De tous les descendants de Japhet, Yawan (Voir Berèchith 10, 2 et suivants) est celui qui occupe dans notre tradition une place prépondérante en tant qu’il représente un modèle proche de nous en même temps qu’il nous est hostile.

La sagesse et la civilisation grecques qu’il personnifie, dont l’évolution à travers les siècles a abouti à la culture occidentale, ont exercé une sorte de fascination sur nos Maîtres, mais une fascination dans laquelle ils ont pris garde de ne voir que leurs aspects positifs.

Il est permis, nous apprend la Guemara Péa Yerouchalmi (1, 1), d’enseigner le grec à sa fille parce que c’est pour elle un « bijou ».

Et pourquoi pas à son fils ? Parce que ce serait, répond la Guemara Mena‘hoth (99b), transgresser le verset : « Occupe-toi [de la Tora] jour et nuit » (Josué 1, 8). De même qu’il n’y a rien d’autre dans une journée que le jour et la nuit, de même ne dois-tu pas y trouver le temps d’étudier le grec.

On trouve ainsi dans cette Guemara une certaine ambiguïté dans les rapports que nous devons avoir avec la civilisation grecque. Nos Maîtres réprouvent l’étude de celle-ci non pas parce qu’ils lui attribuent de la dangerosité – bien au contraire elle peut être un bijou – mais parce qu’elle empiète sur le temps que nous devons consacrer à la Tora.

Nous trouvons cette même ambiguïté dans une discussion sur la question de savoir s’il est permis de rédiger des livres  bibliques dans une autre langue que l’hébreu. A cette question la Guemara (Meguila 18a) répond par la négative, « à l’exception de la langue grecque ».

 

Les textes talmudiques tendent à distinguer entre la langue et la « sagesse » grecques. Tel est le sens que l’on peut donner à un passage de la Guemara Sota 49a et b :

Pendant la guerre fratricide des deux princes hasmonéens Hyrcan II et Aristobule II, et le siège de Jérusalem par le premier, soutenu par Rome, on descendait chaque jour de sur les murailles un panier contenant de l’argent que les assiégeants remplaçaient par des animaux destinés aux sacrifices quotidiens dans le Temple.

Un jour, un vieillard « instruit dans la sagesse grecque » s’adressa aux assiégeants en leur disant : « Aussi longtemps qu’ils pourront assurer le service du Temple, ils ne capituleront jamais ». Le lendemain, lorsque les assiégés récupérèrent le panier, c’est un porc qu’ils y découvrirent.

Le sacrilège était trop grave pour les Sages qui proclamèrent alors : « Maudit soit celui qui élève des porcs, et maudit soit celui qui enseigne la sagesse grecque à son fils ! »

La Guemara prend cependant soin de distinguer la langue de la sagesse grecques : Tandis qu’il est interdit d’étudier celle-ci, il est permis d’apprendre celle-là.
Signalons pour conclure que rabbi Yehouda Halévi dit de la culture grecque dans son Kouzari que le fondement de la sagesse grecque est la fleur, et non le fruit, voulant affirmer par là que la beauté grecque n’est rien d’autre qu’un produit éphémère, tandis que c’est le fruit, auquel elle est étrangère, qui apporte la vie et qui porte en lui la semence du futur.

Jacques KOHN Zal