Ya‘aqov demeura dans le pays des séjours de son père, dans le pays de Canaan. (37, 1)

Nous savons depuis longtemps, selon ce que nous avons lu dans le livre de Beréchith, que Yits‘haq a vécu en Canaan. Pourquoi alors est-il nécessaire de nous préciser ici que « le pays des séjours du père [de Ya‘aqov] » était « le pays de Canaan » ?
Aussi longtemps que Ya‘aqov a habité à Paddan Aram, explique le Zéra’ berèkh, il sentait que son frère disposait sur lui d’un double avantage : Il avait la possibilité d’accomplir les mitswoth d’honorer ses parents et de vivre en Erets Yisrael, tandis que lui-même ne l’avait pas.
A son retour en Terre Sainte, en revanche, les rôles se sont trouvés inversés. Nous lisons à la fin de la parachath Wayichla‘h (36, 6-8) que ‘Essaw s’est installé à Séir, s’éloignant ainsi à la fois de son père et d’Erets Yisrael. C’est désormais Ya‘aqov qui pouvait honorer Yits‘haq et habiter en Terre Promise.

C’est ce que nous dit ici la Tora : Ya‘aqov était animé d’une double intention en s’installant là où il l’a fait. C’était d’abord « le pays des séjours de son père », d’où une meilleure possibilité de l’honorer. Mais c’était aussi « le pays de Canaan », où il pourrait accomplir la mitswa de vivre en Erets Yisrael.

Ya‘aqov demeura dans le pays des séjours de son père, dans le pays de Canaan. (37, 1)

Ya‘aqov aspirait à demeurer en paix, nous apprend Rachi, mais des tourments l’ont assailli lorsque Yossef a disparu. Toutes les fois que les justes rêvent de vivre dans la quiétude, le Saint béni soit-Il leur rétorque : « Pourquoi les justes ne se contentent-ils pas de ce qui leur est réservé dans le monde à venir, et veulent-ils aussi jouir de la sérénité ici-bas ? »
En quoi était-il inconvenant pour Ya‘aqov de désirer la tranquillité ? s’étonne le Alchikh. Est-il mauvais de jouir des fruits de ses bonnes actions dans ce monde-ci, alors que celles-ci restent inscrites à notre compte dans celui à venir ?
Il n’y a, en fait, aucun mal à cela, explique-t-il. Si Hachem avait voulu accorder à notre ancêtre la tranquillité, celui-ci aurait pu l’accepter de bon cœur. Mais il n’aurait pas dû la rechercher activement.
Rabbi ‘Aqiva Eiger propose une réponse différente : Il est vrai, dit-il, que l’histoire juive abonde en exemples où des hommes de grande stature spirituelle ont mené des vies tranquilles, préservées de toute tragédie, comme Rabbi Yehouda Hanassi (« le Prince »), compilateur de la Michna.
Mais, continue-t-il, il existait une différence fondamentale entre Ya‘aqov et tous les autres. Les êtres vertueux sont toujours préoccupés à l’idée d’avoir peut-être compromis leur part dans le monde futur. Pour cette raison, quoi qu’il advienne, ils ne jouissent jamais d’une véritable quiétude ici-bas.
Ya‘aqov, en revanche, avait reçu un signe du Ciel, comme indiqué par le Midrach dans la parachath Wayigach (Tan‘houma 9, 50) : Aussi longtemps qu’aucun de ses fils ne mourrait de son vivant, sa part dans le monde à venir était assurée. Il pensait par conséquent qu’il pourrait avoir une vraie tranquillité ici-bas. Mais le choc causé par la disparition de Yossef a aussitôt bousculé cette sérénité. Ne sachant plus si tous ses fils étaient vivants, il fut de nouveau obsédé par la pensée qui tourmente les justes : Aurait-il une part dans le monde futur ?

Voici les générations de Ya‘aqov : Yossef, à l’âge de dix-sept ans, était berger du troupeau avec ses frères. (37, 2)

Le ‘Hafets ‘Hayim souligne le développement extraordinaire des événements qui ont entouré la vente de Yossef. Fils favori de son père Ya‘aqov, il a été arraché à celui-ci et à son pays natal. Il a passé dans une terre lointaine les meilleures années de sa vie, aux mains de gens vulgaires qui n’ont reculé devant aucun effort pour le détruire. Et quel a été le résultat final de toutes ses épreuves et ses souffrances ?
La Providence divine a transformé ces mêmes événements en instruments de son accession fulgurante au pouvoir. Vendu comme esclave à l’un des ministres de Pharaon, il a été élevé directement à la toute-puissance comme vice-roi d’Egypte, chargé de pourvoir aux besoins alimentaires des pays de la région. Cette évolution, comme par un choc en retour, a provoqué l’ultime renversement de la situation, lorsque ses frères, qui avaient cherché à le perdre, se sont prosternés devant lui en une totale soumission.

Comme les voies de la Providence divine sont merveilleuses et mystérieuses ! Il peut arriver que l’on soit pris dans la situation la plus angoissante, sans jamais se rendre compte qu’elle finira par se dénouer dans toutes sortes d’avantages et dans la joie.

Cette paracha est aussi une préfiguration de l’avenir du peuple juif. Quand la Royauté du Saint béni soit-Il sera révélée dans ce monde, nous verrons avec une clarté parfaite combien toutes nos épreuves et nos tribulations auront été nécessaires pour nous élever à la grandeur. C’est ainsi que s’est exprimé le prophète Yecha’ya (12, 1) : « Et vous direz en ce jour : “Je Te remercie, Hachem, d’avoir fait éclater sur moi Ta colère !” » Un jour viendra où nous chanterons Ses louanges pour toutes les souffrances qu’Il nous a infligées, parce que nous verrons alors qu’elles ont été le point de passage obligé vers notre salut et notre réussite.

Voici les générations de Ya‘aqov : Yossef, à l’âge de dix-sept ans, était berger du troupeau avec ses frères, et il était un jeune homme avec les fils de Bilha et les fils de Zilpa, les femmes de son père. Yossef rapporta leur mauvais bavardage à leur père. (37, 2)

Ce « mauvais bavardage » rapporté par Yossef, explique Rachi, s’applique à l’habitude qu’avaient ses frères de manger évèr min ha‘haï, des membres arrachés à un animal vivant.
Mais se peut-il vraiment, s’étonnent les commentateurs, que des hommes aussi saints et aussi vertueux aient contrevenu à l’interdiction de manger des membres arrachés à un animal vivant ? Et est-il concevable que le saint et vertueux Yossef ait rapporté à son père des propos mensongers ? De plus, pourquoi la Tora décrit-elle leur consommation du évèr min ha‘haï comme un « mauvais bavardage » ?
Les frères, explique Rav Yonathan Eybeschuetz, n’ont bien évidemment jamais mangé de la viande interdite. Cependant, afin de vérifier si Yossef disait du mal d’eux à leur père, ils se sont parlé entre eux comme s’ils avaient commis une chose pareille. « Comme est bonne et succulente la viande déchirée à un animal vivant ! », se sont-ils exclamés. En entendant ces propos, Yossef a supposé qu’ils en avaient effectivement consommé et, pensant bien faire, il l’a rapporté à son père.
Cette explication nous permet de mieux comprendre le choix des termes employés par la Tora. Yossef ne les a jamais vus en train de manger. Il a seulement entendu leur « mauvais bavardage », dont il a informé Ya‘aqov.
Selon Rachi, Yossef a également rapporté à son père que les frères humiliaient les fils des concubines, en les traitant de serviteurs, et qu’ils étaient soupçonnés de se livrer à la débauche.
Le Rabbi de Skoulen attire l’attention sur le mot « soupçonnés » employé par Rachi. Yossef ne disposait d’aucune preuve concrète les reliant à cette transgression, mais c’est leur façon de traiter les fils des concubines qui l’a conduit à les suspecter. Leur maladresse, pensait Yossef, était une forme d’arrogance. Or, nos Sages nous enseignent que « se comporter avec arrogance équivaut à entretenir des relations interdites ». C’est pourquoi il les a soupçonnés de l’avoir réellement fait.