Le livre des « Juges » partie VIII

Les deux premiers chapitres du Séfèr Choftim (« Livre des Juges ») marquent la transition entre le livre de Josué et les différents choftim pris individuellement. Ils consistent en un rappel des conditions s’est effectuée la conquête d’Erets Yisrael, et ils s’achèvent sur les premiers reproches adressés par Hachem, en raison de leur inconduite aux enfants d’Israël.

Les premiers chapitres du séfèr Choftim

1, 1 à 2, 5 : Le déclin du peuple hébreu après la mort de Josué.

  • 1, 1 à 1, 20 : Juda et Siméon poursuivent la conquête.
  • 1, 22 à 1, 26 : Conquête de Beith-El par les deux tribus issues de Joseph.
  • 1, 26 à 1, 36 : Enumération des villes cananéennes n’ayant pas été conquises.
  • 2, 1 à 2, 5 : Conclusion du chapitre sur l’installation dans le pays, et remontrances du prophète à Bokhim.

La mitswa de la conquête d’Erets Yisrael est formulée à deux reprises dans la Tora.

Une première fois dans Chemoth23,29 à 31: «Je ne chasserai pas [les Cananéens] de devant toi en une seule année, de peur que le pays soit une désolation, et que se multiplient contre toi les bêtes des champs. Peu à peu Je les chasserai de devant toi, jusqu’à ce que tu fructifies et que tu hérites du pays. Je fixerai ta limite depuis la mer des Joncs jusqu’à la mer des Philistins, et depuis le désert jusqu’au fleuve, car Je livrerai en tes mains les habitants du pays, tu les chasseras de devant toi.»

Et dans Devarim7, 22: «Hachem, ton Dieu, fera tomber peu à peu ces nations-là de devant toi, tu ne pourras pas les détruire rapidement, de peur que se multiplient contre toi les bêtes des champs».

De fait, Josué exécuta pour l’essentiel l’ordre divin, puisqu’il conquit les territoires cananéens «depuis le Néguèv jusqu’à Ba‘al-Gad dans la vallée du Liban, au pied de la montagne du ‘Hermon» (Josué11,16 et 17).

Restait cependant à conquérir, après sa mort, une partie importante du pays: «Hachem lui dit: Tu es devenu vieux, tu avances en âge, et il reste une très grande partie du pays à conquérir» (Josué 13,1).

Le premier chapitre du séfèr Choftim est tout entier consacré à la façon dont les tribus se sont acquittées de cette tâche.

Deux d’entre elles se sont distinguées par leur zèle: Juda et Siméon. Les autres – à savoir Manassé, Ephraïm, Zabulon, Aser, Naftali et Dan – se sont surtout signalées par leur mollesse. C’est précisément cette mollesse qui sera à l’origine de tous les malheurs qui accableront les enfants d’Israël tout au long de la période embrassée par notre livre.

Quant aux tribus transjordaniennes – à savoir Ruben, Gad et la moitié de celle de Manassé – le texte n’en parle pas, probablement parce que leur destin territorial avait été déjà scellé du vivant de Moïse.

Les deux premiers chapitres sont consacrés à la continuation de la conquête d’Erets Yisrael, telle qu’elle s’est poursuivie après la mort de Josué.

On peut constater, dès les premiers chapitres, une différence importante dans la stratégie des enfants d’Israël par rapport à celle qui avait été pratiquée par le successeur de Moïse.

Les opérations militaires rapportées par les récits précédents étaient relatives à des actions menées par l’ensemble des Hébreux. Celles dont il sera question dans le séfèr Choftim seront menées par des tribus agissant en ordre dispersé.

Les enfants d’Israël, peut-être désemparés après la mort de leur guide qui n’avait pas désigné de successeur, commencèrent par interroger Hachem (au moyen des ourim et des toummim [Ralbag ad 1,1]) sur ce qu’ils devaient faire. Et c’est Juda qu’Il désigna pour mener les opérations.

La tribu de Juda va faire appel à celle de Siméon, dont le territoire était enclavé dans le sien (Josué19,1), et avec laquelle elle entretenait probablement, vu leur voisinage, des rapports plus étroits qu’avec les autres. Elles vont s’emparer de toute la partie du pays qui s’étend au sud de Jérusalem (1,1 à20).

En particulier, Juda vainquit Adoni-Bézeq, roi de Bézeq, à qui il coupa «les pouces des mains et des pieds» (1,6), pratique sans doute largement pratiquée dans l’Antiquité (1,7) et destinée à inspirer de la crainte aux rois des alentours (Ralbag).

Cette pratique était cependant aussi, comme le fait remarquer Malbim (ad1,7), considérée comme un crime de guerre. Tsevi Binyamin Wolff fait d’ailleurs remarquer, dans son commentaire du séfèr Choftim, que la pratique normale en usage consistait à prendre des otages parmi les enfants des princes (voir IIRois14,14 et Rachi ad loc.), mais sans les traiter avec cruauté.

Quant à Jérusalem, alors appelée Yevous, dont la plus grande partie devait échoir à Benjamin (Zeva‘him53b Metsoudath David ad 1,21), elle ne put être conquise (1,21). En effet, comme le signale Rachi (ad loc.), le serment qu’Abraham avait prêté à Avimélèkh de ne le déposséder ni lui, ni son fils, ni son petit-fils (Berèchith21,23), était encore en vigueur, et il le restera jusqu’à l’époque de David (ISamuel5,6).

La «maison de Joseph» s’empara de Beith-El (1,22 à 25), autrefois appelée Louz (verset23 voir aussi Berèchith28,19). Comme le signale Rachi, le mot «Louz» signifie «noisetier» (en français médiéval: coldre). On y accédait par une grotte, à l’entrée de laquelle se dressait un noisetier.

Elle fut conquise grâce à un habile stratagème des assaillants. Ayant aperçu un homme qui en sortait, ils lui promirent la vie sauve s’il leur montrait comment y entrer.

Quant aux autres tribus, elles échouèrent dans leurs efforts de conquête.

Manassé: Il ne déposséda pas Beith-Che‘an et les villages de son ressort, ni Ta‘anakh et les villages de son ressort, ni les habitants de Dor et des villages de son ressort, ni les habitants de Yivle‘am et des villages de son ressort, ni les habitants de Meguiddo et des villages de son ressort et le Cananéen voulut habiter dans ce pays-là.

Cela avait déjà été précisé dans Josué 17,11 et suivants. Mais, ainsi que le fait remarquer Malbim, cette tribu ne «pouvait» pas s’en emparer du vivant de Josué, tandis qu’à présent elle aurait pu le faire mais ne l’a pas voulu.

Ephraïm: Contrairement à Manassé, qui avait soumis à un tribut les Cananéens installés sur son territoire, Ephraïm s’en abstint. C’est ainsi que les Cananéens originaires de Guézèr continuèrent de vivre au milieu de cette tribu sans être assujettis à aucune obligation (Malbim ad 1,29).

Il est à remarquer, à ce sujet, que ces Cananéens, à l’époque de Josué, versaient tribut en nature, sous forme de corvées, à Ephraïm (Josué16,10 et Radaq ad loc.). Probablement ont-ils cessé de le faire par la suite.

Zabulon: «Il ne déposséda pas les habitants de Kitron, ni ceux de Nahalol ces Cananéens demeurèrent avec lui, mais payèrent tribut» (1,30).

La tribu de Zabulon aurait dû occuper Katath, autre nom de Kitron (Malbim), et Nahalol (Josué19,14 et 15). Or, ces deux villes faisaient partie de la liste des quarante-huit attribuées aux lewiim (Bamidbar35,7).

On peut donc dire que la tribu de Zabulon n’a pas seulement désobéi à l’ordre de conquête, mais aussi à la législation sur les cités lévitiques.

Aser: «Il ne déposséda pas les habitants de ‘Ako, ni ceux de Sidon, ni Akhlav, ni Akhziv, ni ‘Helba, ni Afiq, ni Re‘hov» (1,31).

Cette tribu s’est distinguée par deux manquements: Elle n’a pas conquis Re‘hov, ville de lewiim (Josué21,31). Elle a en outre, tout comme celle de Naftali, habité «au milieu» des Cananéens (1,32 et 33), ce qui revient à dire, comme le soulignent Metsoudath David et Malbim, qu’elles se sont accommodées d’une situation où elles vivaient en étrangères sur leur propre sol.

Naftali: On peut lui adresser le même reproche qu’à Zabulon, à cette nuance près qu’il a soumis les habitants de Beith-Chémèch et de Beith-‘Anath (Metsoudath David: qui n’étaient pas des Cananéens) qui devinrent ses tributaires (1,33).

Dan: Nous consacrerons le moment venu de plus amples développements à cette tribu. Disons ici qu’elle a été soumise à de fortes pressions de la part des Amorréens qui cherchaient à la repousser vers les hauteurs montagneuses de son territoire, sans doute pour s’approprier ses terres fertiles. Grâce au soutien que lui apporta la «maison de Joseph» (probablement la tribu d’Ephraïm, sa voisine), elle parvint à se maintenir à ‘Hérès, à Ayalon et à Che‘alvim, également convoités par cette peuplade cananéenne (1,34 et 35).

Une place à part est à réserver aux «enfants du Qeini, beau-père de Moïse» (1,16). Les descendants de Yithro, beau-père de Moïse, avaient fait sécession des Midianites, leur peuple d’origine, et ils s’étaient joints aux enfants d’Israël. Au moment du partage de la Terre promise, la «ville des palmiers» – c’est-à-dire Jéricho (voir Devarim34,3) – leur avait été attribuée pour une durée de quatre cents ans. Les érudits parmi eux quittèrent cette ville pour se joindre à ‘Othniel dans le désert de Judée, au sud de ‘Arad, où ils se sont adonnés à l’étude de la Tora (Rachi ad loc.).

Rappelons que Jéricho, après qu’elle fut prise par Josué, a été vouée à l’anathème (Josué 6,18) et détruite par le feu (ibid. 6,24). Après son anéantissement, Josué prononça contre elle l’adjuration suivante: «Maudit soit devant Hachem l’homme qui se lèvera et bâtira cette ville de Jéricho! Il la fondera sur son premier-né, et en posera les portes sur son plus jeune fils» (ibid.6,26). Il est donc très probable que les descendants de Yithro, parmi lesquels ont figuré les Rekhavites, qui consacraient leur existence à l’élevage (voir Jérémie35,1 et suivants), ne se sont pas installés à Jéricho même, mais dans sa région.

-=-=-=-=-=-

Le deuxième chapitre du séfèr Choftim se compose de deux parties bien distinctes.

Les cinq premiers versets énoncent l’apparition, à Bokhim, d’un «ange de Hachem» venu adresser des remontrances aux enfants d’Israël, leur reprochant de n’avoir pas achevé la conquête d’Erets Yisrael et de n’avoir pas détruit les autels des peuples cananéens.

Cet «ange», qui n’était autre que Pin‘has (Rachi ad2,1), leur annonça que Hachem «ne chassera pas ces peuples de devant eux, et que leurs dieux leur seront un piège» (2,3). Le peuple se mit alors à pleurer, d’où le nom de Bokhim («pleurs») donné à l’endroit.

A partir du verset6, en revanche, et jusqu’à la fin du chapitre, le texte revient sur la période ayant suivi immédiatement la mort de Josué. Il rappelle que les enfants d’Israël «servirent Hachem tous les jours de Josué» et qu’après le décès de celui-ci, survenu à l’âge de cent dix ans, une nouvelle génération apparut «qui ne connaissait pas Hachem, ni l’œuvre qu’Il avait faite pour Israël». Nous avons analysé plus haut cette seconde partie du deuxième chapitre dans la section consacrée aux «idées maîtresses du séfèr Choftim».

(à suivre)

Jacques KOHN