D’abord, contrairement aux autres textes prophétiques, il se présente sous la forme d’un récit et d’une relation cohérente relatant sous une forme imagée une aventure humaine avec ses hauts et ses bas. D’autre part, le thème du livre est lui aussi unique, tout entier consacré à la valeur du repentir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons voulu l’évoquer en cette veille de Yom Kippour et rappeler qu’il constitue l’une de ses haftaroth, celle de Min‘ha.

Hachem s’adresse Jonas et l’invite à se rendre à Ninive, la grande ville (on dirait aujourd’hui : la mégapole, la superpuissance) afin d’inciter ses habitants à se repentir de leurs péchés.

Jonas commence cependant par se détourner de l’ordre divin, et il embarque sur un navire en partance, sur le seul navire en partance soulignent les commentateurs, du port de Jaffa. Il s’agit pour lui de s’enfuir n’importe où, plutôt que d’obéir à la mission qui lui a été confiée.

Mais Hachem, aussitôt que le bateau a levé l’ancre, provoque une très grande tempête, si violente que le navire manque de sombrer corps et biens. Les matelots se mettent à prier, chacun vers sa divinité, mais en pure perte. La houle se fait à chaque minute plus virulente. Pendant ce temps, Jonas était descendu à fond de cale et, totalement inconscient des risques courus, était tombé dans un profond sommeil. Le capitaine l’apostropha en ces termes : “Comment peux-tu dormir si intensément ? Debout ! Invoque ton Dieu ! Peut-être aura-t-Il souci de nous et nous ne périrons pas !”

Les matelots, finalement, décident de procéder à un tirage au sort afin de désigner celui par la faute duquel est survenue la calamité. Et le sort indiquera Jonas.

L’équipage se met alors à interroger leur passager, lequel affirme son identité comme “Hébreu” (‘ivri) et leur propose de lui-même qu’on le précipite dans l’eau afin de calmer les flots impétueux. On le jeta effectivement à la mer, laquelle retrouva aussitôt sa tranquillité.

Hachem suscita alors un grand poisson, souvent improprement appelé “baleine”, qui avala Jonas, lequel resta dans ses entrailles trois jours et trois nuits.

Le prophète se mit alors à prier, et Hachem le fit recracher par le poisson sur la terre ferme.

Hachem, une nouvelle fois, donna l’ordre à Jonas de partir à Ninive et de réprimander sa population pour sa conduite. Jonas, cette fois, ne se déroba pas et il lança aux habitants de Ninive une proclamation : “Encore quarante jours, et Ninive sera détruite !”

Les habitants de Ninive eurent foi en Hachem et ils se repentirent. Le roi lui-même ordonna un jeûne collectif afin d’inciter ses sujets à se détourner de leurs mauvaises actions. “Et Hachem, précise le texte, Se ravisa concernant le mal qu’Il avait dit qu’Il leur ferait, et Il ne le fit pas.”
Deux parties distinctes et symétriques

On peut donc constater que le livre se divise en deux parties distinctes. La première (1, 1 à 2, 11) traite d’une première mission confiée au prophète, qui ne sera pas exécutée. La deuxième (3, 1 à 4, 11) s’applique à une seconde mission, laquelle sera réalisée avec succès.
Il existe entre ces deux parties une symétrie remarquable. Elles commencent l’une et l’autre par un ordre donné par Hachem à Jonas, et s’achèvent sur une manifestation de Sa miséricorde. Dans la première partie, cette mansuétude s’exerce au profit du prophète lui-même, que Hachem sauve des entrailles du poisson, et dans la seconde au profit des habitants de Ninive en phase de repentir.

Jonas et Ninive

Hachem veut envoyer Jonas prophétiser à Ninive. Pourquoi Ninive ?

Le nom de cette ville apparaît déjà dans la Tora, qui nous indique, au chapitre 10, verset 11 de Berèchith, qu’elle a été construite par Achour, fondateur de l’Assyrie. C’est la première fois, en fait, que le nom d’une cité apparaît dans les Ecritures, et celle-ci n’est reliée en rien à l’histoire juive.

A l’époque de la royauté, Ninive est devenue la capitale de la grande puissance de l’époque, l’Assyrie, et son nom résonnera comme une menace redoutable sur les deux royaumes juifs. Ce sont d’ailleurs les Assyriens qui détruiront celui du Nord, 135 ans avant la destruction du premier Temple, et qui disperseront à travers le monde les dix tribus qui le peuplaient. Ce sont eux qui vont donner naissance au mythe de ce que l’on a appelé et que l’on continue d’appeler “les Dix tribus perdues”.

On peut donc dire que l’insoumission de Jonas constitue chez ce prophète un moyen d’affirmer son refus de s’associer, par son verbe et par son influence, à ce qui pourrait renforcer la puissance de l’ennemi qui menace de toutes parts. Prier pour Ninive, cela revient à agir contre les intérêts de sa propre patrie. Voilà pourquoi Jonas commence par se dérober.

Comme nous l’avons vu, Hachem a sauvé Jonas du poisson, puis Il sauvera les habitants de Ninive. Le livre ne nous en dit pas plus sur ce qu’il est advenu à cette population. Ce sont les textes talmudiques et midrachiques qui comblent cette lacune, non sans qu’apparaisse un désaccord entre les Maîtres sur la sincérité de sa techouva. Pas d’incertitude, en revanche, sur les vertus de Jonas : C’était un juste parfait, entré vivant au Gan ‘Eden (Berèchith rabba 98, 11).

Pour quelle raison, peut-on se demander, cette prophétie a-t-elle été inscrite parmi nos livres saints alors qu’elle est entièrement consacrée à Ninive et donc à des idolâtres ? Il n’est fait aucune mention du peuple juif, contrairement aux autres parties du texte biblique. Cette prophétie est destinée, en réalité, à servir de leçon à Israël en lui citant comme exemple un peuple étranger qui s’est repenti dès le premier avertissement d’un prophète, alors que le peuple juif, malgré les admonestations incessantes et répétées, refuse de renoncer à sa mauvaise conduite. Citons encore le grand prodige que Hachem a accordé au prophète en le faisant survivre à trois jours et trois nuits passés dans les entrailles du poisson puis en le faisant rejeter par celui-ci. Cela nous apprend également que le Saint béni soit-Il a pitié des repentants d’où qu’ils viennent, et à plus forte raison s’ils sont nombreux (Radaq sous Jonas 1, 1).

Jacques KOHN zal’