Dans la parachat Vayéra, la Torah fait mention de deux épisodes d’hospitalité : le premier, lorsqu’Avraham accueillit les trois anges qui se présentèrent à la porte de sa tente, et le second, lorsque deux d’entre eux arrivèrent à Sodome et y furent reçus par Loth, le neveu du patriarche.

Lorsqu’on compare ces deux épisodes, un point ne manquera pas de surprendre : d’une part, la Torah relate avec de multiples détails comment Avraham accueillit les trois « nomades » qui passèrent près de sa tente. Le verset n’épargne pas ses mots pour décrire les marques de prévenance dont il fit preuve pour que les meilleurs mets leur soient présentés dans les plus brefs délais… (Béréchit 18, 2-8). Or chez Loth, c’est le phénomène inverse qui apparaît : avec une étrange concision, la Torah se contente de relater qu’il insista pour que les anges acceptent son hospitalité, et qu’il leur fit cuire des galettes (ibid. 19, 2-3). De prime abord, l’attitude de Loth n’était-elle pas nettement plus méritoire que celle de son oncle, puisqu’il fut prêt à risquer sa propre vie pour recevoir des invités sous son toit ?…
Plusieurs réponses furent données à ce sujet (citées dans le Otsarot HaTorah). Certains avancent que contrairement à Avraham, Loth ne ressentait pas intimement l’importance de l’hospitalité. Chez lui, cette qualité n’était que la reproduction de ce qu’il avait appris chez son oncle, sans que la bienveillance ne le pénétrât jamais profondément.
Dans la suite de cette idée, certains commentateurs font remarquer que l’hospitalité de Loth était clairement déficiente, dans la mesure où il fut prêt à l’offrir sur le compte d’autrui. En effet, lorsque les habitants de Sodome menacèrent de forcer sa porte, Loth tenta de protéger ses invités de manière peu reluisante : « J’ai deux filles qui n’ont pas encore connu d’homme ; je vais vous les amener et vous leur ferez ce que bon vous semblera… » Si Loth était véritablement mû par un esprit de bienveillance, jamais il n’aurait été prêt à sacrifier ses filles pour le confort de ses invités. C’est bien la preuve que chez lui, cette qualité n’était qu’une pâle imitation de ce qu’il avait vu pendant des années chez son oncle…
D’autres commentateurs découvrent une différence essentielle entre l’hospitalité de ces deux hommes à travers un détail du verset. Chez Avraham, il est dit : « Comme il levait les yeux et regardait, il vit trois hommes debout près de lui… » C’est-à-dire que les anges lui apparurent comme d’ordinaires nomades. En outre, Avraham était alors souffrant – puisqu’il venait de se circoncire trois jours plus tôt. Malgré tout, il ne chercha nullement à se désister de son devoir, et il courra au-devant de ses hommes dont il ignorait la véritable nature.
Mais chez Loth, il est dit : « Les deux anges arrivèrent à Sodome le soir. Loth, assis à la porte de Sodome, les vit, il se leva au-devant d’eux et se prosterna… » C’est-à-dire que ces hommes apparurent à Loth d’emblée sous leur véritable nature : des anges envoyés du Ciel. Or, qui refuserait l’hospitalité à des êtres célestes ? Il n’y a donc rien de très exceptionnel à se dévouer et même à risquer sa vie pour les accueillir.
Inspirés par Avraham, les maîtres de notre peuple ont de tout temps accordé la plus haute importance à l’hospitalité, comme l’illustrent les histoires suivantes (rapportées dans le Itouré Torah).
Accueillir à prix fort
A l’approche de la fête de Pessa’h, deux hommes de passage en Erets-Israël émirent le souhait de passer la soirée du Séder chez l’un des maître de Jérusalem. Celui-ci répondit favorablement à leur demande, et lorsque les invités proposèrent de participer aux frais de la fête, l’hôte accepta non seulement leur contribution, mais il exigea une somme assez conséquente. Bien que surpris par sa réponse, les deux invités ne protestèrent pas et lui tendirent la somme exigée.
Le lendemain de la fête – premier jour de ‘Hol Hamoëd en Israël et deuxième jour de fête pour les invités originaires de la Diaspora –, le rav se présenta dans la chambre de ces derniers et déposa sur la table la somme exacte qu’il avait exigée d’eux pour les accueillir.
– Pourquoi cet argent ? protestèrent-ils. N’avez-vous pas accepté que nous participions aux frais de la fête ?
– Si j’ai accepté votre argent, répondit l’hôte, c’est parce que je voulais que vous vous sentiez parfaitement à l’aise. En sachant que vous avez payé pour être hébergé chez moi, j’ai eu l’assurance que vous vous sentiriez vraiment chez vous…
Seuls les chevaux ont changé…
Deux illustres frères de la tradition hassidique, Rabbi Elimélekh de Lizansk et Rabbi Zousia d’Anipoli, s’imposèrent pendant plusieurs années une errance volontaire, comme c’était parfois l’habitude chez les maîtres de cette époque. Une veille de Chabbat, ils arrivèrent dans la ville de Ludmir. Après la prière du vendredi soir, ils attendirent qu’un fidèle daigne les inviter, mais personne ne se manifesta. Finalement, un pauvre de la ville les prit en pitié, et leur proposa de partager avec lui son humble repas.
Quelques années plus tard, les deux frères acquirent une formidable renommée, et furent reconnus comme des maîtres de la génération. C’est à cette époque que leur route passa à nouveau par Ludmir. A l’annonce de leur arrivée, tous les dignitaires de la ville sortirent à leur rencontre, et de nombreux Juifs entourèrent leur calèche pour leur faire honneur. Lorsque les deux maîtres descendirent du coche, le chef de la communauté leur annonça que tout avait été prévu à leur intention, et qu’une chambre spacieuse et confortable les attendait dans la demeure d’un richissime personnage.
– Depuis notre dernier passage, répondirent les maîtres, rien n’a changé en nous : nous sommes restés exactement les mêmes qu’à l’époque. La seule différence est qu’aujourd’hui, nous voyageons en calèche. Par conséquent, nous irons nous-mêmes loger chez notre hôte habituel, celui qui nous a accueillis lors de notre dernier passage. Quant aux chevaux, vous pouvez leur faire l’honneur d’être reçus chez votre richissime personnage…
La table bancale
Rav Chmouel de Shinova raconte : « Mon maître, Rabbi Sim’ha Bounam de Pchis’ha avait une très grande estime de Rabbi Akiva Iguer, plus en raison de son immense piété que de son formidable génie…
Il me raconta qu’un jour, Rabbi Akiva Iguer reçut chez lui un invité. Au milieu du repas, l’invité commit une maladresse et renversa un verre de vin sur la nappe immaculée. Aussitôt, le maître prit son propre verre de vin et, comme par mégarde, il le renversa à son tour. Avec un sourire au coin des lèvres, il dit ensuite : ‘La table est visiblement bancale…’ »
Les anges peuvent attendre…
Rav Leib ‘Hasman raconta qu’un Chabbat, de passage à Radin, il eut le mérite d’être l’invité du ‘Hafets ‘Haïm. Le vendredi soir, de retour de la synagogue, le maître de Radin sauta le passage traditionnel de « Chalom Alékhem » et entama aussitôt le Kidouch. Et seulement après le plat de poisson, il entonna le chant en l’honneur des anges qui accompagnent tout Juif le vendredi soir. Rav ‘Hasman, ne pouvant contenir davantage sa surprise, s’exclama : « Que signifie votre attitude ? La coutume veut pourtant qu’on chante ce texte en l’honneur des anges dès le retour de la synagogue ! » Le ‘Hafets ‘Haïm lui répondit en ces termes : « Vous avez fait un long voyage aujourd’hui, et vous devez certainement être affamé. C’est pourquoi j’ai jugé préférable d’entamer le repas immédiatement. Quant aux anges, ils peuvent bien attendre un petit peu… »
Ne vous dérangez pas…
A une autre occasion, ce fut rav Zalman Sorotskin, le rav de Lotsk, qui mérita d’être accueilli dans la maison du ‘Hafets ‘Haïm. Le maître de maison n’épargna pas les efforts pour procurer à son invité tout le confort. Mais lorsqu’il s’apprêta à lui faire son lit, rav Zalman s’interposa : « Ne vous dérangez pas tant ! Je peux faire moi-même mon lit ! »
Le lendemain matin, les deux hommes se rendirent ensemble à la synagogue pour la prière de cha’harit. Au moment où rav Zalman sortit ses téfilines de leur pochette, le ‘Hafets ‘Haïm alla le trouver et lui dit : « Ne vous dérangez pas tant ! Laissez-moi mettre les téfilines à votre place… » Par Yonathan Bendennnoune, en partenariat avec Hamodia.fr