Le livre des « Juges » partie XXI

Gédéon – sixième partie

La victoire sur Midian

Avant d’examiner dans le détail la bataille décisive menée par Gédéon et ses trois cents hommes contre les Midianites et leurs alliés, il convient de rappeler qu’elle a été précédée par une autre, laquelle s’était soldée par une défaite cuisante des Hébreux.

Ainsi que l’analyse Yehouda Elitsour (op. cit.), cette bataille perdue, que le texte décrit seulement par allusions et comme entre les lignes (6, 35 ; 8, 18 et 19), s’était déroulée dans les circonstances suivantes :

Les Midianites se sont installés dans la vallée de Yizre’èl (6, 33). Il semble que Gédéon ait donné l’ordre au début de les attaquer à partir de deux directions. A cette fin, il a mobilisé les membres de sa propre tribu – Manassé – qui habitaient au sud de la vallée de Yizre’èl, et ceux des tribus de Galilée, au nord. Son plan échoua, probablement parce que le moment de l’attaque et les lieux de la bataille n’avaient pas été correctement coordonnés. Les frères de Gédéon, qui commandaient les troupes des tribus du nord, ont lancé leur attaque avant l’heure sur le mont Thabor, et se sont approchés du camp des Midianites. Ceux-ci, qui étaient « nombreux comme des sauterelles » (6, 5), ont compris leur manœuvre et ont encerclé cette montagne. Ils l’ont escaladée de tout leur nombre imposant, ont écrasé les bataillons des tribus du nord et ont tué les frères de Gédéon avant que celui-ci ait eu le temps d’accourir depuis le sud.

Ce désastre a constitué pour Gédéon une très dure épreuve dont il a beaucoup souffert (6, 36 à 40 ; 7, 10), mais elle ne l’a pas découragé.

L’ennemi auquel il allait livrer bataille comptait cent trente-cinq mille hommes (8, 10), soit 450 fois ses propres effectifs. Ils étaient « aussi nombreux que des sauterelles, et leurs chameaux étaient aussi nombreux que les grains de sable en bord de mer » (7, 12).

Ainsi donc, Gédéon n’aurait plus à affronter des « chars de fer », comme dans les guerres précédentes (voir 1, 19 et 4, 3), armement lourd et peu maniable, notamment par temps humide. Ces chars avaient montré leur inefficacité lors de la bataille du Kichon, quand ils s’étaient enlisés sous la pluie, provoquant ainsi la défaite de Sissera (voir ci-dessus).

Le chameau, au contraire, véritable véhicule « tout-terrain » de l’époque, était une arme redoutable. Il avait démontré sa valeur aux mains de Midian et de ses alliés, dont il facilitait les déplacements lors de leurs razzias sur les récoltes des enfants d’Israël (6, 5). On le retrouvera plus tard, lors de la guerre menée par David contre les Amalécites, quand il permettra la fuite des rescapés de l’armée vaincue (I Samuel 30, 17).

Pour affronter cette multitude, il ne restait à Gédéon que trois cents hommes, ce qui allait transformer la guerre en une expédition miraculeuse par la grâce du Ciel. Le texte témoigne que c’est précisément à ce moment-là que Gédéon a montré sa force et sa ruse. Quant aux Midianites, ils en sont restés déconcertés, et le miracle a imprimé un tournant décisif aux hostilités.

Les allusions contenues dans le texte ont permis à Yehouda Elitsour (op. cit.) de comprendre comment se sont déroulées les opérations. Après que les Midianites eurent massacré les contingents du nord, ils se sont dirigés vers ceux du sud conduits par Gédéon. Ils savaient que les troupes d’Israël étaient cantonnées sur les pentes du Guilboa’. Ce qu’ils ignoraient en revanche, c’est que Gédéon avait renvoyé dans leurs foyers presque tous ses soldats, pour en garder à peine trois cents.

Les guetteurs midianites étaient par conséquent persuadés que les troupes d’Israël dévaleraient du Guilboa’ en multitude à leur rencontre. Une dizaine de kilomètres séparaient alors Israël des Midianites qui campaient dans la vallée située entre le mont Thabor et la colline de Moré (7, 1). Les Midianites ont espéré vaincre les troupes du sud dans la vallée comme ils avaient écrasé celles du nord.

Dans la nuit, les trois cents hommes de Gédéon se sont infiltrés du mont Guilboa’ au nord vers la colline de Moré. Les sentinelles de Midian, qui s’attendaient au déferlement d’une armée nombreuse, n’y ont pas prêté attention. L’ennemi n’a pas compris pourquoi l’immense armée d’Israël ne venait pas à lui, ce qui l’a plongé à la fois dans une grande perplexité et dans une profonde terreur, mise en évidence par le rêve de la galette d’orge. Entre temps, le bataillon de Gédéon est descendu de la colline de Moré et il s’est déployé nuitamment en silence, au sud, à l’ouest et au nord du camp midianite, en ménageant à Midian une issue lui permettant de s’enfuir vers l’est (Sifri MatothBamidbar 31, 1 et suivants).

Soudain, a fait place au silence de la nuit le fracas de trois cents cruches brisées et de trois cents torches illuminant brusquement les ombres de la nuit. Les Midianites ont cru, terrorisés, que derrière chaque torche s’avançait une troupe nombreuse.

Apparut alors l’arme suprême : le chofar. Rappelons que le chofar et la trompette servaient aux officiers pour transmettre leurs ordres à leurs hommes (Bamidbar 8, 9). Lorsque trois cents chofaroth ont retenti en même temps (7, 19), les Midianites ont été persuadés qu’ils étaient encerclés de toutes parts par trois cents régiments, et que les soldats d’Israël allaient fondre sur eux de partout.

Ils se sont alors enfuis vers l’est – hommes et animaux, soldats et populations – cherchant leur voie dans le plus grand désordre à travers la nuit. Les soldats qui cherchaient à se frayer un chemin avec leurs armes se sont entretués (7, 22). Poursuivis par les hommes de Naftali, d’Aser et de Manassé, leur course s’est achevée devant les gués du Jourdain, où les guettaient les soldats d’Ephraïm (7, 23 et 24). Ceux-ci se sont emparés de deux princes de Midian, ‘Orèv et Zeèv, qu’ils ont tués et dont ils ont présenté les têtes à Gédéon.

Le total des pertes essuyées par les armées ennemies s’est élevé à 120 000 hommes (8, 10).

Cependant, mécontente de n’avoir pas été appelée à participer à la bataille dès ses débuts et d’avoir été privée de la gloire qui aurait dû lui revenir, la tribu d’Ephraïm se plaignit auprès de Gédéon de n’avoir pas été mobilisée à partir du commencement des hostilités.

Avec beaucoup de diplomatie, Gédéon calma son mécontentement en faisant valoir que « les grappillages d’Ephraïm étaient bien meilleurs que la vendange d’Avi‘ézèr ». En d’autres termes, les hommes d’Ephraïm ont eu l’immense mérite de mettre la dernière main à la bataille en capturant les généraux ennemis. Leur ressentiment se calma aussitôt (8, 1 à 3).

Notons au passage que Jephté, quelques dizaines d’années plus tard, essuiera les mêmes sortes de reproches de la part d’Ephraïm. Mais, beaucoup moins habile que celle de Gédéon, sa réaction provoquera une véritable guerre civile qui fera quarante-deux mille victimes dans les rangs de la tribu rebelle (12, 1 à 6).

Restait à Gédéon à consolider sa victoire, d’autant que les débris de l’armée ennemie – soit environ 15 000 hommes – conservaient encore quelques ressources, saccageant, en Transjordanie, les territoires de Ruben, Gad et Manassé (Rachi ad 8, 4).

Toujours à la tête de ses trois cents hommes (8, 4), ce qui signifie qu’aucun n’était tombé au combat, il poursuivit ce qui restait de cette armée jusqu’à Karkor (8, 10), localité située, selon Elitsour (op. cit.), à environ 230 kilomètres à l’est de la mer Morte.

Les Midianites se croyaient en sécurité (Metsoudath David ad 8, 11), de sorte que la bataille fut probablement brève, mais sûrement décisive : Les deux rois de Midian, Zéva‘h et Tsalmounna, prirent la fuite, pour être promptement appréhendés par Gédéon.

A suivre…

Jacques KOHN Zal