« Ce sera, quand tu seras entré dans le pays. » (26, 1)

La Tora, fait remarquer Rav Chelomo Ganzfried dans son Apiryone, emploie une expression inattendue lorsqu’elle présente les lois sur les bikourim – l’offrande des prémices. Contrairement aux autres mitswoth liées à la terre d’Israël, où elle énonce : « … quand Hachem te fera venir dans le pays » (voir par exemple Devarim 11, 29), elle ne cite pas ici Son Nom.

Le commandement des bikourim, explique-t-il, a pour but de faire pénétrer dans le cœur de chacun le sentiment que tout ce qu’il produit appartient en réalité à Hachem.
L’homme sur terre n’est rien de plus qu’un métayer et, comme tel, il n’a le droit de jouir de sa production qu’après avoir transmis au propriétaire ce qui lui est dû. De même ici devons-nous remettre nos premiers fruits au kohen pour marquer que la terre entière est à Lui.
Voilà pourquoi il est écrit ici : « ce sera », autrement dit : Si tu crois, « quand tu seras entré dans le pays », que tu en auras pris possession par toi-même et donc qu’il t’appartient et que tu as droit à ses richesses – (verset suivant : « tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre… », pour en faire don au kohen. Ainsi reconnaîtras-tu que c’est Hachem qui t’a fait entrer dans le pays, et qu’à Lui appartiennent la terre et tout ce qu’elle renferme.

Tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre, que tu apporteras de ton pays que Hachem, ton Dieu, te donne. (26, 2)

On ne peut pas être un bon Juif, écrit l’auteur du ‘Aqéda, si l’on ne reconnaît pas que tout bienfait vient de Hachem, unique Artisan de notre prospérité. Toute autre approche conduit à la rébellion contre Lui et ne peut causer que malheurs et douleurs.
C’est pourquoi la Tora nous incite à la circonspection. Lorsque nous vivons en Erets Yisrael et jouissons de ses produits, nous ne devons pas en conclure à tort que c’est notre propre force et notre savoir-faire qui nous ont procuré notre opulence. « Avec le temps, il vous sera facile de vous fourvoyer dans la conviction que vous devez vos richesses à vos seuls efforts, et vous oublierez que c’est Hachem qui vous a donné tout ce que vous possédez. Voilà pourquoi vous aurez besoin d’un signe qui vous rappellera que la terre et tout ce qu’elle contient appartiennent à Hachem, qu’Il vous les a offerts en cadeau et que vous ne devez vos succès qu’à Ses interventions permanentes. »

C’est pour nous rappeler cela qu’il nous est enjoint : « tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre, que tu apporteras de ton pays ». Autrement dit, tu les apporteras de cette terre que tu considères comme « ton pays » afin de te rappeler que c’est « Hachem, ton Dieu, qui te le donne ». A l’instar de toutes les offrandes de prémices – comme la primeur de nos céréales, de notre vin et de notre huile (Devarim 18, 4), ou celle de notre pâte (Bamidbar 15, 20) – les bikourim sont destinés à ancrer en nos cœurs que Hachem est le Maître dont nous sommes les humbles serviteurs.

Tu [les] mettras dans une corbeille. (26, 2)

Les riches, rapporte le Talmud (Baba Qama 92b), présentaient leurs prémices dans des paniers d’or et d’argent qui leur étaient restitués, tandis que les pauvres les offraient dans des corbeilles d’osier que les kohanim conservaient, ce qui illustre, commentent les Sages, le dicton selon lequel batar ‘aniya azla ‘aniyouta – « la pauvreté poursuit le pauvre ».
Comme l’explique Rav Aharon Bakst, il s’agissait en réalité, par cette différence de traitement, de préserver la dignité des pauvres. Les paniers des riches étaient remplis à ras bords de fruits succulents, tandis que ceux des pauvres en contenaient moins et de qualité médiocre. Si les kohanim avaient vidé les paniers des pauvres pour les leur restituer, ceux-ci auraient redouté qu’ils se rendent compte de l’insignifiance de leur contribution. Pour leur épargner cette gêne, les prêtres conservaient donc les corbeilles, faisant comme s’ils n’avaient pas vu leur contenu.

Rav Ya‘aqov Neumann propose une autre explication : Quand un homme riche venait offrir ses bikourim dans des récipients d’argent et d’or, il était naturel qu’il fût aussi bien vêtu et fier de son apparence. Les prêtres lui restituaient donc aussitôt son panier, comme pour lui notifier que son « moi » avait rendu son offrande presque inacceptable.
Les paniers des pauvres, en revanche, étaient accueillis par les kohanim presque à bras ouverts, en témoignage de ce que Hachem aime les offrandes présentées dans la soumission et l’humilité.