Le problème de la subsistance de l’homme – ou, comme l’on dit aujourd’hui, de « l’organisation économique » – a toujours constitué une question majeure dans toutes les sociétés. La Torah l’évoque dès la Sortie d’Égypte en des termes intéressants…

En effet, quand les enfants d’Israël sortent d’Égypte et se retrouvent dans le désert, il n’y a évidemment aucune nourriture ni boisson, et aucun peuple ni « relations sociales » à initier… Israël est d’emblée invité à s’en remettre à son Créateur qui lui envoie ce fameux « pain miraculeux » (la manne) : « Le pain venu du ciel » que les enfants d’Israël trouvaient tous les matins, sauf le Chabbat, devant leur tente. Ils en ramassaient la quantité nécessaire pour tout un chacun, mais s’ils cherchaient à en conserver davantage, elle pourrissait : on ne pouvait donc la stocker. Aussi, imagine-t-on l’angoisse d’Israël perdu dans un désert inhospitalier avec nul autre moyen de subsistance que sa nourriture du jour !
Là se situe tout le défi : avec la manne, Hachem envoie certes à Israël de quoi manger, mais « afin de l’éprouver » et pour savoir si le peuple suit la Torah ou pas. La manne est donc présentée non pas comme une « solution », mais comme une épreuve de confiance envers D.ieu : par là même, elle est la solution, car la Torah invite l’homme vraiment croyant à une sorte « d’inconscience délibérément choisie » !
Hachem a demandé à Moché de déposer un échantillon de la manne dans un récipient au sein du Sanctuaire, « en témoignage pour les générations ». Des siècles après, quand le prophète Jérémie voyait que ses contemporains ne respectaient pas la Torah, il les interpellait. Or ces derniers disaient pour se justifier : « Mais il faut bien que nous allions travailler ! Sinon, comment nourrir nos familles ? »… C’est alors, dit le Midrach, que Jérémie montrait ce fameux récipient avec les restes de la manne miraculeusement conservés jusque-là en leur disant : « Voilà comment nos ancêtres se sont nourris. Soyez sereins, car si vous vous consacrez à la Torah, D.ieu vous nourrira ! ».
La Guémara Pessa’him illustre ainsi cette idée : un rav nommé Rava se trouvait chez lui quand un pauvre qui frappa à sa porte se vit proposer par le rav : « Que puis-je te donner à manger ? » Et le pauvre de répondre : « J’aimerais une poule farcie avec un bon vin rouge ! ». Fort surpris, Rava demanda : « Mais n’as-tu pas peur d’appauvrir la communauté avec tes exigences ? ».
-« Pourquoi ?, répondit le pauvre. Est-ce la communauté qui me nourrit ? N’est-il pas écrit dans le Psaume 145 : ‘Les yeux de toutes les créatures sont tournées vers Hachem et Il leur envoie leur nourriture en son temps’…!? ».
Sur ce, on frappe encore à la porte… Or voilà que la sœur de Rava, qu’il n’avait pas vue depuis des années, vient le saluer en apportant un couffin qu’elle déballe avec les mets préférés de sa jeunesse : une poule farcie et un bon vin rouge – le menu commandé par le pauvre ! Sidéré, Rava lui dit alors : « Mange ce qui est à toi ! ».
À notre époque, on a l’impression qu’il faut accomplir beaucoup d’efforts pour avoir une parnassa convenable. Or la Torah nous dit qu’il n’en est rien ! Ce que D.ieu demande au Juif, c’est l’épreuve de la émouna : avant tout étudier la Torah, sans se préoccuper du reste et en ne faisant que le strict minimum. Si bien qu’Hachem lui envoie tout ce qu’il lui faut !
Le rôle d’Israël – au lieu de trop se consacrer à la recherche de ses moyens de subsistance – n’est-il pas justement de donner à l’humanité cette leçon de sérénité et de confiance qui manque tant à notre époque ?

Rav Sitruk chlita