On peut lire dans le Midrach (Chémot Raba, 33) : « Parce que c’est une bonne prise que Je vous ai offerte, Ma Torah ne l’abandonnez pas » (Proverbes 4, 2). N’abandonnez pas l’offre que Je vous ai faite. Parmi ce que l’homme acquiert, se trouve soit l’or sans l’argent, soit l’argent sans l’or. Mais dans ce que Je vous offre, vous y trouverez l’argent, comme il est dit : « Les paroles de l’Eternel sont des paroles pures, de l’argent raffiné – késsef tsarouf » (Psaumes 12, 7). Mais vous y trouverez aussi l’or, comme il est écrit : « Et elles sont plus précieuses que l’or, même le plus fin » (Psaumes 19, 11)… ».


Si le Midrach peut voir dans la terouma du peuple juif en vue de la construction du Michkan le rappel de la Torah, c’est parce que, comme l’enseigne le Ramban, le michkan doit sa sainteté au rayonnement de la Torah pour lequel il a été créé.

Pour le maître de Gérone en effet, lors de l’exposition du michkan et de ses ustensiles, l’Ecriture a ainsi donné la préséance à la construction du aron haKodech, parce que c’est dans l’arche sainte que seront entreposés les tables de l’alliance et le séfer Torah. Comme il est dit : « Et ils Me feront un sanctuaire, et Je résiderai au milieu d’eux (…). Et vous l’exécuterez ainsi. Et ils feront une arche de bois de Chitim… » (Chémot 15, 8-10).
Le michkan aurait donc pour fonction de permettre au kavod – à la gloire dévoilée au Mont Sinaï à l’occasion du don de la Torah précisément, de trouver une résidence ici-bas, le michkan étant la continuité de la révélation sinaïtique.

Sof maassé béMa’hchava te’hila
Ainsi, le Talmud (Traité Berakhot, p.55/a) relate que lorsque le Saint béni soit-Il ordonna à Moché de transmettre à Bétsalel l’impératif du michkan, Il lui dit de réaliser tout d’abord le tabernacle – le michkan, puis l’arche – le aron, et enfin les ustensiles – les kélim. Mais lorsque Moché Rabbénou s’adresse à Bétsalel, il mentionne en premier : le aron, les kélim et à la fin, le michkan. Ne comprenant pas l’ordre dans lequel les choses lui sont annoncées, Bétsalel demande alors : « Et où mettrais-je les ustensiles ? »…
Le Maharcha s’étonne de la question de Bétsalel : qu’est-ce que cela change si les ustensiles sont réalisés avant que ne le soit le michkan ? Quel que soit l’ordre dans lequel les choses seront faites, rien n’entrera dans le michkan tant que celui-ci n’aura pas été inauguré ! Puis il répond qu’en réalité la question que pose Bétsalel nous dévoile en réalité deux perceptions opposées sur l’ordre dans lequel l’ensemble de michkan doit être réalisé.
Si, pour Moché Rabbénou, il est d’abord question du aron haKodech, c’est parce que le plus grand des prophètes voit les choses avec cette acuité et cette nécessité auxquelles il accède lors du don de la Torah au Mont Sinaï. Il saisit la raison d’être du michkan, à savoir : l’aron haKodech, le lieu dédié à la révélation divine : la Torah.
Tandis que, comme son nom l’indique, Bétsalel se trouve dans l’ombre (béTsel) de l’Eternel. Aussi haute puisse être sa dimension prophétique, il ne peut s’élever à cette perception des choses, il voit le monde d’après l’ordre qui est le sien et dont les règles lui dictent de commencer par le michkan, le but visé par l’ensemble de l’édifice.
Moché s’attache à la pensée profonde des choses (ma’hchava té’hila) là où Bétsalel voit leur actualisation définitive (sof maassé), le moment où les ustensiles devront pénétrer dans le michkan.

L’or et l’argent
De même, lorsque le Midrach fait l’éloge de la Torah en annonçant qu’on y trouve à la fois l’or et l’argent, son intention est de nous enseigner que la Torah étant un ensemble comprenant tous les détails du monde, elle constitue une réalité en soi, absolument différente de tout ce qu’elle contient.
Pour le comprendre, représentons-nous un rayon de lumière. Tout le monde le sait, le spectre lumineux est composé de 7 couleurs qui vont du violet au rouge en passant par l’indigo, le bleu, le vert, le jaune et le orange. Or, la lumière n’est pas seulement l’addition de ces différentes couleurs. Elle représente quelque chose de radicalement distinct qui, en unifiant toutes ses parties, fait apparaître une réalité absolument nouvelle.
Et tel serait le premier enseignement du Midrach précité : la Torah comporte tout, en ce sens qu’elle englobe tous les détails de la réalité, toutes ses parties. Ainsi, lorsque l’homme se saisit de la Torah, l’offre qui lui a été faite, comme d’une totalité parfaite, il y trouvera nécessairement l’or et l’argent !
Mais, en comparant la Torah à l’or et à l’argent, les Sages nous livrent un autre message : si l’or et l’argent sont présents dans notre monde, c’est parce qu’ils trouvent d’abord leur origine dans la Torah elle-même, comme il est dit : « Le Saint béni soit-Il a regardé dans la Torah et a créé le monde » (Zohar, Chémot, p.161/b). Sous-entendu : tout ce qui appartient au réel doit son être à la Torah, car notre monde doit son existence à la matérialisation de la lumière contenue dans la Torah, son vêtement.
L’amour et la crainte
Ainsi en est-il de l’argent (késsef): cette dimension est dite dans la Torah sous la forme de l’expression « Nikhsof nikhsafti », elle est synonyme de l’amour, du désir. Comme quand il est dit : « Mon âme a désiré jusqu’à disparaître… Nikhsefa vé gam kaleta nafchi, mon cœur et ma chair ont chanté la louange de l’Eternel » (Psaumes 84, 3). Un verset que le Or ha’Haïm haKadoch ainsi : « Un désir tel qu’il va jusqu’à la dissolution de la partie dans le tout, ce dernier état étant plus élevé encore que celui du désir et de l’effervescence. Voilà ce que David désigne quand il déclare : « Mon âme a désiré jusqu’à disparaître… « . Car cet état est plus élevé encore que celui qui le précède, c’est même en vertu de cette disposition et de son déploiement que le monde existe. Et tel est le sens caché du qualificatif : « La vie des mondes » (‘haï haOlamim). Je te laisse le comprendre. Il répond au secret de la sentence : « Dans la lumière du visage du roi se trouve la vie » (Proverbes 16, 15) » (Béréchit 2, 1). C’est ce désir propre à la Torah qui s’est matérialisé dans l’argent.
Quant à l’or (zahav), comme cela ressort de notre tradition (cf. « Komets haMin’ha » 2, 65), il relève de la crainte authentique (ira).
Et c’est en ce sens que nous devons interpréter la demande que Saint béni soit-Il adresse à Israël lorsqu’Il demande : « Et voici l’offrande que vous recevrez d’eux : or, argent… ». Sous-entendu : chacun contribue à l’édification du michkan proportionnellement au lien qu’il entretient avec l’or et l’argent tels qu’ils sont effectivement du point de vue de la Torah.
Ainsi, il est dit au sujet d’Avraham qu’il était : « très imposant – kaved méod, en bétail, en argent et en or » (Béréchit 13, 2). Une expression que nos Sages interprètent en relation avec le Talmud et la Michna. Car, même si aucun verset ne saurait se défaire de son sens premier, il est clair que ce qu’on veut nous enseigner ici, c’est bien que l’or et l’argent matériels d’Avraham Avinou étaient le résultat des dimensions spirituelles qu’il avait atteintes vis-à-vis de ces mêmes qualités.
Le tout Israël
Ainsi, il est dit : « Et voici l’offrande que vous recevrez d’eux : or, argent et airain ; de l’azur, de la pourpre, de l’écarlate, du lin et des poils de chèvres ; des peaux de béliers teintes en rouge, des peaux de ta’hach et des bois de chitim ; de l’huile pour le luminaire, des aromates pour l’huile d’onction et pour la combustion des parfums ; des pierres de choham et des pierres à enchâsser, pour l’éphod et pour le ‘hochen. Et ils Me feront un sanctuaire, et Je résiderai au milieu d’eux » (Chémot 25, 3-8).

Si l’œuvre du michkan exprime le « béKhol méodékha » d’Israël, à savoir : le don de soi et la saisie de la présence de l’Eternel au cœur de nos biens matériels, pour le Ramban, c’est de la Torah qu’il tire sa kedoucha, sa distinction, ce qui fait sa particularité. Car, c’est dans le « béKhol nafchékha », dans cette disposition de l’âme à se faire l’écho (édout) du Mont Sinaï, que se constitue le réel susceptible de faire apparaître la Présence divine et de la dévoiler dans le monde.
Chaque membre d’Israël est relié, d’une manière ou d’une autre, aux éléments énumérés dans la confection du Michkan, mais la racine qui les unit tous c’est le dévoilement de la Torah. Car, c’est pour cela que le Michkan a été créé.

Par Yehuda-Israël Rück