Le livre des « Juges » partie XV

Devora, prophétesse et choféteth

Le cantique de Devora – Seconde partie

Nous achèverons ici l’étude de la partie du livre des « Juges » consacrée au cantique de la prophétesse Devora.

 

« Réveille-toi, réveille-toi, Devora ! Réveille-toi, réveille-toi, dis un cantique ! Lève-toi, Baraq, et emmène captifs tes captifs, fils d’Avino‘am ! » (5, 12) : Comme indiqué plus haut, ce verset invite Devora à se défaire de son inaptitude à prononcer des cantiques, incapacité que lui ont value ses railleries envers ses prédécesseurs. Mais il peut aussi signifier : « Renforce-toi dans ton chant ! »

Les cinq versets suivants (14 à 18) énumèrent les tribus que Devora couvre d’éloges pour avoir participé aux combats (Ephraïm, Benjamin, Makhir [descendants cisjordaniens d’un fils de Manassé], Zabulon, Issakhar et Naftali), ainsi que celles qu’elle fustige au contraire parce qu’elles sont restées inactives (Ruben, Guil‘ad [descendants transjordaniens de Makhir], Dan et Aser).

Ephraïm a droit à la reconnaissance de Devora, non seulement à cause de sa participation aux combats, mais aussi parce qu’il a donné naissance à Josué, vainqueur de ‘Amaleq (Chemoth 17, 13). « Après lui » viendra Benjamin, ancêtre du roi Saül qui affaiblira le même ‘Amaleq.

A Makhir revient la gloire, commente Rachi, d’avoir vaincu les Amorréens dans la guerre menée contre Si‘hon et ‘Og (Devarim 3, 1 et suivants). Quant à Zabulon, précise Metsoudath David, il doit son mérite à ce qu’il s’est entièrement mobilisé, y compris « ceux qui tiennent le bâton du commandant », c’est-à-dire les érudits, ceux qui ne sont pas formés au combat.

De même pour Issakhar, dont les « princes », les membres du Sanhédrin, qui étudient la Tora et « sont instruits à connaître les dates » (I Chroniques 12, 33), ont « été avec Devora » pour enseigner à Israël la loi et la justice (Rachi).

Ruben, en revanche, doit être blâmé, car il s’est installé « entre les frontières » du conflit (verset 16), à « écouter le bêlement des troupeaux » dans une pusillanime neutralité, attendant ainsi de pouvoir se rallier à celui qui serait le vainqueur.

Il en va de même (verset 17) pour Guil‘ad, resté prudemment en Transjordanie, et pour Dan, qui a chargé ses fortunes sur des navires, pour le cas où il lui faudrait prendre la fuite (Targoum Yonathan et Rachi). Quant à Aser, il est resté au bord de la mer afin de mieux préserver ses villes (Radaq).

Comme indiqué plus haut à propos de la bataille du Kichon, Zabulon et Naftali, « sur les hauteurs des champs » – c’est-à-dire sur le mont Thabor – ont failli être massacrés. Mais n’avaient-ils pas « exposé leurs âmes à la mort » (verset 18) et accepté d’avance le sacrifice suprême ?

« Les rois sont venus, ils ont guerroyé… » (verset 19). Commentaire du Metsoudath David : Les tribus qui se sont abstenues ne sont pas venues au secours de leurs frères, tandis que des rois d’autres peuples se sont portés aux côtés de Sissera et ont pris part aux combats. Leur intervention, de plus, a été bénévole et ils n’ont pas demandé de salaire (Rachi, d’après Tossefta Sota 3, 14). Leurs armées étaient si puissantes qu’elles « se trouvaient à Ta‘anakh et qu’elles se déployaient jusqu’aux eaux de Meguiddo ».

« Depuis le ciel on a combattu ; les étoiles, depuis leurs orbites, ont combattu contre Sissera » (verset 20) :

Lorsque les Egyptiens ont été précipités dans la mer, a enseigné Rabbi Nathan (Pessa‘him 118b), les enfants d’Israël ont redouté qu’ils refassent surface. Aussi le Saint béni soit-Il, pour dissiper leurs inquiétudes, a-t-Il ordonné à celle-ci de les recracher sur le rivage. Mais Il a, ce faisant, privé les poissons d’une nourriture qui leur était due. Aussi les a-t-Il dédommagés, quelques siècles plus tard, en précipitant Sissera et ses troupes dans le Kichon. Pour permettre ce résultat, Il a fait participer les étoiles au combat : Elles ont rendu brûlantes leurs armures, de sorte qu’ils se sont jetés dans la rivière pour s’y rafraîchir. Celle-ci les a entraînés jusque dans la mer et les a ainsi restitués aux poissons.

Voilà pourquoi le Kichon est appelé « torrent antique » (verset 21) : Il a servi de garant à la mer depuis les temps anciens de la sortie d’Egypte (Rachi).

« Alors les talons des chevaux résonnèrent à cause des caracolades, des caracolades de leurs [hommes] vaillants » (verset 22) : Les sabots de leurs chevaux se sont détachés sous l’effet de la chaleur (Rachi).

« Maudissez Méroz, a dit l’Ange de Hachem ; maudissez, maudissez ses habitants ! Car ils ne sont pas venus au secours de Hachem, au secours de Hachem, avec les hommes forts » (verset 23) :

Selon Radaq, Méroz était une ville proche du champ de bataille, dont les habitants se seraient tenus à l’écart des combats, d’où la malédiction prononcée par Devora. Mais ceux des localités plus éloignées qui n’ont pas combattu n’avaient pas à être maudits.

Dans son ouvrage Séfèr ha-Berith (« Livre de l’Alliance »), Rabbi Pin‘has Eliyahou Horowitz (Vilna, 1797) définit Méroz comme une planète inhabitée située dans un des mondes spirituels infinis créés par Hachem. La référence à cette planète soulignerait que la bataille décrite ici se serait étendue au-delà des limites de la nôtre. Cette perception, souvent reprise par les cabbalistes, illustre le fait que les actions humaines exercent immanquablement une incidence sur le cosmos.

En revanche, « bénie soit, entre les femmes, Yaël, femme de ‘Hèvér, le Qeini ! Entre les femmes, sous la tente, soit-elle bénie ! » (verset 24). Elle s’est empressée au service de Hachem alors qu’elle était dans sa tente, et elle s’est acquis plus de mérite que les autres femmes qui étaient « sous la tente » (voir Rachi et Radaq, d’après Nazir 23b), à savoir Sara (Berèchith 18, 9), Rébecca (ibid. 24, 67), Rachel et Léa (ibid. 31, 33).

« Il a demandé de l’eau, elle lui a donné du lait ; dans la coupe des puissants (Rachi : “dans un vase précieux”) elle lui a présenté de la crème » (verset 25).

Les deux versets suivants (26 et 27) résument la façon, déjà rapportée plus haut, dont Yaël a tué Sissera.

Quant aux versets 28, 29 et 30, ils rapportent l’attente et les espoirs déçus de la mère de Sissera :

« A travers la fenêtre elle a regardé et gémi, la mère de Sissera ; à travers le treillis [elle s’est demandé] : Pourquoi son char tarde-t-il à venir ? Pourquoi tardent-ils, les roulements de ses chars ?

Ses sages princesses lui répondent ; elle-même aussi s’est donné la réponse :

N’ont-ils pas trouvé, n’ont-ils pas divisé le butin ? Une jeune fille, deux jeunes filles par guerrier ; des étoffes richement teintes pour Sissera, un butin de broderies éclatantes, de broderies doubles aux cous des captives (Rachi : “qu’ils s’apprêtent à violer”) ! »

Ultime réponse de Devora à la mère de Sissera :

« Ainsi périront tous tes ennemis, Hachem ! Et ceux qui t’aiment [rayonneront] comme le soleil quand il sort dans sa force ! Le pays fut en repos quarante ans. (verset 31) »

Bien entendu, cette dernière phrase (« Le pays fut en repos quarante ans ») ne fait pas partie du cantique.

Ce verset, explique Rachi, fait allusion aux temps futurs, quand le rayonnement du soleil sera quarante-neuf fois plus intense que la lumière des sept jours de la Création (cf. Yecha’ya 30, 26), ce qui produira une clarté trois cent quarante trois fois (quarante-neuf fois sept) supérieure à celle d’aujourd’hui (Targoum Yonathan).

(à suivre)

Jacques KOHN Zal