A peine sommes-nous sortis de la période de deuil des Trois semaines, que nous sommes précipités dans une atmosphère de réconfort et de consolation. Comme si le peuple juif se dévêtait d’un habit, pour en revêtir un autre aussitôt après.

En ces jours consécutifs au 9 Av, nous entendons la prophétie clamer à notre adresse : « Une voix appelle dans le désert : ‘Libérez le passage pour D.ieu, tracez une route dans la campagne aride pour notre Seigneur’ » (Ichaya 40, 3).

Mais si nous sommes convaincus de l’authenticité de toutes ces prophéties, il y a toutefois un point qui mérite réflexion : comment peut-on raisonnablement nous « téléporter » aussi précipitamment d’un sentiment de deuil et d’affliction, à l’allégresse de la promesse d’une rédemption ?
Tes fautes sont expiées, fille de Tsion
De prime abord, il semblerait que cette lecture des prophéties de consolation, qui dureront sept semaines consécutives, constitue l’ouverture d’une nouvelle page. Mais il n’en est rien.
Nous savons en effet par tradition que lorsqu’un texte biblique débute avec le mot : « Vayéhi », c’est qu’il annonce un malheur. En revanche, s’il est introduit par le mot : « Véhaya », c’est au contraire l’annonce d’un événement heureux. Or, étonnamment, on peut lire dans la prophétie de Jérémie : « Et voici [véhaya] ce qui arriva lorsque Jérusalem fut conquise » (38, 28). Comment peut-on envisager que la chute de Jérusalem soit une annonce heureuse ? Le Midrach répond en ces termes : « C’est un moment de joie parce qu’en ce jour, le peuple juif reçut [des mains de D.ieu] un acte d’expiation pour toutes ses fautes (…) comme il est écrit : ‘Fille de Tsion, tes fautes sont expiées, Il ne t’enverra plus en exil’ (Lamentations, 4, 22) ».
Ceci signifie qu’en dépit de toute la tristesse suscitée par la destruction du Temple, cet événement comporte également une part de consolation, en cela qu’il annonce l’expiation des fautes. Le fait que le poids des fautes qui pesait lourdement sur les épaules du peuple juif ait été effacé, renferme une part de consolation.
Des prophéties complémentaires
Une autre source de consolation apparaît dans un récit édifiant, relaté par le Talmud en ces termes : « Un jour, les Sages se rendirent à Jérusalem et, en arrivant au mont Scopus, ils déchirèrent leurs vêtements. Lorsqu’ils arrivèrent au mont du Temple, ils virent un renard sortir de l’emplacement du Saint des Saints. Tous commencèrent à pleurer, mais Rabbi Akiva se mit quant à lui à rire. Ses compagnons lui demandèrent : ‘Pourquoi ris-tu ?’. Il leur rétorqua : ‘Et vous, pourquoi pleurez-vous ?’. Ils lui dirent : ‘L’endroit dont il est dit : ‘Tout étranger qui s’en approchera mourra’ est à présent visité par les renards, et nous ne devrions pas pleurer ?’. Rabbi Akiva leur répondit : ‘C’est précisément pour cela que je ris, comme il est écrit : ‘Je me fis assister de témoins dignes de foi, d'Ouri le Cohen et de Zacharie, fils de Yevérékhyahou’ (Ichaya 8, 2). Or, quel rapport existe-t-il entre Ouri et Zacharie ? Pourtant, le premier vécut à l’époque du Premier Temple, et le second à l’époque du Second Temple ! C’est que le verset associe la prophétie de Zacharie à celle d’Ouri. Dans celle d’Ouri, il est dit : ‘C’est par votre faute que Tsion sera labouré comme un champ’ et dans celle de Zacharie, on peut lire : ‘De nouveau, des vieillards et de vieilles femmes seront assis sur les places de Jérusalem’. Tant que la prophétie d’Ouri ne s’était pas accomplie, je craignais que celle de Zacharie ne s’accomplisse pas. Mais à présent que la première s’est réalisée, il est donc certain que la seconde le sera aussi » (fin du Traité talmudique Makot).

Il est certain que Rabbi Akiva ne doutait nullement de l’authenticité de la prophétie de Zacharie. Toutefois, la confirmation de ses paroles constitue un encouragement indéniable, auquel il ne voulait pas renoncer. En voyant de ses propres yeux comment s’accomplit la funeste prophétie du premier prophète, il prit davantage conscience de l’imminence de celle de Zacharie, et c’est pourquoi il se réjouit.
Le Talmud précise qu’en entendant les explications de leur compagnon, les autres Sages s’inclinèrent devant sa perspicacité et lui déclarèrent : « Akiva, tu nous as consolé ! ».
Voilà pourquoi je ris
Dans ce contexte, la consolation apparaît également d’un autre point de vue. Lorsque les Sages expliquèrent à Rabbi Akiva qu’ils ne pouvaient rester indifférents face à la profanation du lieu du Temple, ce dernier rétorqua : « C’est précisément pourquoi je ris ! ». Selon l’Admour de Tchortkov, de mémoire bénie, Rabbi Akiva laissa entendre par ces mots que les pleurs de ses compagnons furent eux-mêmes la raison de sa joie !
En effet, le milieu d’évolution naturel de tout Juif est aux côtés de la Chékhina. Or, la relation unissant le Créateur à Israël est décrite dans le Cantique des cantiques comme celle d’un homme et de sa bien-aimée. C’est la raison pour laquelle, si ce lien vient à être rompu, il devient la source d’une douleur intense. Tant et si bien que la Méguila d’Eikha débute par ces mots : « Comme est elle assise solitaire (…) comme une veuve ».
De ce fait, les larmes versées par la veuve, l’assemblée d’Israël, prouve sa douleur et son refus d’accepter cette séparation. Les pleurs deviennent alors la preuve que le lien unissant le peuple juif à son Bien-aimé n’a pas été rompu.
On peut citer à ce sujet une remarquable explication du Gaon de Vilna sur le Psaume « Achré ». Comme nous le savons, ce texte est organisé suivant l’ordre de l’alphabet hébraïque, hormis la lettre noun qui n’apparaît pas en début de verset. Ceci, parce que le noun rappelle ce sinistre verset : « Elle est tombée et ne se relèvera plus, la vierge d’Israël ». Mais nos Sages, dans le Talmud, ont une lecture différente de ce verset, et le lisent comme ceci : « Elle ne tombera plus, relève-toi, vierge d’Israël ! ». La chute de l’assemblée d’Israël a cessé, et désormais, elle peut se relever avec l’assurance d’être réhabilitée.

Par Yonathan Bendennnoun,en partenariat avec Hamodia.fr