Le livre des « Juges » partie n°27

Jephté et sa fille (partie 1)

 

Envisagé superficiellement, l’épisode de Jephté et de sa fille paraît ressembler à la ‘aqédath Yits‘haq (« sacrifice d’Isaac »). Dans les deux cas, il s’agit des préparatifs – et peut-être ici de la réalisation effective – d’un sacrifice humain. La comparaison, cependant, s’arrête là. Quand Hachem demande à Abraham de Lui offrir son fils, c’est Lui qui lui impose une épreuve. Abraham la surmontera, démontrant ainsi son dévouement absolu à Ses prescriptions.

Jephté, en revanche, ne s’écoute que lui-même. Hachem ne lui a rien demandé en échange de sa victoire, et c’est de la façon la plus spontanée que celui qui sera le vainqueur des Ammonites promet, en contrepartie de son succès, de Lui offrir en holocauste « ce qui sortira des portes de sa maison à sa rencontre ».

On connaît la suite : De retour à Mitspa après son triomphe sur les Ammonites, il est accueilli non pas par quelque animal mais… par sa fille qui le reçoit avec des tambours et des danses (11, 34).

Pour Jephté, il ne fait pas le moindre doute qu’il doit tenir sa promesse et sacrifier son enfant.

Lorsqu’elle apprit le vœu fait par son père et l’intention de celui-ci de le réaliser, elle lui opposa, indique figurativement le Midrach Tan‘houma, Be‘houqothaï (parag. 5), les arguments suivants :

« Jacob a promis à Hachem de prélever la dîme de tout ce qu’Il lui donnerait (Berèchith 28, 22). Lui a-t-il sacrifié l’un de ses douze fils ?

‘Hanna a promis à Hachem, s’Il lui donnait un fils, de le Lui donner “tous les jours de sa vie” (I Samuel 1, 11). L’a-t-elle offert en sacrifice ? »

Alors, voyant qu’il ne l’écoutait pas, elle lui demanda un délai de grâce de deux mois pendant lequel elle « descendrait sur les montagnes et pleurerait sa virginité avec ses compagnes » (11, 37).

Que signifie cette expression, pour le moins insolite et contraire à l’ordre naturel de « descendre sur les montagnes » ? On « monte » sur une montagne ; on n’y « descend » pas !

Selon le même Midrach Tan‘houma, cité par Rachi, les « montagnes » désignent ici les membres du Sanhédrin : La fille de Jephté annonce qu’elle se rendra devant eux afin qu’ils découvrent un moyen de libérer son père de son engagement hâtif.

Quant à « pleurer sa virginité », cela consiste, précise le Metsoudath David, à se lamenter de devoir être réduite à un célibat perpétuel.

Jephté lui accorde le délai qu’elle a sollicité, mais ensuite, précise le texte (11, 39), « il accomplit à son égard le vœu qu’il avait formulé ».

Nos rabbins s’interrogent sur les raisons pour lesquelles il n’a pas cherché à se faire relever de son engagement. Cela lui aurait été d’autant plus facile que son contenu et les circonstances dans lesquelles il avait été émis auraient permis aisément son annulation.

En réalité, expliquent-ils, Jephté aurait pu se faire relever de son vœu par Pin‘has, le kohen gadol, mais il s’était dit : « Je suis le chef des enfants d’Israël ! Ce n’est pas à moi d’aller chez Pin‘has ! » Quant à celui-ci, il a fait le raisonnement inverse : « Ce n’est pas à moi, kohen gadol fils de kohen gadol, de me rendre chez ce rustre ! » Ayant été la cause des malheurs de la jeune fille, ils ont été punis l’un et l’autre : Pin‘has a perdu l’inspiration divine (roua‘h ha-qodèch). Quant à Jephté (voir plus loin), son corps a été dépecé et enterré dans plusieurs endroits (Midrach Qohéleth Rabba 10, 15).

En quoi a consisté l’exécution de son vœu ? Si la Guemara (Ta‘anith 4a), le Midrach Tan‘houma et Ramban inclinent pour une mise à mort effective de la jeune fille, les commentateurs classiques considèrent pour la plupart que son père lui a imposé un célibat ou une réclusion perpétuelles (voir Abarbanel, Metsoudath David et Radaq). Quatre fois par ans ses amies venaient lui rendre visite et s’efforçaient de la consoler de son état (11, 40 et commentaires). On notera, à ce sujet, que s’il s’était agi pour ces femmes de commémorer son décès, un seul jour par an aurait suffi, ainsi que stipulé par la Halakha pour les anniversaires de deuil.

Signalons ici, comme contrastant avec celle de Jephté, l’attitude du roi Saül telle qu’elle sera décrite plus loin dans I Samuel 14, 24 et suivants : Son fils Jonathan, aidé de son écuyer, infligea un jour une défaite cuisante aux Philistins. Or, Saül avait prononcé une malédiction contre quiconque absorberait la moindre nourriture jusqu’au soir, et jusqu’à l’instant de la victoire. Mais Jonathan, qui n’avait pas entendu les paroles de son père, consomma un peu de miel, « et ses yeux furent éclaircis ». En d’autres termes, il retrouva les forces qu’il avait perdues dans l’ardeur des combats (Radaq et Metsoudath David). Et bien qu’il méritât la mort à cause de la malédiction paternelle, il fut épargné (I Samuel 14, 45).

(à suivre…)

Jacques KOHN Zal