« Lorsque Pharaon vous parlera en disant : Donnez-vous un prodige ! Tu diras à Aaron : Prends ton bâton et jette-le devant Pharaon, et qu’il soit serpent ! » ( Chemoth 7, 9).

De ce verset découle l’idée selon laquelle les miracles qu’a réalisés Hachem par l’intermédiaire de Moïse et d’Aaron ont joué un rôle essentiel pour convaincre à la fois les enfants d’Israël et Pharaon de l’authenticité de la mission impartie à Moïse de libérer nos ancêtres alors réduits à l’esclavage.

Cette idée paraît cependant contredite par d’autres versets : « S’il s’élève en ton sein un prophète, ou un visionnaire, qui te donnera un signe ou un miracle, et quand même s’accomplirait le signe ou le miracle qu’il t’a annoncé […] C’est Hachem , votre Dieu, qu’il faut suivre, c’est Lui que vous devez craindre; vous n’observerez que Ses préceptes, n’obéirez qu’à Sa voix; à Lui votre culte, à Lui votre attachement… » ( Devarim 13, 2 à 5).

Il semble résulter de ces derniers versets un rejet catégorique des miracles en tant qu’arguments, y compris si les miracles annoncés se produisent effectivement.

En fait, explique Rambam /Maïmonide ( Hilkhoth yessodei ha-Tora 8, 2), notre croyance en Hachem résulte de la démonstration unique que nous a apprise la révélation du mont Sinaï. Cette démonstration, à laquelle ont assisté tous les enfants d’Israël, a authentifié Moïse et sa mission, et elle a établi un lien indestructible entre Hachem et le peuple juif.

Tous les autres miracles qui ont précédé cet événement n’ont produit qu’une influence éphémère, car telle est la nature de tous les miracles. Et depuis que nous avons reçu la Tora au mont Sinaï, nous n’avons plus besoin de miracles d’aucune sorte pour authentifier celle-ci et lui donner force et valeur.

Si un prophète vient désormais, parlant au nom de Hachem , et accomplit un miracle afin de nous inciter à un acte ou à un comportement conformes à l’enseignement de la Tora , nous devons l’écouter, mais seulement parce que Moïse nous l’a ordonné (« C’est un prophète sorti de tes rangs, un de tes frères comme moi, que Hachem , ton Dieu, suscitera en ta faveur: c’est lui que vous écouterez » – Devarim 18, 15), et non à cause des miracles qu’il aura pu accomplir.

Les miracles, dans le meilleur des cas, jouent un rôle marginal. C’est pourquoi si un prophète se présente avec un message qui nie au contraire les enseignements de la Tora , il commet un crime puni de mort et nous devons l’ignorer, sans tenir aucun compte des prodiges qu’il a accomplis.

 Haftarath Vaera :
Pharaon, roi d’Egypte, grand crocodile…

Dans cette haftara , le prophète Ezéchiel, au nom de Hachem , invective Pharaon, « grand crocodile, couché au milieu de ses fleuves, lui qui dit : “Mon fleuve est à moi, c’est moi qui me le suis fait !” » (29, 3).

Ce verset souligne la caractéristique essentielle de l’Egypte et la source de son arrogance : Bien que son territoire soit désertique dans sa plus grande partie, ce pays n’a pas besoin de pluies, et sa fertilité lui est procurée exclusivement par le Nil, un fleuve dont les crues sont régulières et qui suffisent à assurer la prospérité des régions qu’il traverse.

Cette arrogance de l’Egypte antique se trouve renforcée par celle de son roi, Pharaon. Persuadé qu’il est une divinité, il s’identifie au Nil et affirme en avoir été le créateur.

Mais un jour viendra, annonce le prophète, où ce « grand crocodile » recevra la juste punition de son arrogance, et il sera donné « en pâture aux animaux de la terre et aux oiseaux des cieux » (29, 5).

Cette punition, l’Egypte ne la méritera pas pour avoir asservi les enfants d’Israël comme dans notre paracha , mais parce qu’elle leur a « prêté un appui de roseau » (29, 6).

Le roseau dont il est ici question, ce n’est ni le « roseau pensant » de Pascal, ni le roseau « qui plie et ne rompt pas » de La Fontaine.

Contrairement à ces deux auteurs, qui ont du roseau une vision positive, nos prophètes, comme ici Ezéchiel, et avant lui Isaïe (36, 6), en font un symbole de fourberie et de duplicité :

A plusieurs reprises, explique Rachi , les enfants d’Israël ont accordé leur confiance aux Egyptiens : à l’époque de Sennachérib, conquérant du royaume d’Israël, et à celle de Nabuchodonosor, conquérant du royaume de Juda et destructeur du premier Temple. Mais ils n’ont jamais obtenu d’eux le soutien qu’ils en attendaient et qui leur était promis par des alliances conclues en bonne et due forme. L’Egypte s’est comportée comme un roseau, perfide et infidèle, qui n’apporte jamais un appui sûr à celui qui compte sur lui.

JACQUES KOHN Zal