Le livre des « Juges » partie n°26

Jephté 

Ses origines et ses prouesses diplomatiques

L’histoire de Jephté occupe les quarante versets du onzième chapitre du séfèr Choftim, ainsi que les sept premiers versets du chapitre suivant. Issu de la tribu de Manassé, il se dressa contre les Ammonites. Ceux-ci, dix-huit ans durant, avaient opprimé les enfants d’Israël établis en Transjordanie (10, 8).

En effet, après la mort de Yaïr, qui avait gouverné les Hébreux pendant vingt-deux ans (10, 3), ceux-ci avaient complètement abandonné le service de Hachem et s’étaient voués à l’idolâtrie. 

Le récit du séfèr Choftim à propos de Jephté s’articule autour de deux récits : celui de ses négociations avec les Ammonites, suivies d’une campagne militaire pendant laquelle il les a écrasés, et celui de son vœu concernant sa fille et des conséquences dramatiques de cet engagement.

Le séfèr Choftim (11, 1) le présente comme le « fils d’une prostituée » (ben icha zona). Comment comprendre cette désignation ?

Le Metsoudath David prend l’expression au pied de la lettre. Il était fils d’une prostituée, mais sa filiation paternelle ne faisait aucun doute : Il était effectivement le fils de Guil‘ad.

Pour Radaq, au contraire, Jephté était le fils d’une concubine de son père, ainsi appelée zona parce que non liée à son mari par une ketouva (« contrat de mariage ») et des qiddouchin. Mais elle restait tenue à un devoir de fidélité. Quant à son fils, il devait être considéré comme celui de son père à tous points de vue, et notamment en ce qui concerne ses droits successoraux.

Pour certains commentateurs, le mot zona désigne une aubergiste, et l’on retrouve ici la même ambiguïté que pour la femme qui a hébergé les deux explorateurs envoyés par Josué – Ra‘hav (Josué 2, 1) – que Rachi présentait déjà comme une aubergiste. Il en est de même pour la icha zona chez laquelle Samson se rendra à Gaza (16, 1), l’assimilation étant peut-être due au fait qu’une aubergiste « se donne » à ses clients, tout comme une prostituée.

Autre explication de Radaq : La mère de Jephté est appelée zona, étant une épouse issue d’une autre tribu.

Négociations avec les Ammonites

Déjà à l’époque de Ehoud, Israël avait eu à combattre les Ammonites (3, 13). Beaucoup plus tard, après la mort de Yaïr, une coalition des Ammonites et des Amalécites engagea les hostilités contre les Hébreux. « Ils opprimèrent et écrasèrent les enfants d’Israël cette année-là (Rachi : l’année même de la mort de Yaïr) ; pendant dix-huit ans, ils écrasèrent tous les enfants d’Israël qui étaient au-delà du Jourdain, dans le pays des Amorréens, qui est en Guil‘ad » (10, 8). Après avoir bataillé en Transjordanie, ils passèrent le Jourdain et engagèrent le combat contre Juda, Benjamin et Ephraïm (10, 9).

Jephté, qui avait été chassé par ses frères, s’était établi, avec une bande de gens « de rien », dans le pays de Tov, probablement dans la région du Yarmouk, hors d’Erets Yisrael (A. MALAMAT, The Period of the Judges, The World History of the Jewish People, Tel-Aviv 1971), ou bien, comme le suggère le Targoum, dans un « bon pays ». C’est là que les notables de Guil‘ad, les plus exposés aux attaques ennemies, vinrent le trouver et le supplièrent de se mettre à leur tête afin de les mener à la victoire.

Jephté commença par adresser d’amers reproches à ceux qui étaient venus le solliciter : « Vous qui m’avez haï et qui m’avez chassé de la maison de mon père, pourquoi venez-vous à moi, maintenant que vous êtes dans la détresse ? » En d’autres termes, comme l’explique le Metsoudath David (ad 11, 7), « si vraiment vous vous repentez de l’injustice que vous m’avez infligée, pourquoi avez-vous tant tardé à me le faire savoir, comme si vos regrets n’étaient que de circonstance, vu la situation désespérée où vous vous trouvez ? »

Jephté restait méfiant : Les notables de Guil‘ad n’allaient-ils pas, après la victoire, le chasser une nouvelle fois ?

Aussi poursuivit-il : « Si vous êtes vraiment déterminés à faire de moi un chef de guerre, serai-je votre chef ? »

Metsoudath David : « Je vous soupçonne de n’être pas sincères et de vouloir vous débarrasser de moi une fois que j’aurai remporté la victoire. Jurez de faire de moi votre chef, et de me conserver comme tel même une fois la paix revenue ! »

Ayant obtenu satisfaction, Jephté accompagna les notables jusqu’à Mitspa (11, 11), localité située, comme l’indique Rachi sous Berèchith 31, 49, en Guil‘ad, sa province natale. C’est là qu’il va établir sa résidence et diriger les enfants d’Israël six ans durant, de l’an 2786 à 2792, soit de 975 à 969 avant l’ère commune (12, 7).

Mais plutôt que d’engager immédiatement les hostilités, Jephté préféra la voie de la diplomatie (11, 12 et suivants).

Il envoya une délégation auprès du roi des Ammonites, avec mission de lui demander les raisons de son agressivité envers les enfants d’Israël.

Réponse du roi : « C’est parce qu’Israël a pris mon pays, quand il monta d’Egypte, depuis l’Arnon jusqu’au Yaboq et jusqu’au Jourdain ; et maintenant, rends-moi ces [contrées] en paix ! » (11, 13). Autrement dit : « Vous nous avez dépouillés de nos terres, et vous les occupez sans droit ni titre ! Il n’y aura pas de paix entre nous aussi longtemps que vous ne nous les aurez pas rendues ! »

Jephté ne se laissa pas décourager par cette rebuffade, et il tenta une seconde fois de négocier. Il rappela aux Ammonites des données historiques indiscutables, celles qui ont donné à Israël un droit irréfutable à la possession des territoires convoités par ses adversaires : Israël n’avait rien pris, ni à Moab, ni à Ammon, mais c’est Si‘hon, roi des Amorréens, qu’il avait combattu, et ce sont ses terres qu’il s’était approprié. Les Ammonites n’avaient pas à s’ingérer dans cette querelle, à laquelle ils étaient étrangers.

Pour conclure son discours, Jephté prononça la phrase suivante, sur laquelle il a été souvent critiqué : « N’est-ce pas ce que ton dieu Kemoch te fait posséder que tu possèdes ? Eh bien ! tout ce que Hachem, notre Dieu, aura dépossédés devant nous, nous le posséderons ! » (11, 24).

De cette référence à cette divinité païenne, certains commentateurs ont inféré que Jephté reconnaissait la légitimité des autres dieux, et considérait le Sien comme une divinité « locale » ou « nationale »

En vérité, il était trop fin diplomate pour engager inutilement une discussion théologique. Il a feint d’abonder dans le sens de son adversaire, mais c’était pour lui expliquer la véritable raison de la possession d’Erets Yisrael : Cette terre est à nous, non pas parce que nous l’avons conquise, mais parce que Hachem nous l’a donnée ! Aussi n’avons-nous pas le droit d’y renoncer.

(à suivre…)

Jacques KOHN Zal