On peut lire cette semaine au sujet d’Avraham réagissant à l’ordre de procéder à la ligature de son fils Its’hak : « Avraham s’est levé le matin » (Béréchit 22, 3). Sur quoi Rachi écrit : « Il s’est empressé (nizdarèz) de réaliser cette mitsva ». Et nos Sages d’enseigner par ailleurs : « Quiconque se comporte avec zèle s’empressent d’accomplir les commandements – zerizim makdimim léMitsva » (Traité Pessa’him, p.4/a).

Au cœur de la mitsva
La zerizout, l’ardeur avec laquelle on accomplit les commandements, serait donc a priori définie en référence à l’empressement que l’on met pour les exécuter, à une certaine rapidité qui, en soi, n’ajoute rien à la valeur de la mitsva proprement dite, mais qui vient comme s’ajouter à elle.
Le rav Moché ‘Haïm Luzzato (Ram’hal, 1707-1747) enseigne pourtant au chapitre 6 de son « Méssilat yécharim » : « Après la prudence (zéhirout) vient le zèle. La prudence se rapporte aux commandements négatifs et le zèle aux commandements positifs. Comme il est dit : « Eloigne-toi du mal et fais le bien » (Téhilim 34, 15). Or, le zèle c’est cette manière avec laquelle on aborde une mitsva (hakdama laMitsva), mais aussi celle avec laquelle on fait aboutir ce qu’elle renferme (hachlama inyanim). Car, de même qu’une attention parfaite et une profonde compréhension des choses sont nécessaires pour échapper aux pièges du penchant au mal et ne point subir son emprise, une attention parfaite et une profonde compréhension des choses sont également nécessaires pour saisir et réaliser les commandements de telle sorte qu’ils ne nous quittent plus. Comme le penchant pour le mal déploie des stratagèmes pour faire tomber l’homme dans les pièges de la faute, il déploie aussi des efforts pour l’empêcher d’accomplir les commandements et les lui faire perdre. Et si l’homme devient paresseux et ne se renforce pas pour les poursuivre, il en restera démuni et vide ».
Il y a donc deux sortes distinctes dans ce qu’il est convenu d’appeler l’ardeur à réaliser une mitsva, le zèle. D’une part en effet, avant même qu’un acte de mitsva ne soit effectivement entrepris, de nombreux obstacles surgissent très souvent dans le but de nous empêcher de mettre en œuvre les conditions requises à l’accomplissement de tel ou tel commandements. Mais d’autre part aussi, force est de reconnaître qu’une seconde sorte d’obstacles peut encore se dresser alors que nous n’avons toujours pas fini de le faire et ce, quand bien même aurait-on fait tout ce qui est en notre pouvoir afin de rendre possible un acte de mitsva.
Le zèle n’a donc pas grand-chose à voir avec l’empressement, la rapidité ou même la dextérité que l’on mettrait pour exécuter les commandements. Il n’est pas secondaire (tafèl) vis-à-vis de la mitsva. Il constitue au contraire la possibilité même de son accomplissement. Car, sans lui, il est tout simplement impossible de réaliser aucune mitsva.

Le zèle, une force contre-nature
Le Ram’hal ajoute encore : « Vois combien la nature de l’homme est pesante (kavèd méod); façonné de terre épaisse, il ne désire ni les efforts, ni le travail. Quiconque aspire à servir D.ieu doit donc lutter contre sa nature même et déployer tout son zèle à cet effet, car s’il s’abandonne à la pesanteur (mania’h atsmo béYad kevodo), il est évident qu’il ne réussira rien (vadaï hou chélo yatslia’h). C’est à ce sujet que nos Maîtres ont enseigné : « Sois hardi comme la panthère, léger comme l’aigle, vif comme la gazelle et puissant comme le lion afin d’accomplir la volonté de ton Père qui est dans les Cieux » (Pirké Avot 5, 20) ».
Il est de la nature de l’homme de ne pas chercher à se fatiguer outre mesure afin de réaliser telle ou telle besogne. Il recherche d’ordinaire plutôt la tranquillité et le moindre effort, comme les progrès de la domotique nous l’ont « montré » : le bien-être de l’homo-sapiens doit avant tout être synonyme de facilité, d’abandon de soi.
Dans le langage de nos Sages, une telle situation trouve son origine dans la nature même de l’être humain : fait de terre (afar – comme il est dit : « Et l’Eternel D.ieu façonna l’homme, poussière détachée du sol – afar min haAdama – et Il lui insuffla un souffle de vie » – Béréchit 2, 7), il est un être en quête de repos et dédié à la paresse. Inversement, lorsqu’un homme fait tout ce qui est en son pouvoir afin de se comporter avec zerizout, en s’engageant corps et âme dans ce qu’il est sur le point d’accomplir, il s’élève alors au-dessus de sa nature. Elargissant ainsi son pouvoir être, un tel homme se place ipso facto dans une autre dimension, celle qui relève du miracle, appelant à lui une aide divine exceptionnelle, comme nous l’avons rappelé la semaine dernière.

Avant. Après.
Certes, le rav Luzzato zatsal décrit plus loin (chap. 7) ce qu’il entend par ces deux mouvements contradictoires qu’emprunte toute personne zélée. Celui qui concerne l’avant de l’acte montre en quoi le zèle consiste à « ne pas laisser fermenter le commandement dès que son moment est venu, ou qu’il s’offre à nous, et même, plus simplement, lorsque nous ne faisons qu’y penser seulement, il faut s’empresser de la saisir afin de l’accomplir ». C’est-à-dire : à se secouer de cette poussière déposée sur nos vêtements qui nous empêche de voir dans nos obligations, dans notre mondanité et jusqu’à l’intérieur de nos propres pensées, le sens des choses que D.ieu a déposé dans le monde, ce qui nous lie à Lui. C’est en un mot : vivre la émouna au présent.
Quant à la deuxième partie que doit comporter la midda du zèle (zerizout), celle qui vient « après le début de l’acte de mitsva déjà entrepris » et, pour ainsi dire, révélé dans ce monde-ci, elle demande à ce qu’on la conclue rapidement « de peur qu’on ne puisse mériter de la mener à son terme ». Pour comprendre cette idée, le rav Friedlander rapporte ce passage du Midrach : « Rabbi Elazar a dit : « De toute ma vie, aucun homme ne m’avait précédé au Bet-haMidrach (la maison d’étude), tout comme aucun homme n’en était sorti après moi. Jusqu’au jour où j’ai croisé après mon lever, des « poubelleurs » (zévélim) et des « hommes des champs » (tévénim). Je me suis alors dit : « Souhaite-la [la Torah] comme l’argent ! Recherche-la [la Mitsva] comme un trésor ! Alors tu comprendras (tavine) la crainte de l’Eternel » (Proverbes 2, 4). Ne sommes-nous donc pas des « poubelleurs » (zévélim), des « hommes des champs » (tévénim) ? Pas même « comme des poubelleurs » ni « comme des hommes des champs » ! ». « Selon quel avis, demande la Guémara, l’enseignement de rabbi Elazar a-t-il été dit ? ». Et de répondre : « Rabbi Pin’has ben Yahir a énoncé : – le zèle (zerirout) mène à la propreté (nékiyout) » (Chir haChirim Raba 1, 9).
Il est clair pour tout le monde que les poubelleurs et les hommes des champs se lèvent le matin pour le travail. Mais ce que retient rabbi Elazar de leur rencontre au milieu d’une temporalité qui n’est pas définie (« après mon lever »), c’est précisément la nécessité avec laquelle ces hommes se tiennent là, debout, devant lui. L’idée que l’acte de mitsva et la Torah qu’il dévoile attendent que nous les protégions de l’étiolement, de son effacement auxquels font appel les « poubelleurs », les « hommes des champs », eux qui ramassent les histoires de l’œuvre humaine, ses restes ; comme si, par ce geste, ils pouvaient encore espérer les relever, les ramener à leur origine…
Ainsi, le zèle mène-t-il à la propreté. Car, en fermant l’acte « de peur qu’on ne puisse mériter de le mener à son terme », on en montre la hauteur et la nécessité, le fait que l’apparition d’une mitsva oblige à ce qu’on la révèle complètement à elle-même jusqu’à ne plus rien laisser subsister d’elle qui n’ait pas d’abord été dévoilé…Par Yehuda-Israël Rück, en partenariat avec Hamodia.fr