C’est dans la paracha de Nasso que figure la bénédiction des Cohanim : « Voici comment vous bénirez les enfants d’Israël ; vous leur direz : ‘Que l’Eternel te bénisse et te protège.’ ; ‘Que l’Eternel fasse rayonner Sa face sur toi et t’accorde la grâce.’ ; ‘Que l’Eternel dirige Sa face vers toi et t’accorde la paix.’ » (Bamidbar 6, 23-26).


Ces trois versets énoncent les bénédictions que les membres de la tribu des Cohanim sont tenus d’adresser périodiquement au peuple d’Israël. Le Nétsiv de Volozhin explique le sens de ces différentes bénédictions comme suit (Haémek Davar ad loc.) :
« Que l’Eternel te bénisse » – ces mots renferment l’idée de la bénédiction individuelle, chacun selon ses besoins. C’est-à-dire que D.ieu multipliera les bienfaits et les avantages de chacun de manière spécifique, selon ce qu’il possède déjà. Ainsi, celui qui se voue à l’étude de la Tora trouvera la réussite dans son étude, et les personnes s’adonnant au commerce verront leurs affaires prospérer. En effet, le terme « bérakha » désigne littéralement « croissance » et « expansion » – c’est-à-dire celles des biens et valeurs dont on a déjà la possession.
« Et qu’Il te protège » – la protection dont il est question ici est à double sens. Tout d’abord, elle désigne la préservation de ce que la bénédiction, citée auparavant, nous accorde : il ne servirait à rien de s’enrichir – matériellement ou spirituellement – pour finalement perdre ces richesses peu après. Mais cette protection a aussi une seconde signification : D.ieu empêchera les valeurs acquises de se retourner contre leur propriétaire. Un célèbre verset de Kohélet annonce en effet : « Il est un mal cuisant que j’ai constaté sous le soleil : c’est la richesse amassée pour le malheur de celui qui la possède » (5, 12). Ce « mal cuisant » fut notamment le lot de Kora’h, dont la perte fut précipitée par son immense richesse : gonflé d’orgueil, il contesta l’autorité de Moché et il périt ainsi englouti sous la terre. Un autre exemple apparaît dans les versets du Prophète (Mélakhim I 21) : Navot de Jezréel possédait une vigne tout prêt du palais du sinistre roi A’hav. Ce dernier convoitait cette vigne, mais Navot refusa de la lui céder. Finalement, Izével, l’épouse du roi, fomenta un sordide complot pour faire périr Navot et offrit ainsi la vigne à son mari. Là encore, ce fut pour Navot « une richesse amassée pour son propre malheur ». Cette forme de « protection » s’avère d’ailleurs nécessaire dans tous les domaines de la vie : ainsi, une grande sagesse peut se retourner contre celui qui la possède, s’il devait ne chercher qu’à en tirer gloire et prestige…
« Que l’Eternel fasse rayonner Sa face sur toi » – le rayonnement de la Face divine signifie qu’il sera manifeste aux yeux de tous que la bénédiction dont jouit l’homme provient de D.ieu. On peut en effet jouir d’une grande réussite, mais dans laquelle la part d’intervention divine reste voilée. Par ces mots, les Cohanim bénissent donc le peuple de recevoir des bienfaits, dont même l’origine divine sera manifeste.
« Qu’Il t’accordera la grâce » – cette bienveillance désigne l’acceptation des prières. En de nombreuses occurrences, le mot « ‘hen » [de vi’hounéka] fait référence à l’agrément des prières. Ainsi, lorsque Moché intercéda en faveur du peuple juif après le veau d’or, il argumenta ses supplications en rappelant : « Tu m’avais dit : ‘Tu as trouvé grâce [‘hen] à Mes yeux » – et par conséquent, mes prières doivent être agréées. Cet aspect de la bénédiction est d’ailleurs la suite du précédant : lorsqu’on verra que la réussite d’un homme provient de D.ieu, on sera automatiquement porté à lui demander de prier en notre faveur. C’est pourquoi il est assuré que D.ieu lui « accordera la grâce » – et qu’Il acceptera ses prières.
« Que l’Eternel dirige Sa face vers toi » – cette nouvelle évocation de la « Face divine » désigne à présent les Attributs divins – ou encore les Qualités divines. Ceux-ci sont appelés « face » dans la mesure où chez l’homme, les sentiments qui l’animent sont généralement visible sur son visage : la joie, la colère ou la tristesse se reflètent clairement sur les traits du visage. Dans le même ordre d’idées, nous disons ainsi que D.ieu dirigera Son visage – c’est-à-dire les différentes Qualités dont Il use à notre égard – en le manifestant ouvertement : Sa Bonté, Sa Miséricorde, etc., nous seront révélées.
« Qu’Il t’accorde la paix » – enfin, la seule valeur capable de donner à ces bénédictions tout leur sens, c’est la paix. Comme le disent nos Sages : « Le seul réceptacle capable de recueillir la bénédiction est la paix, comme il est écrit : ‘L’Eternel donne la force à Son peuple, l’Eternel bénit Son peuple par la paix’ (Téhilim 29,11). » Car sans la paix, l’absence de sérénité empêche quiconque de profiter des bénédictions.
Un enfant à tout prix
Concernant le premier point évoqué par le Nétsiv – selon lequel une bénédiction peut se retourner contre celui qui en bénéficie et se changer en malédiction –, le rav Zilberstein raconta une histoire édifiante (dans Alénou Léchabéa’h sur Nasso).
Les faits se déroulèrent du temps de l’auteur du Avné Nézer, Rabbi Avraham Burnstein et de son fils, Rabbi Chmouel, auteur du Chem MiChmouel qui succéda à son père à la tête de la ‘Hassidout de So’hatchov. L’un des ‘hassidim du Avné Nézer, après plusieurs années de mariage, n’avait pas eu le mérite de donner le jour à une descendance. Cet homme allait très fréquemment frapper à la porte du maître et l’adjurer de lui accorder sa bénédiction. Mais pour une raison inconnue, l’Admour de So’hatchov se désistait à chaque fois, et refusait d’accéder à cette requête.
Comprenant qu’il n’obtiendrait rien de la sorte, le ‘hassid se mit en quête d’un moment propice pour faire céder le maître. Ce moment arriva lors de la fête de Sim’hat Torah. Au beau milieu des danses en l’honneur de la Torah, alors que l’Admour était emporté par la joie et l’ardeur du moment, notre homme l’accosta et lui déclara qu’il ne bougerait de sa place tant qu’il n’aurait pas reçu sa bénédiction. Ce dernier, touché par tant de détermination, lui dit alors : « Voulez-vous vraiment que je vous bénisse et vous souhaite d’avoir un fils qui deviendra un jour curé ? »
Le ‘hassid resta interdit : voilà donc pourquoi l’Admour lui refusait depuis tant d’années sa bénédiction ! Il avait certainement vu, dans sa grande sainteté, que l’enfant qui naîtrait de lui se détournerait du judaïsme. Depuis ce jour, il se fit une raison et cessa de solliciter le maître à ce sujet.
Les années passèrent, le Avné Nézer décéda et son fils, rav Chmouel, prit sa succession à la tête de la ‘Hassidout So’hatchov. Ce dernier connaissait la détresse dans laquelle vivait ce Juif, mais jamais il ne lui en parla. Les mois passèrent, et arriva la fête de Sim’hat Torah. Comme d’habitude, toute la communauté de So’hatchov était en liesse et célébrait la joie de la Torah. Alors que les réjouissances battaient leur plein, le nouvel Admour alla trouver notre ami ‘hassid et lui annonça : « Je vous bénis et vous souhaite que cette année, un enfant voie le jour dans votre foyer ! » A ces mots, l’homme pâlit et fut sur le point de s’évanouir…
Après que l’homme se remit, le Chem MiChmouel le questionna sur les raisons de son trouble. Il lui fit alors part de l’annonce que lui avait faite son père, l’Avné Nézer, sur le destin de sa descendance et expliqua qu’il ne voulait en aucune manière d’un fils qui se convertirait au christianisme. L’Admour écouta son récit attentivement, et après mûre réflexion, il répondit : « Malgré tout, je maintiens ma bénédiction. Et je vous somme à présent de répondre Amen ! » Bon gré mal gré, l’homme réécouta la bénédiction du maître, et répondit Amen d’une voix hésitante.
Plusieurs années passèrent, et le couple en question donna le jour à cinq enfants. Quatre d’entre eux périrent tragiquement pendant la Shoah, et seul un garçon, l’aîné de la famille, survécut. Ce garçon était extrêmement intelligent et maîtrisait plusieurs langues avec une grande aisance. Avec mille prouesses, il parvint à se faufiler entre les mailles tendues par les Nazis, notamment en se déguisant… en curé. C’est ainsi qu’il parvint à rejoindre Erets-Israël, où il fonda une famille strictement respectueuse de la tradition de ses pères.
Voilà pourquoi toute bénédiction mérite elle-même d’être « bénie » par une protection divine particulière. C’est ainsi que par le mérite du Admour de So’hatchov, la malédiction de cet enfant put être « détournée », et devint finalement le motif de sa propre survie.
Par Yonathan Bendennnoun