Chapitre II

Le Temple

C’est donc le Temple (Beth haMikdach) qui constituait le point focal de Jérusalem. Le premier Temple fut construit par le Roi Salomon. Son rayonnement dura 410 ans, période qui prit fin avec sa destruction par Nabuchodonosor et les Babyloniens. Soixante-dix ans plus tard, le deuxième Temple fut construit par Ezra. La Tradition nous enseigne que c’est 420 ans plus tard qu’il fut abattu par les légions romaines de Titus.1

Beaucoup de gens se représentent le Temple de Jérusalem comme une sorte de synagogue, mais il constituait en réalité une structure unique en son genre. Peu de temps après la sortie d’Egypte, Dieu prescrivit aux Israélites de construire un Tabernacle (Michkan) dans le désert 2 :  » Ils me construiront un sanctuaire, pour que Je réside au milieu d’eux.  » (Exode 25, 8) Les commentateurs font remarquer que le verset ne dit pas : au milieu de lui, mais bien : au milieu d’eux. Par le Tabernacle, la présence de Dieu allait résider dans le cour de chaque Juif.3

Le seul fait que la seconde moitié du livre de l’Exode soit consacrée dans sa quasi-totalité à sa description et à sa construction nous donne une idée de l’importance de ce Tabernacle. Nous saisissons mieux sa signification en prenant en compte l’enseignement selon lequel celui-ci était destiné à être un microcosme de toute la Création.4 Ainsi, il avait pour but d’enseigner à l’homme qu’il est investi de la responsabilité d’élever et de sanctifier toute la Création. Le Tabernacle symbolisait l’association de l’homme avec Dieu à l’effet d’amener le monde à son but ultime. Dès lors, son édification a été mise en parallèle avec l’acte divin lui-même de la Création.5

Construction particulièrement remarquable, le Tabernacle a constitué le prototype de l’architecture préfabriquée. De dimensions imposantes (6 mètres de hauteur, 7 de largeur et de longueur), il pouvait cependant être démonté et transporté. C’est ainsi qu’il a accompagné les Israélites tout au long de leurs pérégrinations dans le désert. Même après leur entrée en Terre Sainte, il lui est arrivé d’être déplacé. Selon la Bible, il est resté à Guilgal pendant 14 ans, à Chiloh pendant 369 ans, puis à Nob et à Guibéon pendant un total de 57 ans.6

Outre le commandement général portant sur la construction d’un sanctuaire, la Torah prescrit l’édification d’un Temple permanent :  » Dans le lieu de Sa résidence vous irez L’invoquer  » (Deutéronome 12, 5).7 Il a fallu préalablement, comme le souligne le texte, que les Israélites occupent la Terre Promise, désignent un roi et concluent la paix avec leurs voisins :  » Quand, le Jourdain passé, vous serez fixés dans le pays que l’Eternel, votre Dieu, vous donne en héritage ; quand Il vous aura délivrés de tous vos ennemis d’alentour et que vous vivrez en sécurité, c’est alors, au lieu choisi par l’Eternel, votre Dieu, pour y asseoir Sa résidence, c’est là que vous apporterez tout ce que Je vous prescris.  » (Deutéronome 12, 10-11) Ce n’est qu’à l’époque de David et Salomon que cet état de paix a été atteint et donc que le  » lieu  » a pu être choisi et le Temple construit.8

L’une des particularités essentielles du Temple était le grand Autel (Mizbéa’h) sur lequel étaient offerts tous les sacrifices. Comme nous l’avons vu plus haut, cet Autel était le seul endroit au monde où une offrande pouvait être dédiée à Dieu.

Il est intéressant de noter, aujourd’hui encore, que la synagogue comporte une plate-forme centrale, appelée Bimah ou Almémar. Cette plate-forme, sur laquelle est lue la Torah, est une survivance du grand Autel, qui était situé au centre du Temple de Jérusalem. Pendant la fête de Souccoth, nous effectuons une procession autour de la Bimah, à la manière de celle opérée jadis autour du grand Autel.

 Le Temple comportait également une salle intérieure, appelée Hékhal, qui contenait trois objets essentiels. Le plus connu était la Menorah d’or, énorme candélabre à sept branches d’une taille supérieure à celle d’un homme. On allumait chaque soir six de ses sept lampes, la septième brûlant en permanence comme Lumière perpétuelle.10 C’est cette Menorah qui a joué un rôle essentiel dans le miracle de ‘Hanoukah à l’époque du deuxième Temple.

Outre ce luminaire, cette salle contenait un autel d’or pour l’encens et une table spéciale sur laquelle étaient disposés les pains dits  » de proposition « .11

Au-delà de cette salle se trouvait le Saint des Saints, lieu le plus reculé et centre spirituel du Temple. Si grande était la sainteté de cet emplacement qu’il n’était permis à personne d’y pénétrer, si ce n’est le Grand Prêtre (Cohen Gadol), et uniquement à Yom Kippour. Il y entrait au cours d’une cérémonie particulièrement impressionnante. Des quatre coins du monde avaient afflué vers Jérusalem des milliers de Juifs venus voir le Grand Prêtre sortir en paix de ce sanctuaire intérieur après y avoir effectué son service.12 Aujourd’hui encore, l’une des parties les plus impressionnantes des prières de Yom Kippour est constituée par la narration, pendant l’office de Moussaf, de l’entrée du Cohen Gadol dans le Saint des Saints.

Au centre du Saint des Saints se trouvait l’Arche d’Alliance, faite de bois recouvert d’or. Au-dessus de l’Arche était disposé un couvercle en or pur, surmonté de deux Chérubins en or. La structure de l’Arche, de son couvercle et des Chérubins – construits sous la direction personnelle de Moïse – est décrite en détail dans la Torah.13

Mais le plus important était le contenu de l’Arche : les objets que le Judaïsme tenait pour les plus sacrés, à savoir les deux Tables – remises par Dieu à Moïse – sur lesquelles étaient gravés les Dix Commandements, ainsi que l’original de la Torah que Moïse avait lui-même écrite sous la dictée de Dieu.14

Lorsque le roi Salomon construisit le Temple, il fit creuser un labyrinthe profondément enfoui sous le Mont du Temple dans lequel les objets sacrés pourraient, en cas de danger, être dissimulés. Pressentant les menaces qui allaient peser sur Jérusalem, le roi Josias fit cacher l’Arche dans ce souterrain et il le fit murer afin qu’il ne soit pas découvert par l’ennemi. C’est ainsi que, aujourd’hui encore, l’Arche est cachée quelque part sous le Mont du Temple à Jérusalem.15

Ce point revêt une importance extrême. L’événement le plus significatif de l’histoire juive a été la révélation au Sinaï, où Dieu Lui-même a proclamé les Dix Commandements. C’est en cette circonstance qu’Il a contracté l’alliance consacrant Sa relation unique avec Son peuple Israël. Certains textes désignent ces Tables sous la dénomination de  » Tables de l’Alliance « , pour indiquer qu’elles contiennent les termes de l’alliance contractée au Sinaï 16, d’autres sous celle de  » Tables du Statut « , dans la mesure où elles forment un témoignage permanent et tangible de cette alliance17, dont elles représentent la réalité matérielle.

Non moins centrale dans le Judaïsme est la position occupée par la Torah dans son ensemble. D’une manière générale, le rouleau de la Torah est, aux yeux du Juif, l’objet le plus sacré qui soit. Si cela est vrai de n’importe quel rouleau, à plus forte raison de l’original rédigé par Moïse sous la dictée explicite de Dieu ! Il a écrit ce  » modèle  » unique peu de temps avant sa mort, et il ordonna :  » Prenez ce livre de la Torah et déposez-le à côté de l’Arche d’Alliance de l’Eternel, votre Dieu ; il y restera comme un témoin contre toi  » (Deutéronome 31, 26). Comme le souligne Rambam (Maïmonide), elle est là pour  » témoigner  » envers toute l’humanité de la relation spéciale qui nous unit à Dieu et de la responsabilité que nous avons envers Lui.18

L’Arche, les Tables et l’original de la Torah n’étaient certes pas exposés aux regards du public, mais chaque Juif qui venait à Jérusalem savait qu’il se trouvait tout près de ces objets particulièrement sacrés.19 Il pouvait méditer sur l’Alliance, remonter mentalement à la Révélation du Sinaï et se représenter tous les miracles qui avaient accompagné le don de la Torah.

Il nous est possible d’éprouver ce sentiment aujourd’hui encore. Ces objets sacrés demeurent cachés à Jérusalem, enfouis profondément dans un souterrain sous le Mont du Temple. Ils y resteront jusqu’au jour où nous serons dignes de les redécouvrir. Et, bien que nous n’ayons pas une conscience très précise de leur présence, le seul sentiment de leur proximité est de nature à exercer un profond impact sur nos âmes.

Il ne subsiste aujourd’hui qu’un seul vestige du Temple : le Mur occidental du Mont du Temple, ou Kotel Ma’aravi. Il continue d’être tenu pour l’un des endroits les plus sacrés du monde, et il constitue un lieu de pèlerinage pour les Juifs du monde entier. Nos Sages nous enseignent que, malgré la destruction du Temple, la Présence divine n’a jamais quitté ce Mur 20, qui présente cette particularité d’avoir été le plus proche du Saint des Saints.

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Notes :

1. Voir chapitre 7, note 53.

2. Selon certains commentateurs, le commandement portant sur la construction du Tabernacle a été donné après le péché du Veau d’Or (V. Rachi sur Exode 31,18, 33,11, Tan’houma, Teroumah 8, Pekoudé 11). D’autres interprètes estiment qu’il a été donné avant le Veau d’Or (V. Ba’alé Tossafot, Ramban, Ibn Ezra sur Exode 25,1, Midrach Léka’h Tov, Ki Tissa 105a, Tanna deBé Eliyahou Rabba 17. Voir aussi Josèphe, Antiquités 3,5,8).

3. Séder ‘Olam Rabba 6, Zohar 1,129a dans Midrach Né’élam.

4. Tan’houma, Pekoudé 2, Zohar 2,162b.

5. Berakhoth 55a, Zohar 2,152a, 3,324b, Ramban sur Exode 31,2.

6. Yad, Beth haBe’hirah 1,2, Séder ‘Olam Rabba 11. Voir Zeva’him 14,5 à 8, Tossafot Yom Tov, Tif’éreth Israël, ad loc. Sur Guilgal, voir Josué 5,9 ; sur Chiloh : Josué 18,1 ; sur Nob : I Samuel 21,2 ; sur Guibéon : I Rois 3,4, et chapitre 7, note 28.

7. Yad, Melakhim 1,1, Lé’hem Michné ad loc.

8. Rachi ad loc. A noter que le couronnement d’un roi doit avoir lieu dès lors que  » tu seras bien établi dans le pays  » (Deutéronome 17,14), tandis que le Temple doit être construit après que se sera réalisée la double échéance :  » Lorsque vous vous serez fixés dans le pays à et que vous vivrez en sécurité.  » Voir chapitre 7, note 32 et chapitre 8, note 21.

9. Ora’h ‘Hayim 660,1, Techouvoth ‘Hatam Sofer, Ora’h ‘Hayim 28. Voir Soucca 51b, Yad, Tefilah 11,3, Ora’h ‘Hayim 150,5 dans Hagah.

10. Ramban sur Exode 27,20, Sifra sur Lévitique 24,2, Sifri sur Nombres 8,2, Techouvoth Rachba 1,79. Voir Yad, Beth haBe’hirah 3,8.

11. Exode 25,11 à 30, 30,1 à 10, 37,17 à 28, 40,22 à 27, Yad, Beth haBe’hirah 3,17.

12. Ce service est décrit dans le Lévitique (Chap.16) et tout le traité de Yoma lui est consacré.

13. Exode 25,10 à 17, 40,18. Voir Likouté Moharan 2,6.

14. Deutéronome 31,26, Rachi ad loc., Baba Batra 14a. Voir Radak, Ralbag, Abarbanel sur I Rois 8,9.

15. Chekalim 6,2, Tif’éret Israël ad loc., Yad, Beth haBe’hirah 4,1. Voir Yoma 52b, Horaïoth 12a, Keritoth 5b, Tossefta Yoma 2,13, Tossefta Sotah 13,2, Yerouchalmi Chekalim 6,1 (24b), Séder ‘Olam Rabba 24, Yalkout 2,247, Kouzari 3,39 (48b), Rachi, Radak, Ralbag sur II Chroniques 35,3. Sur la question de savoir si l’Arche a été enterrée ou transportée à Babylone, voir Yoma 53b. On trouve dans Yoma 54a une discussion sur le lieu où elle a été cachée : sous le Saint des Saints ou dans la Salle du Bois.

16. Deutéronome 9,9, 11 et 15.

17. Exode 31,18, 34,29. Voir Ba’hia sur Exode 31,18.

18. Yad, Séfer Torah 10,11.

19. En fait, il se peut que les rideaux du Saint des Saints aient été ouverts pendant les pèlerinages annuels afin de permettre aux fidèles de contempler l’Arche et les Chérubins de Moïse. Voir Yoma 54a, Tossafoth Yechénim ad loc., s.v. U’Marin, Ritva Ibid.

20. Chemoth Rabba 2,2, Midrach Tehilim 11,3. Cette opinion semble contredite dans Roch haChanah 31b, d’après Amos 7,7. Voir chapitre 5, note 22.

Titre: « JERUSALEM, OEIL DE L’UNIVERS »

Auteur: Arieh KAPLAN

Editeur: EMOUNAH – NCSY/ORTHODOX UNION

Adaptation française : Jacques KOHN.

Le livre est en vente dans les librairies juives.