les causes de ses malheurs.

Les Sages disent de Joseph, et de lui seul parmi tous les enfants de Jacob, qu’il était un tsaddiq , un « juste » ( Yoma  35b). Le propre du tsaddiq est son inaptitude à discerner le mal chez les autres, car il n’existe pas en lui. Cela nous permet de mieux comprendre les pièges qui lui ont été tendus, et peut-être aussi comment ils l’ont fait mûrir, et lui ont ainsi permis de s’élever ensuite aux plus hautes destinées.

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Haftarath parachath Wayèchev – Trois, et quatre transgressions

La haftara de la parachath Wayèchev s’inscrit comme une conclusion des deux premiers chapitres du livre d’Amos où Hachem annonce qu’à cause de trois transgressions de Damas (1, 3), de Gaza (1, 6), de Tyr (1, 9), d’Edom (1, 11), d’Ammon (1, 13), de Moab (2, 1) et de Juda (2, 4), Il ne révoquera pas Son arrêt pour la quatrième.

Puis il annonce de la même façon qu’à cause de trois transgressions d’Israël, Il ne révoquera pas Son arrêt pour la quatrième (2, 6).

Ces « trois transgressions » communes à ces huit peuples, selon les commentateurs, ce sont les trois péchés « capitaux » constitués par l’idolâtrie, la débauche sexuelle et le meurtre.

Mais tandis que pour Juda, la transgression qui restera inexpiable a été l’abandon de la Tora de Hachem , celle qui entraînera le châtiment d’Israël – terme qui désigne ici le Royaume du Nord – sera « seulement » d’avoir « vendu le juste pour de l’argent et le pauvre pour une paire de sandales ».

Ce déséquilibre, qui peut paraître étonnant, est expliqué comme suit par Radaq ( ad  2, 4) :

La fin du Royaume d’Israël et la dispersion des dix tribus « perdues » ne sont pas sans rappeler la destruction de la génération du Déluge. Les populations qui ont été alors détruites s’étaient rendues coupables de péchés très graves. C’est ainsi, comme nous l’apprend la Guemara Sanhédrin 108a (voir aussi Rachi ad Berèchith 6, 13), leur verdict de mort n’a été prononcé qu’à cause de la violence.

De la même façon, précise Radaq , le sort du Royaume d’Israël n’a été scellé qu’à cause des injustices et de la corruption, les juges ayant vendu le juste – c’est-à-dire celui qui avait le bon droit pour lui – pour de l’argent corrupteur, et s’étant laissés soudoyer par une simple paire de sandales.

Jacques KOHN.