Tout être humain, quel qu’il soit, connaît durant sa vie des épreuves, certaines relativement aisées et d’autres plus rudes. Mais dans les grands textes de notre tradition, il apparaît que les épreuves que connurent les pères de notre nation furent d’une dimension incomparable avec celles que connaît le commun des mortels…

C’est dans cet ordre d’idée que le Maharal de Prague interpréta cette michna des Pirké Avot (Maximes des Pères, 5, 3) : « Dix épreuves, Avraham notre ancêtre dut affronter, et il les surmonta toutes. Ceci pour témoigner de l’affection particulière dont il jouissait ». Voici ce qu’écrit à ce propos le Maharal dans son commentaire « Dére’h ‘Haïm » : « Parce que les Patriarches, en tant que tels, n’appartenaient pas au commun des mortels, ils étaient au contraire des hommes divins, c’est pourquoi ils furent confrontés à des épreuves. En effet, le mot ‘nissayon’ [épreuve] a pour racine étymologique le mot ‘ness’ [miracle], car de la même manière qu’un miracle est par essence surnaturel, ainsi l’épreuve est-elle un phénomène surnaturel. De ce fait, l’homme mis à l’épreuve ne peut espérer la surmonter s’il n’agit pas d’une manière qui dépasse sa nature, puisque la nature de l’homme n’accepte pas qu’un père égorge son propre fils (…) ».
D’épreuve en épreuve…

D’après le Sfat Emet, la toute première épreuve d’Avraham commençant par l’ordre divin « Pars pour toi de ton pays (…) » ne doit pas être comprise au premier degré uniquement. Car derrière ces mots, se cache un ordre d’une tout autre dimension, qui l’enjoint à être un homme allant continuellement « de l’avant » dans son service du Divin, et non l’un de ceux qui stagnent en s’enlisant dans un marasme apathique. Voici ce qu’il écrit à ce sujet : « ‘Pars pour toi’ – car l’homme est qualifié d’être ‘en mouvement’, c’est pourquoi il doit en permanence progresser d’un niveau à l’autre, et sortir de la routine naturelle. Et même lorsque l’on parvient à atteindre un certain niveau dans le service de D.ieu, là aussi l’habitude peut façonner toute chose comme une seconde nature. C’est pourquoi il est impératif, à toutes les étapes du service divin, ‘d’innover’ en permanence », (Le’h Le’ha 5656).
A cet égard, certains commentateurs ont pu dire de la « nature » [téva] qu’elle renferme une inéluctable « noyade » [tvia] pour ceux qui se laissent entraîner par elle, au point de les amener à oublier totalement l’existence d’un Créateur qui les maintient en vie à chaque instant…
Marcher parmi les êtres statiques !

S’il est dit des anges qu’ils sont des « êtres puissants, fidèles à Sa parole », il leur manque cependant cette disposition tout à fait humaine à progresser, comme on le voit dans la prophétie énonçant « Des Séraphins se tenaient debout, près de Lui » (Isaïe, 6, 2), contrairement à l’être humain qui est un être « marchant », – ce qui lui valut cette promesse prophétique : « Je te laisserai marcher parmi ceux qui se tiennent là, debout » (Zacharie, 3, 7).
C’est donc pour exploiter au mieux ce potentiel spécifiquement humain que D.ieu enjoignit à Avraham – au début de notre paracha – de « partir pour lui-même », c’est-à-dire de s’engager dans cette voie formidable qui permet à l’homme de se dépasser et de n’avoir de cesse de progresser qu’il n’ait surmonté sa propre nature. Comme le conclut le Sfat Emet lui-même : « Voilà pourquoi il est dit : ‘Pars pour toi’, dans la mesure où l’homme doit être en perpétuel mouvement (…) ‘vers le pays que Je te montrerai’ – c’est-à-dire toujours en quête d’une nouvelle étape (…), car tout celui qui stagne sans innover dans son service voit la nature reprendre le dessus ».

Maîtres du temps…

En tant que pères de la nation juive, les Patriarches transmirent en héritage à leur descendance non seulement la force de surmonter les épreuves, mais aussi la capacité de vivre dans une dynamique de progrès perpétuel. Car bien que nous ne puissions guère nous mesurer à la dimension de nos prestigieux ancêtres – comme nous l’avons dit précédemment -, il n’en reste pas moins qu’à notre modeste niveau également, il nous incombe de marcher sur leurs traces et d’évoluer dans un progrès constant.
Or, cette valeur inhérente à la nation juive s’intensifia davantage encore lors des événements de la sortie d’Egypte. Car c’est à ce moment précis que D.ieu lui annonça : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois » (Chémot, 12, 2), ce qui signifie – selon nos maîtres – qu’Israël reçut à cet instant précis la capacité de « renouvellement ». En effet, les nations du monde, ainsi que l’ensemble de la Création, ne vivent que sous l’emprise d’un temps immuable et continu, comme en témoigne le livre de l’Ecclésiaste : « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil », (Kohélet, 1, 9). En revanche, notre peuple a pour sa part la capacité de s’élever « au-delà » du soleil – symbole de la nature – et d’annoncer le « renouvellement » du temps en sanctifiant chacun des nouveaux mois lunaires.
C’est en ce sens que le roi Salomon stipule dans ses Proverbes : « Pour le sage, le chemin de la vie se dirige vers les hauteurs (…) », soulignant également : « …ainsi, il évitera les bas-fonds du chéol », (15, 24). Le Gaon de Vilna commentait ce verset en ces termes : « L’homme est appelé un ‘être en mouvement’, c’est-à-dire qui doit progresser d’un degré à l’autre, et s’il n’avance pas vers les hauteurs, il ira fatalement vers le bas, car il est proprement impossible de se tenir à un niveau continu ».
Rav Aharon Kotler renchérissait pour sa part que même si l’on ne parvient pas toujours à atteindre notre objectif – à savoir les « hauteurs » –, notre effort aura tout de même servi à nous éviter de rejoindre les bas-fonds du chéol, (Michnat Rabbi Aharon, Tome I, page 61). En allusion à ce principe, ce maître citait la loi relative à la confection des matsot de Pessa’h, selon laquelle tant que l’on travaille et que l’on frappe la pâte, elle n’en vient pas à lever et à gonfler. Ainsi, disait-il, tout homme qui fournit continuellement des efforts pour tendre vers les hauteurs aura tout au moins le mérite de ne pas « fermenter » comme le ‘hametz…
Voilà pourquoi le roi Salomon définissait l’homme sage, non pas en vertu de son élévation effective, mais en raison du mouvement qui le caractérise : « Le chemin de la vie se dirige vers les hauteurs !  »

Adapté par Y. Bendennoune à partir d’un article du rav Moché Reiss pour Hamodia en hébreu

Avec l’accord exceptionnel d’Hamodia-Edition Française