La population d’avant le déluge citée dans le livre de Berèchith a compté deux personnages appelés Lémekh :
un premier Lémekh, descendant de Caïn (Voir Berèchith 4, 17 à 4, 24), et un second, descendant de Seth et père de Noé (Voir Berèchith 5, 25 à 28).

Il existe cependant un lien étroit entre ces deux personnages : La fille du premier, Naama, a été l’épouse de Noé, et l’on ne peut pas s’empêcher de penser que cette similitude de noms n’était pas fortuite.

Peut-être la Tora a-t-elle voulu souligner que la descendance de Noé et de Naama, à savoir l’humanité post-diluvienne à laquelle nous appartenons, est elle-même le produit d’une double hérédité, celle Lémekh, descendant de Caïn, à qui elle doit les armes, instruments de mort, et celle de Lémekh, descendant de Seth, de celui qui n’est pas souillé par la tache originelle qui a atteint les descendants du meurtrier d’Abel.

Lémekh a épousé deux femmes, Ada et Tsila (Berèchith 4, 19), premier cas de bigamie de l’histoire, mais cette bigamie était marquée par du dévergondage.

Comme l’explique Rachi, citant Berèchith rabba 23, 2, telles étaient les mœurs de la génération du déluge : Les hommes épousaient deux femmes, l’une pour leur donner des enfants, et l’autre pour le plaisir. On faisait absorber à la seconde une potion destinée à la rendre stérile, on la parait comme une jeune épousée et on la nourrissait de mets succulents. Quant à la première, elle était humiliée et endeuillée comme une veuve.

Le livre de Berèchith contient, en deux versets (4, 23 et 24), un discours adressé par Lémekh à ses deux épouses. Ce discours, le premier poème de l’histoire, a été diversement commenté par nos exégètes :

« Ada et Tsila, écoutez ma voix ! Femmes de Lémekh, prêtez l’oreille à ma parole ! Car j’ai tué un homme, est-ce de ma blessure ? Et un jeune homme, est-ce de mon coup ? Car Caïn est vengé sept fois, et Lémekh soixante-dix-sept fois. »

Explication de Rachi d’après Midrach tan‘houma Berèchith 11 : « Ses femmes s’étaient séparées de lui et elles refusaient des rapports conjugaux, étant donné qu’il avait tué Caïn et son propre fils, Touval Caïn. Lémekh était en effet aveugle, et Touval Caïn lui servait de guide. Il aperçut un jour Caïn et, le prenant pour une bête sauvage, il dit à son père de bander son arc et de le tuer. Lorsque Lémekh apprit que c’est Caïn, son aïeul, qu’il avait atteint, il frappa ses mains l’une contre l’autre et, écrasant son fils entre elles, le tua. Alors, ses femmes se séparèrent de lui et il essaya de les rasséréner en leur disant : « Ecoutez ma voix ! » – Revenez à moi ! L’homme que j’ai tué, « est-ce par “ma” blessure » ? Cette blessure était-elle intentionnelle pour qu’elle soit appelée « mienne » ? Et le jeune homme que j’ai tué, a-t-il été tué par « mon coup », c’est-à-dire par ma main ? C’est sans intention que j’ai agi, et non de manière délibérée ! Ce ne sont ni « ma » blessure, ni « mon » coup ! [Les deux distiques du chant de Lémekh sont par conséquent des interrogations]

Selon une autre explication, inspirée du Targoum Onqelos et proposée par Rachi et Ibn Ezra, les femmes de Lémekh craignaient d’avoir d’autres enfants étant donné qu’ils seraient la septième génération après Caïn et donc qu’ils subiraient la punition promise par Hachem (Voir Berèchith 4, 15). Lémekh les rassura en leur assurant que cette punition resterait suspendue encore pendant soixante dix-sept générations.

Pour Ramban/Nahmanide, Lémekh était un homme de ressources qui enseigna à son fils aîné l’art du pâturage; à son deuxième fils celui de la musique et à son troisième l’art de forger des instruments de cuivre et de fer pour en faire des lances et des javelots pour la guerre. Ses femmes eurent peur qu’il n’encourût une punition pour avoir introduit sur terre des armes de guerre, propres à inciter leurs descendants à suivre les traces de Caïn, premier meurtrier de l’histoire.

Ce qu’a voulu Lémekh dansson discours, c’est rassurer ses femmes en leur faisant remarquer que ce ne sont pas les armes qui tuent, mais ceux qui les utilisent.

Jacques KOHN zal’