Le livre des « Juges » partie XVI

Gédéon

Nous entreprenons ici la partie du livre des « Juges » consacrée à Gédéon

(Gédéon – première partie)

 

Issu de la tribu de Manassé, Gédéon n’a pas porté le titre de « juge », mais celui de « sauveur » (6, 14).

La période pendant laquelle il a exercé le pouvoir est marquée essentiellement par la guerre victorieuse qu’il a menée contre les Midianites.

« Les enfants d’Israël ayant fait ce qui est mauvais aux yeux de Hachem, Il les livra en la main de Midian pendant sept ans » (6, 1).

Le peuple de Midian est issu d’Abraham par sa femme Qetoura (autre nom donné à Hagar [voir Rachi ad Berèchith 25, 1]).

La Tora porte sur Midian un jugement très contrasté.

D’une part, Yithro, beau-père de Moïse, était « pontife de Midian » (kohen MidyanChemoth 2, 16), et nous avons vu dans notre premier chapitre que le séfèr Choftim attribue une place à part aux « enfants du Qeini, beau-père de Moïse » (1,16), qui s’étaient joints aux enfants d’Israël.

Mais un autre représentant de Midian fut Bil‘am, ce prophète pervers qui a manqué faire sombrer Israël dans la débauche.

Le peuple de Midian a été décimé par les Hébreux à l’époque de Moïse, alors qu’ils se dirigeaient vers Erets Yisrael (Bamidbar 31, 1 et suivants).

Les Midianites font partie, tout comme ‘Amaleq, des ennemis implacables et irréductibles d’Israël. On peut d’ailleurs observer que la combinaison des lettres hébraïques formant les deux noms, Balaq (beth, lamed, qof) et Bil‘am (beth, lamed, ‘ayin et mèm) produit ‘Amaleq (qof, lamed, mèm et ‘ayin) et Bavel (beth, beth et lamed) (Zohar, Balaq), comme pour marquer que cette combinaison a servi à confondre spirituellement le peuple juif, et à causer son exil.

Leur alliance maudite sera encore plus manifeste à l’époque de Gédéon, puisque ces deux peuples se sont alors alliés contre Israël (6, 3 ; 6, 33 ; 7, 12).

On peut également penser que Midian avait gardé rancune de ce triomphe d’Israël pendant sa traversée du désert et que, ses pertes humaines ayant été réparées, il a guetté l’occasion de se venger. Cette occasion lui a été offerte lorsque Hachem a voulu punir les enfants d’Israël de leurs péchés.

Les Midianites n’ont pas envahi Erets Yisrael, mais ils l’ont infesté par des incursions auxquelles ils se livraient au moment des récoltes, pour disparaître ensuite. Ils avaient pour alliés ‘Amaleq et les Benei Qédem (« fils de l’Orient »). Leurs attaques étaient si terrifiantes que les enfants d’Israël s’enfuyaient dans les montagnes, dans les villes fortifiées, même dans les cavernes et que, pour ne pas attirer l’attention des pillards, ils étaient contraints de battre leur blé non pas sur les lieux où il était moissonné, mais dans des pressoirs, endroits abrités et donc à l’abri des regards hostiles (6, 11).

C’est alors qu’apparaît à Gédéon un messager divin, que le Sédèr ‘Olam identifie comme étant Pin‘has. Il commence par annoncer que si les enfants d’Israël sont dans la détresse, c’est parce qu’ils ont abandonné Hachem (6, 11 à 24).

On observera que l’élection de Gédéon a eu lieu selon une « procédure » tout à fait exceptionnelle, que l’on ne trouve chez aucun des autres « Juges » : Hachem commence par envoyer un prophète pour adresser des reproches aux enfants d’Israël qui L’ont abandonné (6, 8 à 10). Puis, dans un long développement (6, 11à 31), le texte nous apprend comment Gédéon a été choisi.

Fait exceptionnel dans tout le livre de Choftim, et qui n’est pas sans présenter des ressemblances avec la façon dont Hachem S’est manifesté à Moïse (Chemoth 3, 1 et suivants), Il commence par apparaître à celui qu’Il a choisi, Il le charge d’une mission explicite (« sauver Israël de la main de Midian », 6, 14) et, nouvelle similarité avec Moïse (Chemoth 4, 1 à 8), Il lui donne un « signe » (oth) pour attester qu’Il est avec lui.

C’est pourquoi un « ange de Hachem vint, et s’assit sous le térébinthe qui est à ‘Ofra, lequel était à Yoach, descendant de Avi‘ézèr. Et Gédéon, son fils, battait du froment dans le pressoir, pour le mettre en sûreté de devant Midian » (6, 11).

On observera que cet ange ne s’est pas immédiatement présenté à Gédéon, mais qu’il est d’abord « venu », puis qu’il « s’est placé » sous un térébinthe (6, 11). Et ce n’est que dans un troisième temps qu’il est « apparu » à Gédéon (6, 12).

Précédemment, toutes les fois qu’un ange était apparu à un personnage biblique, il s’était adressé à lui d’emblée, sans lui ménager aucun délai ni lui imposer aucune attente. C’est ainsi qu’un « ange de Hachem trouva Hagar sur une source d’eau, dans le désert, et lui dit… » (Berèchith 16, 7), qu’un « ange de Hachem a appelé Abraham depuis le ciel et lui a dit… » (Berèchith 22, 11), et qu’un « ange de Hachem est monté de Guilgal à Bokhim et a dit [aux enfants d’Israël]… » (2, 1). De même, lorsqu’un ange de Hachem est venu plus tard annoncer à la femme de Manoa‘h, jusque-là stérile, qu’elle donnerait naissance à un fils (Samson), « il lui apparut, et lui dit : “Voici, tu es stérile…” » (13, 3).

En réalité, explique Radaq au nom du Midrach Tan‘houma, l’ange a attendu que Gédéon fasse connaître ses mérites, et c’est seulement ensuite qu’il lui est apparu. Alors que Yoach, son père, se démenait à battre le blé, il est intervenu pour lui faire quitter cette tâche, trop éprouvante pour lui : « Mon père ! Tu es un vieillard ! Rentre à la maison, et je battrai le blé à ta place ! Si, par malheur, les Midianites devaient opérer chez nous une razzia, tu n’aurais pas la force de t’enfuir. » C’est alors que l’ange se manifesta à Gédéon : « Tu viens d’accomplir la mitswa d’honorer ton père ! Aussi es-tu devenu digne de devenir le libérateur de tes frères. »

Gédéon objecta : « Ah ! mon seigneur, si Hachem est avec nous, pourquoi toutes ces choses nous sont-elles arrivées ? (6, 13) Nous venons de réciter le Hallel, et mon père a lu hier soir, pendant le sédèr de Pessa‘h, le psaume : “Quand Israël sortit d’Egypte…” (Psaumes 114, 1). Si nos ancêtres étaient des justes, sauve-nous par leur mérite ! Et s’ils étaient des impies, nous ne sommes pas moins dignes qu’eux d’être libérés miraculeusement ! »

« Tu as si bien pris la défense de Mes enfants, lui répondit Hachem, que tu es devenu digne que Je t’adresse la parole. »

Alors « Il s’adressa à lui et dit : Va avec cette “force” que tu as… » (6, 14), cette « force » avec laquelle tu as plaidé la cause de Mes enfants.

Voilà pourquoi, conclut Radaq (6, 11), l’apparition de l’ange à Gédéon s’est faite par étapes.

Lorsque Hachem lui annonça que c’est lui qu’Il avait choisi pour sauver Israël de la main de Midian, Gédéon commença par protester, comme l’avait fait Moïse (Chemoth 3, 11) et comme le feront plus tard Isaïe (Isaïe 6, 5) et Jérémie (Jérémie 1, 6) : « De grâce, mon Seigneur, par quel moyen sauverais-je Israël ? Ma famille est la moindre en Manassé, et moi je suis le plus jeune dans la maison de mon père ! » (6, 15).

Gédéon prépara à l’intention de l’ange un sacrifice constitué d’un chevreau et de matsoth, ainsi que d’un bouillon. Peu habitué à des apparitions aussi prodigieuses (Metsoudath David), il lui demanda de lui fournir une preuve de l’authenticité de Son apparition. C’est alors que son offrande fut consumée par un feu jailli d’un rocher, signe que sa demande était exaucée.

Le Séfèr ha-‘Hinoukh (mitswa 132) fait observer que, d’une manière générale, le feu divin qui consumait les offrandes ne tombait pas directement du ciel, mais prenait la forme d’un lion tapi sur l’autel à l’époque du premier Temple, et l’apparence d’un chien à plat ventre à celle du deuxième. En quatre circonstances seulement, il s’est échappé directement des espaces supérieurs :

– Le huitième jour de l’inauguration du Tabernacle (Wayiqra 9, 24).

– Pour consumer l’offrande présentée par Gédéon (6, 21).

– Pour consumer l’offrande présentée par Manoa‘h et sa femme, les futurs parents de Samson (13, 20).

– Pour consumer l’offrande présentée par le prophète Elie sur le mont Carmel (I Rois 18, 38).

à suivre…  

Jacques KOHN Zal