Généralement, la période de Ben Hamétsarim est perçue exclusivement comme un temps de deuil, propice aux larmes et à l’affliction. Mais les maîtres de la tradition nous rappellent que la tristesse ne signifie pas pour autant l’asphyxie de tout élan spirituel…

Le Talmud (Békhorot 8/b) raconte que lors d’une célèbre confrontation, Rabbi Yéhochoua ben ‘Hanania fut opposé aux sages d’Athènes, qui tentèrent de se mesurer à sa sagesse. Entre autres épreuves, ces derniers lui présentèrent deux œufs, identiques en tous points, et lui demandèrent de découvrir lequel avait été pondu par une poule blanche et lequel par une poule noire. Pour toute réponse, le maître juif avait fait venir deux fromages, et demanda aux sages grecs de découvrir lequel avait été fait à partir du lait d’une chèvre noire et lequel provenait d’une chèvre blanche…
Pour le Maharcha, cette énigme est une allusion au sort du peuple juif, symbolisé ici par l’œuf. En effet, une période de 21 jours s’écoule entre le moment où la poule est fécondée et le jour où elle pond son œuf. Ce que les sages d’Athènes s’efforçaient de prouver au maître du Talmud, c’est que quelle que soit la couleur de la poule, cette période de 21 jours donne toujours un résultat identique. Cette image fait référence à deux périodes du calendrier juif : entre le 17 Tamouz et Ticha BéAv, il y a une période de 21 jours, et de Roch Hachana jusqu’à Hochana Rabba – dernier jour de Souccot lors duquel est scellé le pardon définitif –, il y a également 21 jours.
L’allusion faite par les Grecs était donc bien claire : que la poule soit aussi sombre que les trois semaines de Ben Hamétsarim, ou qu’elle soit blanche comme les 21 jours de pardon, le résultat sera toujours le même. Pour eux, cette similitude signifie que depuis la destruction du Temple, le peuple juif a perdu tout espoir de rédemption. Même dans ses moments les plus intenses – comme les jours de réjouissance et de pardon du mois de Tichri –, le peuple juif ne peut guère espérer être réhabilité devant D.ieu, car son sort est scellé à l’exil et à la perdition.
Mais par sa démonstration, Rabbi Yéhochoua ben ‘Hanania aboutit à une conclusion toute autre. A Yom Kippour, le peuple juif amenait dans le Temple deux boucs : l’un « blanc », approché pour D.ieu sur l’Autel, et le second « noir », jeté du haut d’un précipice pour Azazël. Or, bien que le sort de ces boucs semble totalement opposé, leur rôle était pourtant semblable. Pour preuve, on attachait sur les cornes du second bouc une langue de laine, qui blanchissait au fur et à mesure qu’il pénétrait dans le désert, signe que les fautes du peuple juif étaient expiées également par son effet. C’est ce que ce maître du Talmud voulut prouver à ses opposants en leur montrant deux fromages issus de chèvres de couleur différente : quels que soient les moyens mis en œuvre, le service divin conduit invariablement au salut et à l’expiation du peuple juif.
Il en résulte donc que ce deuil que nous observons pendant les semaines de Bén Hamétsarim a un résultat identique aux jours de Pénitence : « De la même manière que les 21 jours allant de Roch Hachana jusqu’à Hochana Rabba ‘blanchissent’ les fautes et apportent l’expiation, ainsi les 21 jours séparant le 17 Tamouz du 9 Av blanchissent les fautes, du fait que les épreuves et les tourments sont une expiation »…Par Yonathan Bendennnoune, en partenariat avec Hamodia.fr