Le livre des « Juges » partie n°28

Jephté et sa fille (partie 2)

 

Selon le Sédèr ‘Olam, les Hébreux sont sortis d’Egypte en 2448. Cette date correspond, selon la chronologie dite « courte » adoptée par les rabbins – différente de celle dite « longue » en honneur chez les théologiens chrétiens – à 1313 ans avant l’ère commune. La conquête des territoires de Transjordanie, accordés aux tribus de Ruben, Gad et à la moitié de celle de Manassé, a eu lieu la même année que le commencement de la conquête d’Erets Yisrael, donc quarante ans plus tard (2488).

Toujours selon le Sédèr ‘Olam, c’est dans la deuxième année de son accession au pouvoir que Jephté rappelle au roi des Ammonites que la conquête par Israël des territoires transjordaniens a été réalisée trois cents ans auparavant (Choftim 11, 26). Autrement dit, l’avènement de ce Chofèt a eu lieu en 2448 + 300 – 2 = 2746.

Nous savons par ailleurs que Jephté a gouverné Israël pendant six ans (Choftim 12, 7), donc de l’an 2744 à 2750, soit de 1015 à 1009 avant l’ère commune (12, 7).

Or, il est couramment admis qu’Homère, dont l’Iliade constitue l’une des œuvres maîtresses, serait né, s’il a effectivement existé, entre le dixième et le sixième siècles avant l’ère commune.

Rappelons ici deux données :

– Le bassin méditerranéen a toujours constitué, depuis la plus haute Antiquité, le point d’intersection de multiples courants commerciaux. Ce fait est attesté, entre autres, par la Tora : « Zabulon demeurera sur le littoral des mers. Et lui sera sur le littoral des bateaux, et son extrémité sera à Tsidon » (Berèchith 49, 13). Commentaire de Rachi (ad loc.) : « Son territoire sera au bord des mers. […] Il sera constamment à bord des navires, là où il y a un port, là où les bateaux déchargent leurs marchandises. Zabulon s’occupera de négoce, et il assurera la subsistance de Issakhar, lequel s’affairera à l’étude de la Tora. »

– Les Grecs étaient habiles à s’approprier les histoires des autres peuples et à en faire des fables.

On peut donc imaginer une certaine parenté entre ce qu’il est advenu à la fille de Jephté et le mythe d’Iphigénie.

Rappelons en quoi a consisté ce mythe :

Iphigénie, dans la mythologie grecque, est la fille aînée d’Agamemnon et de Clytemnestre. Avant la guerre de Troie, alors que les Grecs s’apprêtent à quitter Aulis pour Troie, des vents contraires obligent leur flotte à rester au port. Le devin Calchas révèle qu’Artémis, déesse de la chasse, avait puni de la sorte les Grecs pour avoir abattu des bêtes sauvages, et que le seul moyen d’apaiser sa colère était de sacrifier Iphigénie. Agamemnon, désireux de conquérir Troie, accepte de sacrifier sa fille. Celle-ci est amenée à l’autel d’Artémis et sacrifiée : les vents deviennent favorables et les bateaux grecs font voile vers Troie.

Il est tout à fait possible qu’Homère ait eu connaissance par des voyageurs de ce qui était arrivé à Jephté et à sa fille, et qu’il en ait transformé le récit en un mythe qu’il aurait ensuite introduit dans l’Iliade. On peut d’ailleurs penser que le nom « Iphigénie » a pu être une déformation de « Yephtigenia », mot dans lequel apparaît le verbe grec gennao (« engendrer »), ce nom signifiant étymologiquement « descendante de Jephté ».

A noter par ailleurs que si Homère a fait monter Iphigénie sur le bûcher, les auteurs qui ont repris le thème au cours de siècles suivants lui ont attribué un destin moins tragique. C’est ainsi que, dans son Iphigénie en Aulide, Euripide (485-406) en fait une prêtresse. On retrouve là les mêmes différences que celles que l’on a observées chez nos commentateurs traditionnels…

(à suivre…)

Jacques KOHN Zal