Si Roch Hachana est le jour des Malkhouyot – la soumission de l’homme à la Royauté divine –, le mois d’Eloul apparaît comme un mois de préparation, pendant lequel nous tendre à nous rapprocher du Créateur et ressentir davantage cette Royauté.

Toute notre raison d’être, le but ultime de notre vie est de nous rapprocher de D.ieu, d’apprendre à Le connaître et à vivre à Ses côtés. Ceci n’est un secret pour personne. En revanche, ce qui l’est davantage, c’est de trouver la voie conduisant à cet objectif ultime.
Dans un texte fondamental (Moré Névoukhim part. III chap. 53 cité et commenté par rav Yérou’ham Leibovitz, dans Daat ‘Hokhma ouMoussar chap. 77), Maïmonide nous invite à découvrir comment accéder à cette voie.
Décrivant les différents degrés de proximité divine, Maïmonide explique dans ce passage du Guide des Egarés que le Service divin dans son aspect le plus noble consiste à « absorber l’intégralité de ses pensées à la Divinité, à faire pencher tout son être vers D.ieu, à libérer son esprit de toute pensée étrangère et à consacrer toute son activité intellectuelle à la découverte de D.ieu au travers des créatures qui l’entourent ». Ceci, précise le Rambam, constitue le niveau des prophètes, qui consacraient l’essentiel de leur être à D.ieu.
« Cet exercice ne débute qu’après avoir opéré une représentation intellectuelle de l’existence de D.ieu. Après être parvenu à ‘saisir’ D.ieu et Ses actions d’après ce que ta compréhension te montre, tu pourras ensuite commencer à te vouer à Lui, à progresser pour te rapprocher de Lui, et le lien t’unissant à Lui deviendra alors palpable. Ce lien s’appelle l’intellect ».
Ces deux passages nous renseignent sur un point essentiel : toute la grandeur humaine et les formidables niveaux spirituels auquel il peut accéder résident dans ses facultés intellectuelles. S’attacher à Lui revient, en quelque sorte, à apprendre à développer convenablement la perception de l’intellect. La célèbre rationalité qui caractérise la pensée de Maïmonide apparaît ici comme une rationalité positive : seule la raison rapproche l’homme de son Créateur, elle est le lien les unissant.
Plus loin, le Rambam revient sur cette approche de manière plus explicite : « Je t’ai déjà expliqué que l’intellect dont l’Eternel nous a fait grâce, est le lien nous unissant à Lui. Le choix t’est donc donné, si tu le souhaites, de renforcer ce lien et le consolider, ou de l’affaiblir et le rendre plus ténu, jusqu’à ce qu’il vienne peu à peu à disparaître ».
L’esprit et l’intelligence humaine constituent le socle sur lequel peuvent s’établir la découverte, l’attachement et l’amour du Créateur. Et si l’on développe convenablement ce lien, il unira l’homme à D.ieu de manière « palpable ».
« Le verset, poursuit Maïmonide, dit à ce sujet : “Pour aimer l’Eternel votre D.ieu de et Le servir de tout votre cœur et de toute votre âme“. Or, comme nous l’avons déjà expliqué à plusieurs reprises, l’amour est fonction de la perception. L’amour est donc issu d’un service, que nos Sages ont décrit en ces termes : “Il s’agit du service du cœur“. D’après moi, ce service réside dans l’activité intellectuelle vouée à la connaissance du Créateur et dans la méditation la plus intense possible en ce sens ».
En clair, l’attachement à D.ieu réside dans la pensée, la vocation de l’esprit à Le découvrir et à mieux Le connaître, notamment en méditant Ses actions et Sa création.
Cet attachement intellectuel se veut toutefois exclusif. « Sache, précise le maître de Cordoue, que même si tu étais le plus sage d’entre les hommes dans la perception de la vérité divine, à l’instant même où tu écartes tes pensées de Lui et où tu t’absorbes à tes besoins, que ce soit même pour une occupation indispensable, tu interromps ce lien qui t’unit à D.ieu. A ce moment, tu n’es déjà plus avec Lui, et Lui cesse aussi d’être avoir toi ».
Le sens de toutes les mitsvot
Ce principe constitue selon le Rambam le fondement de nombreuses mitsvot de la Torah. L’étude de la Torah, la prière, la lecture du Chéma et l’accomplissement des autres mitsvot sont destinées à mettre l’homme en condition pour qu’il apprenne à s’adonner uniquement à Son service. Par conséquent, « si tu pries en remuant les lèvres, le visage tourné vers le mur et que tu réfléchis entre-temps à tes affaires ; si tu lis à la Torah avec ta bouche et que ton cœur est préoccupé par les rénovations de ta maison et ne réfléchit pas à ce que tu lis ; si, au moment où tu réalises une mitsva, tu la fais avec les membres de ton corps comme un homme qui creuse un trou ou qui coupe du bois, sans réfléchir au sens de cet acte, Qui en est le commanditaire et quel est son but, ne crois pas que tu ais atteint un quelconque objectif. Tu es alors plus proche de ceux dont il est dit : “Tu es proche de leur lèvres, mais loin de leur cœur“ (Jérémie 12, 2) ».
Par ces mots, Maïmonide dépeint une vision fondamentale de la Torah : si l’aboutissement de notre existence est de consacrer toutes nos facultés intellectuelles à D.ieu, les mitsvot de la Torah en sont le meilleur véhicule. Par elles, nous sommes en mesure de méditer à chaque occasion à un autre aspect de Sa volonté, de Ses actions ou de l’un de Ses Attributs. Et si chaque mitsva de notre quotidien est accompagnée d’une représentation de l’esprit, il est certain que nous nous rapprochons du but ultime : vivre en permanence « près » de D.ieu.
La route du Roi
Or comment entame-t-on cette démarche ? Cette découverte intellectuelle doit se faire très progressivement : « à présent, écrit-il, je vais t’indiquer la méthode propice à te faire atteindre ce grand objectif. La première chose à laquelle tu dois t’habituer est de libérer ton esprit de toute pensée étrangère au moment où tu lis le Chéma et lorsque tu pries. Mais ne te contente pas de te concentrer seulement pendant la lecture du premier verset du Chéma ou pendant la première bénédiction de la Amida. Lorsque tu seras parvenu à te conformer à cette règle et que tu l’auras maintenue pendant plusieurs années, habitue-toi ensuite, au moment où tu lis dans la Torah ou que tu entends sa lecture, à ne pas dévier tout ton être et toutes tes pensées de la compréhension de ce que tu lis ou entends. Lorsque tu auras aussi atteint ce but, habitue-toi à ce que tes pensées soient entières dans tout ce que tu lis, que ce soit dans les livres des Prophètes, ou même dans la lecture de toutes les bénédictions : efforce-toi de comprendre ce que tu articules et d’y méditer ».
En lisant ces lignes, une vérité formulée par le verset apparaît avec force : « Cette loi que Je t’impose en ce jour, elle n’est ni trop ardue pour toi, ni placée trop loin (…) elle n’est pas dans le Ciel (…) ni au-delà des océans » ! Tout un chacun, avec ses faiblesses et ses petits moyens, peut accéder à la voie du Roi, pour peu qu’il s’y prenne avec scrupule et méthode. Apprendre jour après jour, pendant des années, à focaliser toutes ses pensées à ce que l’on prononce quand on s’adresse au Créateur est le premier pas conduisant aux plus hautes sphères spirituelles !
En deux mots : « Pendant les moments où tu accomplis tout acte à caractère religieux, n’écarte pas tes pensées de ce que tu réalises ». Et peu à peu, si l’on s’en tient à cette démarche, on pourra un jour « se garder de briser ses méditations pendant ces moments précieux où l’on se retrouve seul, sans quiconque à nos côtés, ou lorsqu’on reste éveillé dans son lit, et à ne penser à aucune autre chose qu’à ce service intellectuel, car ceci constitue le rapprochement à D.ieu, par lequel on se tient devant Lui ! ».
Voilà une formidable initiation à une vie spirituelle plus intense, propice à ces semaines qui nous séparent de Roch Hachana. Quelques minutes par jour, quelques instants consacrés à la méditation garantissent un rapprochement sensible vers le Créateur. Et comme le souligne le Rambam lui-même : « Cet objectif, d’après moi, peut être atteint par toute personne qui s’exerce à mettre cette méthode en pratique ».

Par Yonathan Bendennnoune, en partenariat avec Hamodia.fr