Survivre à la pauvreté tout en restant fidèle à la Torah et aux mitsvot n’est assurément pas chose aisée. La sensation de manque, l’oppression et l’anxiété des besoins quotidiens contribuent à déstabiliser l’homme dans sa quête spirituelle. Il existe cependant une épreuve autrement plus difficile que celle de la pauvreté : l’épreuve de la richesse…

Dans la paracha de Behar, une nouvelle mention de l’interdiction de Ribith apparaît (outre celle de Michpatim – Chémot 22, 25). Cet interdit englobe toutes les formes de prêts à intérêt, aussi bien les prêts d’argent que de toute autre matière.

En examinant les quelques versets énonçant cet interdit, on remarque que la Torah accorde une importance particulière à ce thème : « Si ton frère vient à déchoir (…) n’accepte de sa part ni intérêt, ni profit : crains ton D.ieu, et que ton frère vive avec toi. Ne lui donne point ton argent à intérêt, ni tes aliments pour en tirer profit. Je suis l’Eternel votre D.ieu qui vous ai fait sortir du pays d’Egypte pour vous donner celui de Canaan, pour devenir votre D.ieu » (Vayikra 25, 35-38).

Tant de solennité pour une seule mitsva ! « Crains ton D.ieu (…) Je suis l’Eternel qui vous ai fait sortir d’Egypte (…) pour devenir votre D.ieu » : la Torah fait preuve d’une emphase inaccoutumée pour énoncer cette interdiction. Par ailleurs, on peut s’étonner du fait que le verset juge nécessaire d’illustrer cette interdiction par plusieurs situations : « Ne donne point ton argent (…) ni tes aliments » ; à quoi bon parler aussi bien d’argent que d’aliments ?

Ces différentes questions, ainsi que plusieurs autres, interpellèrent le Alchikh, dans son commentaire sur ces versets. La réponse qu’il leur donne invoque des principes fondamentaux concernant les notions de pauvreté et de richesse…

Quel est le mérite de la richesse ?
Pour éclaircir ce thème, il convient avant tout de comprendre la manière dont la Torah conçoit la richesse et la pauvreté. En règle générale, lorsqu’une personne est mieux lotie qu’une autre, on a tendance à croire que c’est la justice divine qui l’a voulu ainsi. Soit que le mérite de la première soit supérieur, soit qu’elle soit née sous une meilleure étoile ou encore que son travail soit d’une qualité supérieure, tous ces arguments justifient à nos yeux qu’un fossé social se creuse entre deux personnes.

Mais cette conception des choses est totalement erronée : si le pauvre souffre d’indigence, c’est uniquement pour permettre au riche de venir combler son manque. En effet, D.ieu ne manque pas de moyens d’infliger des épreuves à l’homme, et si tel était Son souhait, il aurait pu substituer à la pauvreté toute autre forme de difficultés. Si l’indigence règne dans le monde, c’est uniquement pour instaurer ici-bas la notion de charité et d’altruisme. En clair, la personne bien pourvue ne mérite sa richesse que par le mérite du pauvre, pour avoir le privilège de partager ! C’est donc bien parce qu’il y a des pauvres que les riches jouissent d’avantages financiers…

Lorsqu’une personne prélève des intérêts sur les prêts d’argent, elle conteste cette réalité. Ce faisant, elle affirme que sa richesse est un dû dont elle seule peut jouir à sa guise et qui, si elle doit être prêtée à autrui, justifie une rétribution.

Voilà qui expliquera l’insistance du verset, dans ce contexte, sur des notions telles que la crainte de D.ieu et la délivrance d’Egypte. En déclarant « Je suis l’Eternel votre D.ieu », la Torah nous rappelle qu’il ne nous appartient pas de juger du « mérite » de l’un ou de l’autre, Seul D.ieu possède la prérogative du jugement. Affirmer que quelqu’un est moins riche que soi parce qu’il serait moins méritant est totalement contraire à cette conviction, selon laquelle D.ieu est le seul Juge sur terre.

Par ailleurs, le verset mentionne ici que « l’Eternel nous a fait sortir d’Egypte », pour nous rappeler qu’à cette époque, D.ieu avait bouleversé tout le système astral et avait extrait Son peuple de son influence ; depuis lors, qui oserait dire que la conjonction de son mazal était plus avantageuse que celle d’un autre…
Enfin, lorsqu’on se rappelle que D.ieu nous a sortis d’Egypte et nous a accompagnés jusqu’à la terre de nos ancêtres, on comprend que nul ne peut se targuer d’avoir fourni des efforts plus précieux que ceux d’un autre, ou de fournir un travail de plus grande valeur : si un peuple d’esclaves peut hériter un pays entier et le conquérir quasiment sans difficulté, c’est bien la preuve que D.ieu distribue les biens à Sa guise, sans que les efforts ne jouent en aucune manière en faveur ou défaveur de la réussite.

Voilà le premier message de cette interdiction relative au ribith. Le Alchikh HaKaddoch poursuit avec une seconde idée non moins remarquable.

Les préjudices de la richesse
On trouve écrit dans les Pirké Avot : « Rabbi Yonathan dit : Celui qui accomplit la Torah dans l’indigence finira par l’accomplir dans la richesse. Et celui qui transgresse la Torah dans la richesse finira par la transgresser dans la pauvreté » (ch. 4, 9).

De prime abord, cette michna annonce une promesse : lorsqu’un homme étudie et respecte la Torah en dépit de sa pauvreté, il a l’assurance qu’il finira par l’étudier dans la richesse. Et vice versa pour celui qui passe outre à ses préceptes en dépit de sa richesse. Mais cette explication ne résiste pas à l’épreuve des faits : combien de personnes connaissons-nous qui, toute leur vie durant, se sont impliquées corps et âme dans la Torah et n’ont pourtant jamais connu la richesse ? Et inversement, combien de personnes riches ne se sont jamais appauvries bien qu’elles n’aient manifesté aucun intérêt envers la Torah ?

Par conséquent, le Alchikh propose une lecture différente de cet enseignement. Avant tout, il convient de comprendre qu’il existe deux types d’épreuves en matière d’argent : on peut être éprouvé soit par la pauvreté, soit par la richesse. En effet, si l’homme nécessiteux peut être tenté de s’égarer dans le vol et les fautes qui en découlent, l’homme riche, quant à lui, est confronté à l’épreuve de la tentation, attendu que la richesse est la porte ouverte à la vanité et aux tentations de ce bas monde. Or, il semble évident que cette dernière option est nettement plus périlleuse que la première…

En poursuivant cette réflexion du Alchikh, on s’apercevra que ceci se confirme à de multiples niveaux. Dans toute situation où l’homme est frappé par les tourments, que ce soit en période de guerre, de récession ou de maladie, l’épreuve est claire, sans ambiguïté : elle consiste à franchir les écueils et à surmonter la difficulté. Certes, chaque geste que l’homme éprouvé doit accomplir requiert des efforts décuplés pour surmonter la précarité de sa situation, mais ces perturbations demeurent externes et n’entament pas directement sa dévotion.

En revanche, une personne vivant dans l’aisance, peu tourmenté par les aléas de la vie et jouissant d’une certaine sérénité, connaîtra un sort sûrement plus pénible : pour elle, l’enjeu spirituel sera d’apprendre à batailler en dépit du confort dont elle bénéficie. A ce niveau, le combat n’oppose pas l’homme à des agents externes mais à lui-même, car c’est la placidité de sa propre vie qu’il doit apprendre à surmonter.
En bref, la richesse est un capital à haut risque : elle peut apparaître comme un opium dont il n’est guère aise de se désintoxiquer…

C’est là le sens de l’enseignement cité plus haut au nom de Rabbi Yonathan : « Celui qui accomplit la Torah dans l’indigence finira par l’accomplir dans la richesse » – loin d’être une promesse, ce Sage nous indique là que toute personne qui a su rester fidèle à la Torah en dépit de sa pauvreté aura le mérite de le rester même si la richesse devait l’accoster. Inversement, « celui qui transgresse la Torah dans la richesse », sans devenir forcément pauvre, finira par ne plus être capable d’observer la Torah, même s’il venait à s’appauvrir.

Ce principe apparaît clairement dans les versets relatifs au prêt à intérêt, et répondra à notre seconde question. L’homme qui prélève des intérêts sur les prêts d’argent se laisse en fait prendre par le piège de sa propre richesse, parce qu’il la préfère aux injonctions de la Torah. De ce fait, il est annoncé que même s’il venait à perdre ses biens, il ne continuerait pas moins à exploiter les autres malgré l’interdiction de la Torah, en prêtant également « ses aliments pour en tirer profit ».

Par Yonathan Bendennnoune